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Thrombose

Publié le 03 mar 2009Lecture 10 min

Comment arrive-t-on au diagnostic de cœur pulmonaire chronique postembolique ?

O. SANCHEZ, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris

L’hypertension pulmonaire postembolique est liée à la persistance et l’organisation fibreuse de caillots après une ou plusieurs embolies pulmonaires. Un remodelage de la microcirculation est présente dans les territoires non occlus et participe à l’augmentation des résistances pulmonaires. L’échocardiographie couplée au cathétérisme cardiaque droit permet d’affirmer le diagnostic d’hypertension pulmonaire. La scintigraphie pulmonaire permet d’en confirmer la nature postembolique. L’angioscanner thoracique et l’angiographie pulmonaire permettent d’apprécier le siège des lésions et leur opérabilité. L’endartériectomie pulmonaire est le traitement de référence. L’utilisation des traitements anti-proliférants spécifiques représente une alternative chez les patients les plus sévères et/ou inopérables.

L'hypertension pulmonaire postembolique (HTP-PE) est liée à la persistance et l’organisation fibreuse de caillots fibrino-cruoriques après une ou plusieurs embolies pulmonaires (EP)(1). Autrefois considérée comme exceptionnelle, cette pathologie est de plus en plus souvent diagnostiquée, vraisemblablement parce que des thérapeutiques efficaces peuvent être mises en œuvre mais aussi grâce à la généralisation de l’échocardiographie et à l’amélioration des techniques d’imagerie vasculaire pulmonaire.   Épidémiologie Des séries rétrospectives an-ciennes estimaient la fréquence de survenue d’une HTP-PE entre 0,1 et 0,5 % parmi les patients survivants à une embolie pulmonaire aiguë(1). Toutefois, deux études prospectives monocentriques récentes ont rapporté des incidences nettement plus élevées. Ribeiro et coll. ont suivi prospectivement pendant 5 ans 78 patients admis pour EP, dont 4 (5,1 %) ont développé une HTP-PE(2). Pengo et coll. ont suivi 223 patients après un premier épisode d’EP pendant une durée médiane de 8 ans(3). Les auteurs ont diagnostiqué une HTP-PE chez 7 patients et rapporté une incidence cumulée de l’HTP-PE symptomatique de 1 % à 6 mois, 3,1 % à 1 an et 3,8 % à 2 ans(3). Toutefois, le délai écoulé entre l’épisode embolique initial et le diagnostic d’HTP-PE était très court (< 12 mois chez 6 des 7 patients). Cette donnée est un peu inhabituelle étant donné qu’il existe le plus souvent un intervalle libre entre l’épisode embolique initial et l’apparition des symptômes d’hypertension pulmonaire, appelé « lune de miel »(4). L’ensemble de ces éléments suggère donc que certains des patients inclus dans les études de Ribeiro et de Pengo présentaient déjà une HTP-PE méconnue au moment du diagnostic initial d’EP, à l’origine d’une surestimation de l’incidence. Ces éléments témoignent de la difficulté rencontrée pour évaluer précisément l’incidence de l’HTP-PE et ce, d’autant plus que près des deux tiers des patients n’ont pas d’antécédent thromboembolique aigu(5).   Histoire naturelle : de l’embolie pulmonaire aiguë à l’hypertension pulmonaire postembolique La mortalité précoce de l’EP est liée à la tolérance hémodynamique et au terrain sur lequel elle survient. Chez les survivants, l’évolution naturelle se fait vers la résorption des caillots sous l’action de la fibrinolyse physiologique qui permet le plus souvent une reperméabilisation quasi complète du lit artériel pulmonaire. Toutefois, des études avec suivi scintigraphique montrent que des séquelles perfusionnelles sont présentes chez 30 à 50 % des patients 1 an après une EP(6). L’évolution et le pronostic de ces patients avec séquelles perfusionnelles et notamment le risque de développer une HTP-PE ne sont pas connus. En effet, chez certains patients la résorption ne se produit pas et l’évolution se fait vers une organisation fibreuse des caillots dans les artères pulmonaires. Les raisons en sont mal comprises. Des altérations du système fibrinolytique ont été suspectées mais n’ont, à ce jour, pas été mises en