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Vasculaire

Publié le 15 jan 2012Lecture 6 min

Cannabis et infarctus cérébraux

C. LAMBERT, d'après des propos de Valérie WOLFF

La consommation de cannabis s’est banalisée, toutes les statistiques le prouvent. Mais cette banalisation est-elle synonyme d’innocuité ? “Non”, répond Valérie Wolff (Unité neurovasculaire, CHU de Strasbourg) qui, dans un article publié en avril dernier, rapporte 10 cas d’AVC ischémiques secondaires à la consommation chronique de cannabis, dans une série de 48 patients consécutifs âgés de moins de 45 ans et victimes d’infarctus cérébral.

Neurologie Pratique – Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux AVC des sujets consommateurs de cannabis ? Valérie Wolff – J’ai été amenée à prendre en charge un jeune patient qui avait fait un infarctus cérébral sans cause, et le seul élément que nous avions chez lui était la consommation de cannabis. À l’angio-IRM, nous avions constaté des sténoses multiples que les radiologues interprétaient comme des artéfacts, ce qui nous avait conduit à confirmer les lésions avec l’artériographie. Malgré cette confirmation radiologique, la relation avec la consommation de cannabis restait à faire, raison pour laquelle nous avons conçu une étude prospective sur des patients jeunes ayant eu un infarctus cérébral.   N. P. – Pouvez-vous nous rappeler la méthodologie de cette étude prospective(1) publiée en avril dernier dans Stroke, et les principaux résultats que vous avez obtenus ? V. Wolff – Il s’agit d’une étude prospective sur 2 ans qui a concerné 48 patients âgés de moins de 45 ans ayant été hospitalisés dans l’unité neurovasculaire du CHU de Strasbourg pour un infarctus cérébral. Chez ces patients, nous avons réalisé un bilan neurologique de première intention qui comprenait : des explorations neuroradiologiques et vasculaires ; des examens à visée cardiologique avec une échographie transthoracique et transoesophagienne ; une échographie des troncs supra-aortiques et un Doppler transcrânien ; un bilan biologique exhaustif et une recherche de toxiques urinaires (cannabis, cocaïne et ecstasy). Si ce premier bilan était négatif, on réalisait une artériographie et une ponction lombaire.   À l’issue de ces examens complémentaires, les patients ont été classés en différents groupes étiologiques : athérome, causes cardioemboliques, dissections, sténose monofocale ou sténoses multifocales sur des artères intracrâniennes ; une dernière classe étiologique était l’absence de cause. Nous avons alors regardé dans quel groupe se plaçaient les 13 consommateurs de cannabis identifiés à la fois par l’examen urinaire et l’interrogatoire : 10 de ces 13 sujets présentaient des sténoses intracrâniennes multifocales. Il y avait donc une corrélation très significative entre sténoses intracrâniennes multifocales et consommation de cannabis.   N. P. – Quels sont les troubles neurologiques que vous avez observés chez les consommateurs de cannabis à l’arrivée au sein de l’UNV et ont-ils été réversibles ? Par ailleurs, ces patients présentaient-ils tous des céphalées violentes ? V. Wolff – Les patients se sont présentés au sein de l’UNV pour un déficit neurologique brutal qui pouvait se traduire par une hémiplégie, une aphasie et, plus souvent, par des vertiges car les atteintes sont fréquemment vertébro-basilaires. La majorité de ces troubles ont été régressifs, sauf chez un patient qui a récidivé mais qui n’avait pas arrêté sa consommation de cannabis. En interrogeant ces patients, il est apparu que dans 9 cas sur 10, ils avaient eu d’intenses céphalées, soit inaugurales, soit concomitantes à l’apparition du déficit. Il s’agissait de céphalées importantes, inhabituelles, mais jamais en coup de tonnerre comme cela a pu être rapporté dans d’autres études.   