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Vasculaire

Publié le 10 mai 2011Lecture 9 min

Anévrysmes de l’aorte abdominale - Le tueur silencieux enfin maîtrisé

J.-P. BECQUEMIN, Hôpital Henri Mondor, Creteil

Les Anglo-Saxons ont proposé le terme de silent killer, le tueur silencieux, pour définir les anévrysmes de l’aorte abdominale (AAA). Ce terme est particulièrement approprié car les anévrysmes, évoluant de façon asymptomatique, sont souvent ignorés jusqu’à la survenue brutale de la rupture.
Les ruptures d’anévrysmes constituent la troisième cause de mortalité cardiovasculaire après les infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux. L’analyse des certificats de décès à domicile par l’INSERM fait état de 6 358 décès par rupture d’anévrysme en 2008, soit plus que le nombre de décès par accident de la voie publique. La prise en charge en urgence, facilitée en France par les SAMU, permet de transférer rapidement les malades qui ne décèdent pas d’emblée dans les services de chirurgie vasculaire. Cependant les interventions chirurgicales urgentes restent grevées d’une mortalité considérable.
Il est donc important de prévenir les ruptures d’abord par un dépistage et des mesures appropriées.

L'étude du PMSI national fait état de 594 décès sur 990 admissions, soit 60 %. On estime ainsi à 90 % la mortalité globale des ruptures d’anévrysme, à 50 % la mortalité des malades qui arrivent vivants à l’hôpital et de 40 % à 60 % de ceux qui sortent vivants de salle d’opération.   Quelle est la conduite à tenir ? Elle est relativement bien codifiée grâce aux nombreuses études comparatives effectuées ces 15 dernières années. Très schématiquement, chez un patient donné, il faut tenir compte : Du risque de rupture qui est fonction des facteurs indépendants suivants : – le diamètre, la poursuite de l’intoxication tabagique et l’existence d’une insuffisance respiratoire. Les antécédents d’anévrysme dans la famille, le sexe féminin, l’aspect sacciforme plutôt que fusiforme, et une croissance rapide (> 0,5 cm/an) sont également des facteurs à prendre en compte pour une indication opératoire. La figure 1 montre le pourcentage de survenue de rupture en fonction temps rapporté au diamètre initial. Figure 1. Pourcentage de survenue de rupture en fonction temps rapporté au diamètre initial. De l’espérance de vie du malade en considérant comme traité le problème de l’anévrysme. Celle-ci est fonction de l’âge réel, de l’âge physiologique et des affections associées : cardiovasculaire, néoplasie, insuffisance rénale ou respiratoire sévère, maladies cérébrales dégénératives comme la maladie de Parkinson, les démences séniles ou la maladie d’Alzheimer. Du risque d’une éventuelle intervention. Celui-ci est également bien codifié. Pour une chirurgie ouverte, 4 facteurs sont particulièrement significatifs : l’âge, l’état cardiaque, l’insuffisance rénale et l’insuffisance respiratoire. Le tableau 1 montre les graduations proposées par la Société de chirurgie vasculaire américaine. Les résultats de l’équipe chirurgicale qui prend en charge le malade sont également importants. Il a été montré que les équipes qui traitent plus de 50 anévrysmes par an ont de meilleurs résultats(1). Quel procédé chirurgical choisir ? Les chirurgiens disposent actuellement de deux possibilités techniques, la chirurgie ouverte et les endoprothèses. La chirurgie ouverte, dont le premier cas réussi a été publié par Charles Dubost en 1952, nécessite une anesthésie générale et une incision abdominale médiane ou du flanc gauche. L’aorte est clampée de part et d’autre de l’anévrysme. Ce dernier est ensuite ouvert et débarrassé des caillots. Les artères lombaires et la mésentérique inférieure sont au besoin suturées à l’intérieur de la coque. Puis une prothèse synthétique tubulaire ou bifurquée est suturée sur les parois saines. La paroi restante de l’anévrysme est ensuite suturée sur la prothèse pour l’isoler du contenu de la cavité abdominale. Certaines équipes ont développé des techniques laparoscopiques pour tenter de réduire les conséquences des incisons. Mais compte tenu du large développement des procédés endovasculaires, ces tentatives demeurent marginales, d’autant que le bénéfice n’est pas toujours pas prouvé. Les endoprothèses ont été imaginées et expérimentées par Juan Parodi en Argentine et Volodos en Russie soviétique dans les années 1990. Le concept est simple, il repose sur l’association d’un stent métallique et d’une prothèse chirurgicale. Le stent assure à la fois l’ancrage à la paroi aortique et la force radiale et colonnaire de la prothèse. La prothèse protège la paroi fragilisée de