évidence. Parmi les thrombophilies biologiques connues, seules la présence d’anticorps anticardiolipines et une élévation du facteur VIII sont plus fréquemment rencontrées chez les patients souffrant d’HTP-PE(7, 8). Ce défaut de résorption des caillots cause une obstruction définitive et irréversible du lit artériel pulmonaire produisant un obstacle à l’éjection du ventricule droit. De plus, un remodelage progressif de la microcirculation artérielle pulmonaire, en tout point similaire à celui observé dans l’hypertension artérielle pulmonaire idiopathique, se développe au sein des territoires non occlus dans lesquels est redistribuée la perfusion pulmonaire(9). Ces deux mécanismes participent ainsi à l’augmentation des résistances vasculaires pulmonaires et conduisent à une défaillance cardiaque droite. En l’absence de traitement, le pronostic de l’HTP-PE est sombre. Le taux de survie à 5 ans est de 30 % chez les patients ayant une PAPm > 40 mmHg au moment du diagnostic et de seulement 10 % chez les patients les plus sévères (PAPm > 50 mmHg).   Présentation clinique Deux tableaux sont classiquement décrits(4). Le premier survient chez des patients ayant des antécédents thromboemboliques connus. Après un intervalle libre variable (parfois de plusieurs années), appelé « lune de miel », ces patients décrivent l’apparition et l’aggravation progressive d’une dyspnée avec des signes d’insuffisance cardiaque droite (œdèmes des membres inférieurs, turgescence jugulaire, etc.) et parfois des syncopes. Le diagnostic d’HTP-PE peut également être fait à l’occasion d’une nouvelle récidive d’EP. Dans ce cas, la présence de pressions pulmonaires anormalement élevées pour une EP aiguë (> 50 mmHg pour la PAP systolique) doit attirer l’attention. Toutefois, un antécédent thromboembolique n’est pas retrouvé chez plus d’un patient sur deux. Dans ce cas, le patient présente des signes d’HTAP associant dyspnée, insuffisance cardiaque droite et parfois hémoptysie. Rarement, on retrouve un souffle thoracique. Il s’agit d’un souffle systolique, augmentant à l’inspiration, qui traduit l’écoulement turbulent du sang dans des territoires partiellement occlus. Ce signe est très évocateur du diagnostic.   Diagnostic Le diagnostic positif est assez simple et fait appel à l’échocardiographie et la scintigraphie pulmonaire(4). L’échocardiographie retrouve des signes typiques d’hypertension pulmonaire : dilatation des cavités cardiaques droites, septum paradoxal. Couplée au Doppler, elle permet d’affirmer le diagnostic par la mesure de la vitesse du flux de régurgitation tricuspide. Enfin, elle apprécie la fonction ventriculaire gauche. Une confirmation par cathétérisme cardiaque droit est dans tous les cas indispensable. Il permet la mesure des pressions auriculaire droite, ventriculaire droite, artérielle pulmonaire et capillaire. Le débit cardiaque est mesuré par thermodilution et les résistances vasculaires pulmonaires sont calculées. La scintigraphie pulmonaire de ventilation et de perfusion permet d’affirmer la nature postembolique de l’hypertension pulmonaire diagnostiquée à l’échocardiographie. Elle mettra en évidence des défects perfusionnels systématisés habituellement bilatéraux sans anomalie ventilatoire associée (figure 1). Figure 1. Scintigraphie pulmonaire ventilation/perfusion montrant des défects perfusionnels bilatéraux systématisés sans anomalie ventilatoire (Krypton). D’autres examens vont permettre de compléter le bilan pré-thérapeutique. L’angiographie pulmonaire confirme le diagnostic et détermine en fonction du siège proximal ou distal des lésions les possibilités d’endartérectomie pulmonaire. Cet examen doit être réalisé dans un centre expérimenté afin d’assurer une qualité technique parfaite. Cinq signes angiographiques plus ou moins caractéristiques peuvent se rencontrer : – un arrêt cupuliforme (poutching defect) de progression du produit de contraste traduisant l’obstruction complète de l’artère pulmonaire, – des irrégularités et/ou une rectitude exagérée de la paroi artérielle pulmonaire, – des changements de calibre