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Diabéto-Cardio

Publié le 07 oct 2008Lecture 11 min

Conduite à tenir chez un diabétique qui ne se plaint de rien

J. MACHECOURT, CHU de Grenoble

Le premier but du praticien est d’améliorer les signes fonctionnels, et en particulier de calmer les douleurs du patient qui vient le consulter. Ces deux dernières décennies, à cette vocation historique, s’est ajouté un deuxième objectif thérapeutique : améliorer le pronostic du patient, notamment celui qui est menacé par un risque de survenue d’un décès ou d’un infarctus du myocarde. Or, il est bien connu que la présence du diabète est un facteur de risque indépendant de survenue d’un accident cardiovasculaire létal ou non.

Il y a dix ans déjà, Haffner avait montré que le risque de survenue d’un décès ou d’un accident cardiovasculaire chez un diabétique asymptomatique de type 2 est aussi élevé que celui d’un patient non diabétique qui a déjà présenté un événement cardiovasculaire. Même si ultérieurement cette affirmation a été nuancée par d’autres études ou registres, il n’en reste pas moins que le diabétique présente un risque cardiovasculaire élevé, même en absence de symptômes. En effet, une deuxième particularité de la maladie coronarienne chez le diabétique est son caractère volontiers silencieux. Ceci étant dit, existe-t-il des stratégies de prise en charge de ces patients qui sont susceptibles de diminuer ce risque cardiovasculaire ? Toutes les mesures visant à améliorer l’équilibre du diabète (mesures hygiénodiététiques et prise en charge médicamenteuse) sont une étape préliminaire indispensable (études UKPDS), sur laquelle nous n’insisterons pas. En revanche, le praticien cardiologue, à juste titre, se pose deux questions : – doit-il imposer à son patient asymptomatique des traitements médicamenteux souvent lourds, parfois mal tolérés ? – doit-il proposer une stratégie interventionnelle pouvant aboutir à une revascularisation myocardique ?   Les traitements médicamenteux : ils sont susceptibles de réduire le risque cardiovasculaire de certains patients diabétiques L’étude STENO-2 en 2003 avait montré une réduction de plus de 50 % de la survenue des événements cardiovasculaires majeurs avec un recul de 8 ans chez des diabétiques de type 2 présentant au moins comme marqueurs de risque associés une microalbuminurie. Dans cette étude était comparée l’évolution d’un groupe de patients dont le traitement était laissé à la discrétion du praticien et un groupe de patients soumis à une thérapeutique pharmacologique vigoureuse et complète. Celle-ci comprenait en particulier le traitement par l’aspirine, les bêtabloquants, les statines et les antihypertenseurs au besoin. L’intérêt de ces familles thérapeutiques prises individuellement a été démontré depuis quelques années (figure 1) : Tel est le cas du traitement bêtabloquant qui, dans l’étude de Tienne par exemple, réduit la mortalité de 5 points en valeur absolue (10,7 versus 7,5 %), c'est-à-dire une diminution du risque relatif identique à celle du patient non diabétique. Figure 1. Efficacité des traitements médicamenteux sur le pronostic cardiovasculaire du patient diabétique. À noter que la notion classique d’hypoglycémie induite par les antidiabétiques n’a pas été retrouvée par exemple dans l’étude UKPDS. Le traitement par l’aspirine a aussi fait la preuve de son efficacité. Il n’a pas démontré un excès significatif d’hémorragie rétinienne chez les patients porteurs de rétinopathie diabétique (Étude EDTRS). Dans le sous-groupe de 4 000 patients diabétiques de l’étude CAPRIE, il a été noté un bénéfice supplémentaire du clopidogrel sur l’aspirine (critère composite de survenue d’événements cardiovasculaires). Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion ont aussi montré leur intérêt chez les diabétiques, même en dehors d’une HTA associée : c’est le cas du ramipril à la dose de 10 mg par jour (étude MICRO HOPE) ou encore du périndopril pour le sous-groupe des patients diabétiques de l’étude EUROPA. L’étude ADVANCE (association périndopril-indapamide) va dans la même direction. Bien entendu, lorsque le patient diabétique présente de plus une HTA le contrôle de cette HTA par IEC, bêtabloquant ou ARAII apparaît particulièrement impérieux ; la cible thérapeutique sera une tension ≤ 130/85 mmHg, voire moins en cas de néphropathie. La métaanalyse de Pahor et Furber en 2002 ne permet pas de reconnaître un avantage particulier d’une classe d’antihypertenseur sur une autre. Quant à la nécessité de la correction de dyslipidémie et notamment la place des statines chez ces patients, elle a été montrée d’assez longue date dans l’analyse des sous-groupes de patients diabétiques des grandes études et plus récemment dans une étude spécifique chez