l’anévrysme du stress pariétal exercé par la pression artérielle systémique. L’expérience clinique a validé le concept en montrant la régression des diamètres et des volumes des anévrysmes lorsque l’exclusion du sac est complète. À partir des insuffisances des premiers modèles d’endoprothèses, l’industrie a identifié les problématiques posées et proposé des solutions. Les migrations sont résolues par la confection de crochets latéraux permettant un ancrage à la paroi aortique, l’excès de porosité par des tissus chirurgicaux étanches, l’usure des matériaux par l’amélioration de la durabilité des composants et, enfin, les problèmes d’accès par des introducteurs plus souples et mieux profilés. Les figures 2 et 3 montrent les différences entre les endoprothèses de 1re et de 3e génération. Actuellement les nouvelles endoprothèses peuvent être mises en place par voie percutanée à l’aide de systèmes de fermeture dits de preclosing et sous anesthésie locale. Figure 2. Photographie d’une endoprothèses de 1re génération. Figure 3. Photographie d’une endoprothèses de 3e génération. Contrairement à la chirurgie où la prothèse est choisie pendant l’opération, les endoprothèses nécessitent un choix préalable de design, de diamètres et de longueur. Ces paramètres, qui conditionnent le succès de l’intervention, sont déterminés à partir des examens tomodensitométriques. On dispose actuellement de logiciels très performants pour le planning des interventions. La figure 4a montre les différentes mesures à partir d’une reconstruction en volume rendering effectuée depuis un scanner en coupe et la figure 4b le contrôle postopératoire. Il est important que le chirurgien fasse lui-même ce planning car compte tenu de la diversité des situations anatomiques, différents choix sont possibles qui peuvent modifier les sites d’introduction et les zones d’ancrage. Figure 4. Planification de l’endoprothèse : a) mesures faites au niveau des collets ; b) reconstruction en volume rendering effectuée depuis un scanner en coupe d’une endoprothèse pour AAA notez que les angulations iliaques sont respectées par l’endoprothèse. Comment choisir entre une chirurgie ouverte et une endoprothèse ? Pour répondre à cette question on dispose de 5 études randomisées avec un suivi de 2 à 10 ans(2-6). Ces études totalisent plus de 3 000 malades. Le tableau 2 montre les taux de mortalité comparés des deux interventions chez les malades classés à risque opératoire acceptable pour un acte chirurgical classique. Dans toutes ces études la nécessité de transfusion, le taux de complications immédiates générales, de complications locales, la durée de séjour et le besoin de soins intensifs ont été réduits dans le bras  « endoprothèse ». Les courbes de survie à long terme dans les études EVAR 1 anglaise et ACE française sont identiques. Dans les suivis sont cependant apparus des différences en termes de complications secondaires : • dans le bras chirurgie, les conséquences pariétales (éventration, paralysie pariétale ou occlusion sur bride) ont été de l’ordre de 20 %. Mais il y a eu peu de nouveaux gestes vasculaires ; • dans le bras endoprothèse, des réinterventions endovasculaires ont été nécessaires dans également 20 % des cas. Ces réinterventions étaient justifiées par la survenue d’endofuite, c’est-à-dire de passage de flux sanguin entre l’endoprothèse et la paroi de l’anévrysme. Ces endofuites doivent être dépistées par la surveillance régulière par écho-Doppler ou par scanner. Elles sont traitées si la fuite est directe depuis les ancrages aortiques ou iliaques ou si la fuite est indirecte à partir des artères lombaires ou mésentérique supérieure et que le diamètre de l’anévrysme augmente. La figure 5 montre une endofuite indirecte sur une coupe de scanner avec injection. Figure 5. Coupe de scanner avec injection : aspect d’endofuite indirecte après mise en place d’une endoprothèse pour AAA. Enfin, malgré un suivi attentif, des ruptures sont toujours possibles, liées soit à une défaillance du matériel soit à l’évolutivité de la maladie anévrysmale dans les zones d’ancrage. Ces évolutions défavorables sont en fait observées lorsque les anévrysmes sont très volumineux, ont des collets (zones d’ancrage) courts, et des angulations importantes. La figure 6 montre un cas favorable pour une endoprothèse et la figure 7 un cas plus aléatoire. Figure 6. Reconstruction en volume rendering effectuée depuis un scanner en coupe : anatomie favorable pour une endoprothèse. Figure 7. Reconstruction en volume rendering effectuée depuis un scanner en coupe : anatomie peu favorable pour une endoprothèse. En pratique Lorsque l’anatomie est compatible avec la mise en place d’une endoprothèse : - chez les patients qui ont un risque opératoire > 2 % avec la chirurgie ouverte (2 % étant la borne supérieure de la mortalité des endoprothèses dans les études randomisées), une endoprothèse est sûrement préférable. Il faut prévenir le patient de la nécessité du suivi et de la possibilité de réinterventions pour pérenniser le résultat ; - chez les patients qui ont un risque opératoire < 2 %, la chirurgie traditionnelle est toujours d’actualité en prévenant cependant des conséquences négatives des abords chirurgicaux.   