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Thrombose

Publié le 19 sep 2006Lecture 12 min

Comment traiter un coronarien qui nécessite un traitement par AVK ?

E. FERRARI, C. CROUZET, P. DAHAN, C. MOISAN et P. CERBONI, Service de cardiologie, CHU de Nice

L’association d’un antivitamine-K (AVK) et d’un antiagrégant plaquettaire (AAP) est une prescription qui se présente régulièrement et peut poser de réels problèmes pratiques.

Une association contre-indiquée ? Il n’est pas anodin d’associer un antiagrégant et une antithrombine à tel point que les recommandations de l’American College of Chest Physicians (ACCP) de 1998 statuaient « qu’il ne faut pas associer AVK et aspirine et que lorsqu’un patient a besoin de l’AVK, l’aspirine doit être arrêtée » ! Les choses ont évolué depuis et deux extrêmes sont à éviter : • il serait en effet préjudiciable de priver un patient qui aurait besoin de cette association car il existe des situations où les deux traitements sont nécessaires ; • l’autre écueil serait de galvauder cette bithérapie : on ne peut pas associer « impunément » une antithrombine et un antiagrégant. Il y a un prix à payer pour le patient qui est un surrisque hémorragique. Il faut donc peser le pour et le contre, autrement dit, le bénéfice que l’on peut en espérer mais aussi le risque pour chaque patient. Dans la balance bénéfice/risque, il faudra aussi mesurer le gain potentiel de l’un et de l’autre antithrombotique dans l’indication pour lequel il n’est pas a priori prescrit. Par exemple, chez un patient coronarien porteur d’une valve mécanique, l’AVK peut apporter un bénéfice sur le problème coronarien mais l’aspirine peut aussi apporter un bénéfice sur la valvulopathie. Nous allons revoir les principales situations que pourrait rencontrer tout prescripteur potentiel de l’association AAP + AVK. L’AVK est-il absolument indispensable ? La première question à se poser : une phase importante de la décision thérapeutique. • Un AVK a pu être prescrit depuis longtemps pour une indication « non consensuelle » : un athérome ectasiant coronarien, l’existence d’une thrombophilie mineure chez un sujet qui aurait présenté un seul épisode de thrombose veineuse profonde… • En revanche, la question ne se pose pas par exemple chez un sujet porteur d’une valve mécanique, dans la FA lorsque les classiques facteurs de risque embolique sont associés, a fortiori dans la FA rhumatismale, ou au moins provisoirement chez un patient porteur d’un thrombus du ventricule gauche. Y a-t-il un risque hémorragique particulier ? Question en théorie majeure, dont la réponse en pratique est extrêmement difficile. Si, dans les études de la littérature, certains facteurs de risque ressortent : l’âge, le faible poids corporel, le sexe féminin, ces résultats n’ont qu’une réalité statistique. Nous avons malheureusement tous eu à déplorer une complication hémorragique grave chez un patient jeune de sexe masculin et de poids normal. Le risque hémorragique majeur, qui vient d’être argumenté indirectement dans la littérature (nous y reviendrons) est l’observance du patient et sa capacité à participer à la gestion de son traitement. Il est capital de « mesurer » cette observance thérapeutique du malade en début de traitement mais aussi régulièrement. Il faut rejeter tout « a priori » en sachant que le niveau social des patients n’est pas le seul élément qui entre en compte dans cette compréhension. Des patients illettrés mais motivés et ayant bien compris la nécessité du traitement AVK peuvent s’avérer de très « bons candidats» qui géreront parfaitement bien leur traitement. La bonne observance du patient réduit le risque hémorragique. Peut-on diminuer l’INR cible en espérant diminuer le risque de saignement ? Clairement non. Pourtant, cela pourrait paraître logique de diminuer le niveau de « décoagulation » en espérant diminuer le risque hémorragique. • Dans la pratique, cette attitude est démontrée inefficace. Le meilleur exemple est probablement la fibrillation auriculaire. Hylek démontre que : • un INR à 1,7 au lieu de 2,0 multiplie par 2 le risque d’AVC ; • un INR à 1,5 multiplie le risque d’AVC par 3,3 ; • un INR à 1,3 le multiplie par 6 ! Le prescripteur timoré pourrait se dire alors qu’un AVC qui surviendrait avec un INR plus bas serait également moins grave, avec un moindre risque d’hémorragie