brutaux des artères pulmonaires,des bandes transversales, correspondant à des sortes de cordages traversant et rétrécissant la lumière artérielle, – le manque de branches artérielles pulmonaires segmentaires ou lobaires avec absence de parenchymographie en regard (figure 2). Figure 2. A: Angiographie pulmonaire droite en oblique antérieur gauche 30° chez un patient présentant une HTAP postembolique sévère. Il existe une franche irrégularité de la paroi de l’artère lobaire inférieure droite associée à une amputation d’une branche de la pyramide basale droite (flèche) correspondant, sur l’angioscanner thoracique avec reconstruction MIP en coupe coronale (B), à un thrombus marginé. L’angioscanner thoracique multibarrettes fournit des informations complémentaires à celles obtenues avec l’angiographie pulmonaire en montrant l’épaississement de la paroi artérielle pulmonaire et la diminution du diamètre de la lumière artérielle par rapport à son diamètre externe (figures 2 et 3). Ces images correspondent aux thrombi marginés qui diffèrent des thrombi observés dans l’embolie pulmonaire aiguë en raison de leur important raccordement pariétal secondaire à l’organisation du thrombus qui s’incorpore dans la paroi vasculaire. Ils peuvent générer des sténoses plus ou moins importantes et donner des aspects de stries linéaires des vaisseaux artériels pulmonaires. Figure 3. Angioscanner thoracique chez un patient de 70 ans présentant une HTAP postembolique sévère 20 ans après une embolie pulmonaire aiguë. A : Thrombus marginé hypodense (flèche) proximal dans le tronc de l’artère pulmonaire droite. B : Reconstruction MIP en coupe sagittale du thrombus marginé dans le tronc de l’artère pulmonaire droite. C : La reconstruction MIP en coupe coronale met en évidence une importante hypertrophie des artères bronchiques donnant un réseau vasculaire serpigineux. L’hétérogénéité de densité du parenchyme pulmonaire, ou perfusion mosaïque, est caractérisée par la coexistence de zones de densité augmentée au sein desquelles la taille des vaisseaux pulmonaire est élevée, et de zones d’hypo-atténuation contenant des vaisseaux de calibre diminué (figure 4). Figure 4. Reconstruction coronale en projection des intensités minimales (MinIP), chez un patient avec une HTP-PE. Il existe un aspect de perfusion mosaïque majeure, avec dévascularisation de tout le lobe inférieur droit et de tout le tiers distal du poumon gauche. Bien que non spécifique, cet aspect est très suggestif d’HTP-PE, notamment en cas de systématisation à un ou plusieurs lobules pulmonaires secondaires. L’hypervascularisation systémique (surtout bronchique mais également diaphragmatiques, intercostales ou mammaires internes) est plus souvent observée (figure 3). Le diagnostic repose sur une visibilité anormale de ces artères plus que sur un critère strict de diamètre.   Traitement Il repose tout d’abord sur le traitement anticoagulant oral par antivitaminiques K à dose curative pour obtenir un INR entre 2 et 3. Il permet d’éviter les récidives thromboemboliques mais ne modifie pas le cours évolutif de la maladie. L’HTP-PE représente la seule forme curable d’hypertension pulmonaire grâce au développement de l’endartériectomie pulmonaire.   Pour la pratique   Le diagnostic d’hypertension pulmonaire postembolique est rarement fait lors du suivi d’une embolie pulmonaire aiguë mais plus fréquemment dans le cadre du bilan étiologique d’une hypertension artérielle pulmonaire. La présence de pressions pulmonaires anormalement élevées (> 50 mmHg de systolique) lors d’un épisode d’embolie pulmonaire aiguë doit faire évoquer le diagnostic d’hypertension pulmonaire post-embolique. L’échocardiographie couplée au cathétérisme cardiaque droit permet d’affirmer le diagnostic d’hypertension pulmonaire. La scintigraphie pulmonaire permet d’en confirmer la nature postembolique. La poursuite de l’anticoagulation orale à vie par AVK (INR cible 2,5) est indispensable mais ne modifie pas le pronostic. Une évaluation multidisciplinaire spécialisée, systématique et rigoureuse, de l’opérabilité des patients