N. P. – L’hypothèse d’une relation entre consommation de cannabis et AVC a été à l’origine de quelques publications depuis la fin des années 1990. Quels sont les principaux apports de votre étude ? V. Wolff – Il y a en fait très peu d’articles sur le lien entre cannabis et AVC, puisque l’on comptait moins de 25 cas décrits dans la littérature avant la publication de notre travail. L’intérêt de notre étude est double : elle montre, d’une part, le lien entre la consommation de cannabis et la présence de sténoses intracrâniennes multifocales. Nous avons aussi constaté que chez les patients qui arrêtaient leur consommation, les sténoses étaient réversibles dans un délai de 3 à 6 mois. On peut faire un parallèle sur ce point avec le syndrome de vasoconstriction réversible, car les tableaux sont très proches. Il y a donc une réversibilité des lésions qui permet d’éviter la récidive par arrêt de la consommation.   N. P. – Sur les 10 consommateurs de cannabis qui présentaient des sténoses multifocales à l’angiographie, on note que 6 d’entre eux étaient hypercholestérolémiques. Pensez-vous qu’il puisse y avoir une interaction entre ces deux facteurs ? V. Wolff – Nous ne pensons pas qu’il y ait un lien et cela ne ressort pas sur le plan statistique. En revanche, le cannabis apparaît comme le seul facteur de risque indépendant chez ces patients. Toutefois, je ne peux vous donner une réponse totalement négative dans la mesure où il n’y a jamais eu de protocole expérimental qui s’est intéressé à cette question.   N. P. – Que sait-on de la physiopathologie des sténoses intracrâniennes multifocales ? V. Wolff – En fait, nous ne savons pas ce qui se passe dans la paroi de l’artère et nous ne disposons d’aucune étude histologique. S’agit-il d’un spasme ou d’une inflammation, ou de la combinaison des deux ? Nous n’avons pas la réponse, toute ce que nous savons c’est qu’il y a des rétrécissements de la lumière artérielle, plus volontiers situés dans le territoire vertébrobasilaire que le territoire carotidien.   N. P. – Pensez-vous que le cannabis soit un facteur causal ou un facteur déclenchant, sur un terrain particulier, de ces sténoses artérielles multifocales ? V. Wolff – Je ne connais pas la réponse. Je pense qu’il existe un terrain qui pourrait être lié à des récepteurs cannabinoïdes différents. Existe-t-il également un lien avec la consommation de tabac, tout cela reste à préciser. Ce que nous avons remarqué, c’est que ces patients sont des consommateurs chroniques et qu’ils ont augmenté leur consommation dans les jours précédant l’accident. Un autre point commun est qu’il s’agit de consommateurs de résine de cannabis et non d’herbe. Nous avons pu récupérer des échantillons de résine chez certains d’entre eux et nous les avons fait analyser. Les résultats montrent qu’il n’y a que 10 à 15 % de THC (tétrahydrocan nabinol) dans les résines. Nous travaillons actuellement pour sa voir si les autres produits contenus dans cette préparation peuvent être responsables des lésions vasculaires.   N. P. – Pensez-vous donner une suite à votre travail ?  V. Wolff – Oui, nous avons pour suivi notre étude et aujourd’hui, avec 5 ans de recul, nous confirmons les données que nous avons publiées, avec toutefois une proportion un peu moindre, plutôt à 15 % des AVC ischémiques chez les jeunes qu’à 21 %. Nous confirmons également qu’il ne s’agit pas d’une question de pays fournisseur de cannabis, mais que le cannabis est en effet pourvoyeur d’infarctus cérébraux.   N. P. – Un article récent a mis l’accent sur l’augmentation du nombre d’AVC chez les sujets jeunes. Faites-vous un parallèle avec votre travail ? V. Wolff – Non, parce qu’au regard des incidences que nous obtenons, cela ne pourrait expliquer qu’une partie du problème. On sait que d’autres facteurs interviennent, comme les vasoconstricteurs utilisés en cas de rhinites et d’autres toxiques.   N. P. – Quel message voulez-vous faire passer en pratique clinique ? V. Wolff – Le message très clair est que le cannabis peut être à l’origine d’infarctus cérébraux et que devant un tel tableau chez un patient jeune, il faut rechercher une consommation à l’interrogatoire. Si tel est le cas, il faut préciser s’il s’agit de résine ou d’herbe et, si dans les jours précédents, la consommation a été augmentée, éventuellement avec une prise d’alcool. L’interrogatoire suffit le plus souvent, l’analyse urinaire ne faisant que confirmer la consommation. Il faut alors expliquer aux patients que la consommation de cannabis n’est pas anodine, elle peut être la cause d’atteintes cérébrales, mais aussi d’infarctus du myocarde ou d’artérite des membres inférieurs. "Publié dans Neurologie Pratique"

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