secondaire… Or le même Hylek démontre exactement le contraire : le taux de décès dû à l’AVC est de l’ordre de 1 % lorsque l’INR au moment de l’accident cérébral est > 2 contre 9 % quand cet INR est < 2. Mais aussi le taux de décès global à J30 après un AVC est de 6 % lorsque l’INR est > 2 contre 16 % lorsque l’INR est < 2. Autrement dit, non seulement un INR bas ne protège pas des accidents emboliques, mais lorsque ceux-ci surviennent, ils sont « plus graves » lorsque l’anticoagulation était inefficace. • En pathologie coronaire, dans le cadre de la prévention secondaire, et malgré un traitement concomitant par aspirine, il est aussi parfaitement bien démontré qu’un INR cible < 2 n’apporte pas de bénéfice. L’étude CHAMPS (Controlled High-risk subjects Avonex™ Ms Prevention Study) qui portait sur plus de 5 000 patients ayant récemment présenté un IDM (< 14 jours) n’a pas montré de bénéfice lorsque la warfarine (avec un objectif d’INR cible entre 1,5 et 2,5) était associée à 80 mg d’aspirine contre de l’aspirine seule (162 mg). Après 2,7 ans de suivi, on ne constatait aucun bénéfice dans le groupe AVK + aspirine, mais un surcroît d’hémorragies. Dans ce travail, il est important de noter que, bien que l’INR cible théorique se situait entre 1,5 et 2,5, l’INR moyen obtenu était de 1,8. Il s’agissait bien d’une hypocoagulation très modérée. L’étude CARS (Coumadine Aspirin Reinfarction Study) et l’étude OASIS (Organization to Assess Strategies for Ischemic Syndromes) (avaient déjà montré qu’un INR trop bas (respectivement 1,4 et 105) est inefficace en prévention secondaire. Cette règle d’un manque d’efficacité de l’AVK à faible dose reste vraie, y compris lorsqu’on associe de l’aspirine. Dans l’étude SPAF III (Stroke Prevention in Atrial Fibrillation) (Lancet 1996) la bithérapie par AVK à faible dose (avec un INR à 1,3) + aspirine a entraîné un taux d’AVC et d’embolies systémiques de 7,9 contre 1,9 % chez les patients traités par AVK avec un INR habituel (2-3). L’étude NASPEAF NAtional Study for Prevention of Embolism in Atrial Fibrillation (Perez-Gomez JACC 2004) a testé, sur des FA à risque intermédiaire d’embolie, soit un AAP seul : il s’agissait du trifusal (600 mg/j) soit l’AVK seul (avec un INR habituel entre 2 et 3) soit l’association des deux avec pour l’AVK un INR cible entre 1,25 et 2. Après 2,8 ans de suivi, l’association de l’antiagrégant et de l’AVK s’avère supérieure à l’AVK seul ou à l’AAP seul : RR d’événements emboliques = 0,33 [0,12-0,91]. Mais l’INR moyen chez ces patients à risque intermédiaire était en fait de 1,8. La même étude avait testé chez des patients à haut risque embolique l’AVK seul contre l’antiagrégant + l’AVK. L’INR cible cette fois-ci était entre 1,4 et 2,4. L’association s’avère là aussi meilleure que l’AVK seul : RR d’événements emboliques = 0,51 [0,27-0,96]…. mais, là aussi, les cliniciens avaient fait en sorte de rester dans le haut de la fourchette de l’INR cible : en moyenne 2,2. Si un patient coronarien a absolument besoin de l’AVK peut-être peut-on se dispenser de l’aspirine ? Autre question pertinente. Les nombreuses études des années 1980-90 sur la prévention secondaire utilisant un antivitamine K après un événement coronarien nous ont appris que l’AVK seul est très efficace lorsqu’on le compare au placebo avec globalement un bénéfice sur le seul critère de mortalité de près de 35 % dans l’étude SIXTY et de 25 % dans WARIS, et un bénéfice de 40 à 50 % sur la récidive d’infarctus. Il faut noter que l’anticoagulation recherchée était importante avec des INR cibles (même si à l’époque l’INR n’existait pas) entre 2,7 et 4,5 pour Sixty-Plus Reinfarction Study, entre 2,8 et 4,8 pour WARIS WArfarin ReInfarction Study) et pour ASPECT (Anticoagulants in the Secondary Prevention of Events in Coronary Thrombosis). Si un coronarien a donc absolument besoin d’un traitement AVK avec un INR élevé, le bénéfice portera aussi sur les événements coronariens. Est-ce à dire que nous n’avons plus besoin d’aspirine chez les coronariens traités par AVK à forte dose ? L’étude ASPECT II menée sur près de 1 000 patients abonde dans ce sens puisque, chez des coronariens avérés, la comparaison des trois traitements – aspirine seule ; AVK [INR à 2,4] + aspirine ; AVK seul [INR à 3,4] – montre la supériorité des deux « bras » AVK en termes d’événements thrombotiques et de