est toujours indispensable. L’utilisation des traitements antiproliférants spécifiques représente une alternative chez les patients les plus sévères et/ou inopérables. Endartériectomie pulmonaire Il s’agit d’une chirurgie endovasculaire qui consiste à désobstruer, sous circulation extracorporelle et hypothermie profonde (18 à 20°C), chaque artère pulmonaire et ses branches lobaires, segmentaires et sous-segmentaires. Une fois le plan d’endartériectomie trouvé, la désobstruction vasculaire nécessite un arrêt circulatoire complet afin d’éviter tout saignement provenant de la circulation systémique bronchique qui communique avec la circulation artérielle pulmonaire. Le taux de mortalité postopératoire actuel est d’environ 7 % et semble étroitement lié à la sévérité hémodynamique préopératoire(10). La sélection des patients pour cette intervention nécessite une évaluation multidisciplinaire spécialisée, systématique et rigoureuse. Les patients doivent être symptomatiques (dyspnée d’effort stade III ou IV de la NYHA) et il ne doit pas exister de comorbidités importantes. Les lésions doivent être proximales c’est-à-dire débuter au niveau des troncs des artères pulmonaires ou des artères lobaires. Enfin, il doit exister une bonne corrélation entre le niveau d’obstruction anatomique évalué sur l’imagerie et la sévérité hémodynamique évaluée sur le cathétérisme cardiaque droit. Chez les patients non opérables Chez ces patients, soit en raison d’une trop grande distalité des lésions obstructives, soit en raison de comorbidités importantes, les résultats de petites études en ouvert suggèrent que des traitements médicamenteux spécifiques de l’HTAP (époprosténol, bosentan, sildenafil, etc.) pourraient avoir un effet bénéfique à court et moyen termes. Ces traitements ciblent la dysfonction endothéliale pulmonaire et agissent sur la part de remodelage vasculaire pulmonaire. À ce jour, seules deux études randomisées contrôlées ont évalué l’efficacité et la tolérance de ces traitements. • L’étude AIR a inclus des patients atteints de différentes formes d’hypertension pulmonaire et évaluait l’efficacité de l’iloprost, un analogue stable inhalé de la prostacycline. Dans le groupe de 57 patients avec une HTP-PE, les résultats n’ont pas montré pas de bénéfice de l’iloprost sur le test de marche ou l’hémodynamique. • L’étude BENEFIT a récemment inclus 157 patients avec une HTP-PE inopérables ou non améliorés par la chirurgie (11). Ils ont été randomisés pour recevoir pendant 16 semaines un placebo ou du bosentan. Le critère principal de jugement était la modification des résistances artérielles pulmonaires (RAP) et de la distance parcourue au test de marche de 6 minutes (TM6’). Une baisse significative des RAP a été observée sous bosentan (effet traitement – 24,1 %, IC 95 % -31,5 à –16 %, p < 0,0001)(11). En revanche, aucun effet significatif sur le TM6’ n’a été observé (effet du traitement : + 2,2 m IC 95 % -22,5 à + 26,8 m, p = 0,54)(11). Un effet hémodynamique significatif du bosentan a été observé pour l’index cardiaque, la PAPm, la SvO2, et le score de dyspnée de Borg(11). Enfin, la tolérance était bonne. En cas d’échec du traitement médical, la transplantation pulmonaire ou cardio-pulmonaire demeure la seule alternative chez les patients jeunes (< 60 ans) sans comorbidités importantes.   En pratique L’HTP-PE est une affection sévère, probablement sous-diagnostiquée, dont l’incidence et la prévalence ne sont pas bien connues. Sa prise en charge thérapeutique s’est considérablement améliorée ces dernières années grâce au développement de l’endartériectomie pulmonaire qui représente le traitement de référence et la seule option curative. L’utilisation des traitements antiproliférants spécifiques représente une alternative chez les patients les plus sévères et/ou inopérables en raison de la mise en évidence d’un remodelage vasculaire pulmonaire dans les territoires non occlus. Un évaluation rigoureuse de ces traitements dans des essais contrôlés reste néanmoins indispensable.

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