Quand opérer ? On a vu précédemment que le diamètre est le principal critère prédictif de rupture. La surveillance seule est justifiée pour les anévrysmes dont le diamètre est < 4 cm car le taux de rupture est très faible dans les 3 ans qui suivent le diagnostic. Une intervention est justifiée pour les diamètres > 5,5 cm en raison d’un taux important de rupture. Entre les deux, la question se posait d’une intervention immédiate ou d’une intervention retardée. Cette question a été résolue par deux études randomisées, l’une anglaise et l’autre américaine(7,8), qui ont comparé la surveillance et la chirurgie ouverte immédiate. La survie à 6 ans n’a pas été améliorée par l’intervention précoce. Mais il faut noter que 70 % des patients du bras surveillance ont finalement été opérés dans un délai de 2,5 ans en moyenne et logiquement d’autant plus rapidement que le diamètre initial était proche de la borne haute. En France, les experts de l’HAS recommandent une intervention dès que le diamètre atteint 5 cm. Il faut aussi noter que l’étude anglaise a montré une surmortalité dans le bras surveillance après 3 ans, notamment en raison de rupture chez les patients de sexe féminin. Chez la femme, il est souhaitable de proposer une intervention partir de 4,5 cm de diamètre. Les endoprothèses ont elles modifié ces données ? Les endoprothèses ont en fait apporté deux questions : une intervention moins agressive effectuée de façon précoce fait-elle mieux que la simple surveillance ? L’absence d’intervention précoce diminue-t-elle la possibilité d’une endoprothèse du fait de l’évolution anatomique des collets ? La réponse à la première question a été négative dans les deux essais randomisés qui ont abordé ce sujet(9). En revanche, 6 % des patients surveillés ont développé des anatomies difficilement compatibles avec une endoprothèse standard.   Quelle évolution technologique ? Jusqu’à une période récente les conditions anatomiques favorables pour la mise en place d’une endoprothèse comportaient les éléments suivants : collet sous-rénal de 1,5 cm de long, absence d’angulation majeure, iliaques non tortueuses et de calibre > 7 mm. Les avancées technologiques ont supprimé ces limites. Les prothèses fenêtrées et branchées sont actuellement disponibles pour traiter les anévrysmes avec des collets courts ou sans collets, et même des anévrysmes thoraco-abdominaux (figure 8 et 9). Figure 8. Endoprothèses branchées pour traiter les anévrysmes thoraco-abdominaux. Figure 9. Reconstruction en volume rendering postopératoire d’une endoprothèse branchée pour traiter un anévrysme thoraco-abdominal. Ces prothèses sont fabriquées sur mesure cas par cas et sont disponibles dans un délai de 8 à 10 semaines. S’agissant d’une technologie très couteuse, elle fait l’objet d’un financement institutionnel par le STIC, dont le but est une évaluation médico-économique comparative avec le traitement chirurgical standard. Les résultats de cette étude, initiée et coordonnée par l’équipe de chirurgie vasculaire de l’hôpital Henri Mondor et contrôlée par la DRC, l’AFFSAPS et l’HAS, seront disponibles en 2014. Cette technologie permet d’envisager le traitement de patients ayant des anévrysmes étendus et qui sont à risque chirurgical trop élevé pour une chirurgie traditionnelle. Alternativement des astuces techniques ont été développées en utilisant des stents standard mis en parallèle à l’endoprothèse pour revasculariser les artères viscérales. Dénommées par les auteurs anglo-saxons sous le terme de Chymney technique, elles sont un recours en urgence.   En pratique   Peu de maladies ont été autant investiguées que les anévrysmes de l’aorte abdominale. Même si des questions restent en suspend, l’histoire naturelle, les indications opératoires et les choix techniques reposent sur des niveaux de preuves élevés. Ces études sont particulièrement utiles pour les praticiens et les malades qui peuvent faire des choix éclairés. On peut ainsi espérer que le silent killer sera durablement maîtrisé.

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