décès à 1 an versus l’aspirine seule : respectivement 5 vs 9 %. Le groupe AVK seul, à bonne dose, fait moins saigner que le groupe AVK à dose moyenne plus aspirine et s’avère ainsi le traitement avec lequel survient le minimum d’événements au bout de 18 mois. Mais il s’agit de la seule étude allant dans ce sens. Dans un schéma très similaire, menée cette fois chez plus de 3 600 patients, l’étude WARIS II montre, elle aussi, une supériorité des deux bras AVK versus l’aspirine mais une supériorité, cette fois, de l’association AVK [INR à 2,2] + aspirine vs AVK [INR à 2,8] seul. On aurait envie de conclure qu’un INR à 3,4 est plus efficace qu’un INR à 2,4 + aspirine, mais qu’un INR à 2,8 est moins efficace qu’un INR à 2,2 + aspirine… Trois métaanalyses ont fait le point sur tous ces résultats, pas complètement simples à intégrer, d’autant que certaines données sont contradictoires. • La métaanalyse de Yusuf (2003) concluait, sur plus de 20 000 patients que : • un traitement AVK avec INR > 2,8 réduit significativement les événements thrombotiques en augmentant le risque de saignement ; • un traitement AVK dit modéré [INR entre 2 et 3] réduit aussi les événements thrombotiques par rapport aux témoins ; • l’association AVK à dose modérée + aspirine est plus efficace et pas plus dangereuse que l’aspirine seule (?!) ; • en revanche, un traitement AVK à faible dose [INR < 2] n’est pas plus efficace que l’aspirine mais augmente le risque hémorragique. Comment, le bon sens clinique, pourrait-il admettre qu’un traitement AVK avec un INR < 2 ferait plus saigner que l’aspirine alors que l’association AVK efficace plus aspirine ne ferait pas plus saigner que l’aspirine ? Il faut souvent « raison garder » au-delà des résultats des études de la littérature. Très récemment deux autres métaanalyses sont parues à quelques semaines d’intervalle. Leur message apparaît très clair. • La métaanalyse de Rothberg MB (2005) qui n’intègre que les études dans lesquelles l’aspirine seule est comparée à l’association AVK avec INR > 2 + aspirine. Cette métaanalyse prend ainsi en compte 10 essais, totalisant près de 6 000 patients. Elle conclut que : • l’association diminue le risque d’IDM de 44 % ; • diminue aussi le risque d’AVC de 54 % ; • diminue le taux de revascularisation de 20 %. Tout cela sans diminuer la mortalité et au prix d’une augmentation par 2,5 du risque hémorragique (hémorragies graves). Il faut alors traiter 16 diabétiques coronariens pendant 3 mois pour éviter un IDM ou un AVC alors qu’une hémorragie grave surviendra au bout de 333 traitements entrepris. • La métaanalyse d’Andreotti F et coll. (Eur Heart J 2005) pose la même question ; elle repose sur 14 essais et inclut plus de patients en raison de l’absence de limite quant au niveau de l’INR. Ses conclusions sont : • si l’on n’impose pas un certain niveau d’anticoagulation, l’association AVK + aspirine n’entraîne pas de bénéfice sur les événements thromboemboliques (RR = 0,96 [0,90-1,03]) ; • mais elle majore le risque hémorragique (RR = 1,77 [1,47-2,13]) ; • en revanche, lorsque l’INR se situe entre 2 et 3, il existe un bénéfice clair sur les événements thromboemboliques (RR = 0,73 [0,63-0,84] p < 0,0001) au prix d’une majoration du risque hémorragique (RR = 2,32 [1,63-3,29]). Cela correspond alors à la nécessité de traiter 33 patients pour éviter 1 événement alors qu’un saignement surviendra pour les 100 patients traités. La conclusion est donc qu’il faut privilégier l’association AVK + aspirine chez les patients à haut risque de récidive et à faible risque hémorragique mais en visant un INR > 2.   Quid chez le porteur de valve ? Chez le patient coronarien porteur d’une valve mécanique, et nécessitant donc un AVK, il est établi que l’adjonction d’aspirine est possible et bénéfique au prix d’une augmentation du risque hémorragique. Plusieurs essais randomisés on permis d’arriver à cette conclusion clairement explicitée dans les guidelines nord-américains de l’ACCP (Chest 2004). Le risque d’événements thromboemboliques est significativement diminué (RR = 0,33 [0,19-0,58]), toujours au prix d’une majoration du risque hémorragique (RR = 1,58 [1,02-2,44]) avec un effet variable sur la mortalité de toutes causes en fonction des études prises en compte (RR = 0,72 [0,29-1,83]), mais possiblement un bénéfice sur la mortalité coronarienne.   Comment optimiser le traitement AVK quand on en attend un bénéfice ? Il faut revenir sur ce qui est probablement le risque majeur d’hémorragie lors des traitements par antivitamine K : la mauvaise gestion du traitement. Il est clair qu’une meilleure gestion du traitement AVK est l’assurance d’un moindre risque hémorragique. Le très récent travail de Heneghan qui est une métaanalyse sur l’apport de l’autocontrôle et de l’autogestion du traitement par AVK montre le bénéfice que l’on peut attendre d’une meilleure gestion : 39 % de réduction sur le seul critère mortalité, 55 % de réduction des événements thromboemboliques, 35 % de baisse des hémorragies majeures en faveur de l’autosurveillance. Un bénéfice encore plus important lorsque le patient gère lui-même ses posologies d’AVK en fonction des résultats avec 63 % de réduction des décès ! Cela veut sûrement dire que le fait qu’un patient puisse « s’auto-surveiller » devient un critère majeur d’optimisation du traitement AVK avec une majoration du bénéfice attendu et une diminution du risque hémorragique. Cette confirmation de la possibilité d’une bien meilleure gestion des AVK avec un bénéfice substantiel tant en termes de complications thrombotiques que de saignements est d’autant plus importante que la première antithrombine per os, le mélagatran, qui devait être le « croque-mort » des AVK, va finalement être retirée du marché.   Peut-on associer aspirine + clopidogrel et antivitamines K ? Cette situation survient chez un patient qui nécessite la mise en place d’une endoprothèse coronaire et qui aurait par ailleurs un besoin impératif des AVK. Dans cette situation, on peut difficilement s’affranchir de la bithérapie antiagrégante qui a démontré sa supériorité dans la prévention de la thrombose aiguë et subaiguë de stent coronaire, le bénéfice attendu étant une diminution de 2 à 0,5 % (en valeur absolue) du risque de thrombose de stent. Il s’agit d’un événement grave, puisque corrélé à la survenue d’un IDM ou d’un décès dans plus de 50 % des cas. Plusieurs recommandations sont publiées, pas toujours concordantes. Pour Antman, lorsqu’il existe une indication aux AVK, il faut garder aspirine (entre 75 et 162 mg/j) + clopidogrel (75 mg/j) pendant 1 mois si stent nu ; 3 mois si stent sirolimus ; 6 mois si stent paclitaxel. Ces recommandations ne reposent pas sur grand chose puisque ces patients « sous » AVK ne sont qu’exceptionnellement inclus dans les études de la littérature. Conseils par ailleurs publiés rapidement (trop ?) avant que ne surviennent les cas décrits de thrombose tardives de stents. Dans les récentes recommandations de l’AHA/ACC 2005, la dose d’aspirine conseillée après stenting est de 325 mg. Peut-on conserver cette dose chez un patient sous AVK ? Cela ne nous semble pas légitime. Faut-il favoriser les stents nus par rapport aux stents actifs en espérant limiter la durée du traitement ? Cela pourrait paraître pertinent. Mais si le stent nu doit entraîner 4 à 5 fois plus de resténose avec à chaque fois la nécessité d’un nouveau cathétérisme chez un sujet nécessitant un AVK puis la prescription au moins provisoire d’une trithérapie antithrombotique, le stent pharmacoactif est alors peut-être plus rentable. Les 10 messages essentiels pour un patient nécessitant un traitement AVK pourraient être : 1) On peut et on doit parfois associer AVK + aspirine chez un coronarien, soit du fait de sa coronaropathie elle-même, soit du fait d’une autre pathologie nécessitant l’AVK. 2) L’indication de l’AVK doit cependant être parfaitement pesée. 3) Le risque hémorragique est multiplié par 2. 4) L’INR cible doit être > 2 si l’on espère un bénéfice. 5) L’association sera favorisée chez les sujets à haut risque de récidives. 6). Elle sera évitée chez les sujets à haut risque hémorragique. 7) La gestion du traitement AVK doit être évaluée de façon répétée. 8) Cette gestion sera optimisée éventuellement grâce à l’auto-surveillance (qui devrait enfin être possible en France sous peu). 9) Lorsque l’AVK est nécessaire à forte dose (INR > 3,5 : valvulaire) chez un patient à risque hémorragique, on peut probablement se passer de l’aspirine. 10) Un patient peut nécessiter, du moins momentanément, l’association à une bithérapie antiagrégante lors de la mise en place d’une endoprothèse coronaire.

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