le diabétique (étude CARDS). La réduction de survenue des événements coronariens majeurs chez le diabétique oscille de 20 % à 6 ans dans l’étude LIPID, à 55 % à 5 ans dans l’étude 4S. Cela a conduit aux recommandations de l’AFSAPPS de 2005 qui fixent un objectif LDL-cholestérol à moins d’1 g/l chez le patient diabétique de type 2 à haut risque vasculaire (c'est-à-dire présentant une atteinte rénale ou plus de deux facteurs de risque). Certaines recommandations comme celles de la Société européenne de cardiologie définissent même des objectifs de LDL plus bas (2,5 mmol/l voire 2 mmol/l soit 77 mg/dl lorsque cela est possible). Cet objectif peut être atteint soit avec une monothérapie par une statine, soit grâce à une association thérapeutique. En somme, chez le patient diabétique de type 2 une prise en charge « BASIC » est nécessaire. Cette intervention thérapeutique est d’autant plus nécessaire que le patient cumule des facteurs de risque associé au diabète. Bien entendu, le praticien modulera et adaptera ces traitements à leur tolérance par le patient, en sachant que les effets indésirables sévères, notamment du point de vue de la fonction rénale, sont rares.   La revascularisation myocardique chez le diabétique asymptomatique est-elle utile ? Si oui, chez quel patient ? Le concept même d’une revascularisation myocardique préventive chez des patients asymptomatiques, donc dans le seul but d’améliorer leur pronostic, manque souvent de preuves de son utilité. Ainsi, l’étude de Mac Falls chez des patients devant subir une chirurgie vasculaire réglée ne montre pas de bénéfice d’une revascularisation myocardique préventive étayée par une recherche préalable d’ischémie myocardique ; la récente étude COURAGE qui intéressait des patients présentant à la fois des symptômes d’angor stable et la présence d’une ischémie myocardique sur les tests fonctionnels montre aussi qu’il faut attendre que le patient échappe à un traitement médical « BASIC » bien conduit pour proposer une revascularisation myocardique. Cependant, lorsqu’on examine de près ces deux études randomisées, on note que la grande majorité des patients inclus ne présentaient qu’une ischémie myocardique limitée ; les patients présentant l’ischémie la plus profonde avaient été exclus. On sait de longue date qu’une ischémie profonde correspond à un patient avec un mauvais pronostic et que, lorsque la coronarographie détecte la présence de lésions coronaires sévères, tritronculaires voire l’atteinte du tronc commun gauche, on peut penser que la revascularisation myocardique doit améliorer le pronostic de ces patients. Dans le cas du patient diabétique, ce raisonnement intuitif est aléatoire du fait des insuffisances bien connues des méthodes de revascularisation myocardique. Dans l’étude BARI, datant d’une dizaine d’années, l’angioplastie coronaire montrait de mauvais résultats par rapport au pontage chez le patient diabétique, avec un excès de mortalité. Actuellement, chez le diabétique, il est recommandé d’implanter des stents actifs, car leur taux de resténose clinique est fortement diminué comparativement au stent nu dans cette population à haut risque de resténose. Cependant, ces stents actifs n’améliorent pas, par rapport au stent nu, le pronostic cardiovasculaire. De plus, leur taux de thrombose tardive voire très tardive est plus élevé, notamment chez le patient diabétique multitronculaire comme nous l’avons montré par exemple dans l’étude EVASTENT. La chirurgie coronaire elle-même donne des résultats moins satisfaisants chez les diabétiques que chez les non diabétiques, en particulier si les pontages mammaires ne sont pas implantés systématiquement. Ainsi, une série impressionnante de près de 150 000 patients opérés, dont 42 000 diabétiques, montre que le taux d’événements sévères est augmenté de 60 % chez les diabétiques pontés par rapport aux patients non diabétiques. Il n’existe pas d’étude randomisée dans la littérature attestant de manière certaine que la revascularisation myocardique doive être effectuée chez le diabétique asymptomatique. Certaines sont en attente, comme l’étude BARI 2. Cela a conduit certaines sociétés savantes à ne pas recommander la recherche de l’ischémie suivie d’une stratégie invasive chez de tels patients asymptomatiques (AHA prévention conférence : Risk assessment in persons with diabetes 2002). Toutefois, certaines données indiquent, avec un niveau de preuve modéré, qu’une telle stratégie de revascularisation, myocardique puisse être utile dans le sous-groupe des patients à très large ischémie. Hachamovitch en 2003, en observant le devenir des patients présentant une ischémie myocardique de plus de 20 % du myocarde traitée médicalement ou par revascularisation myocardique, note un pronostic plus défavorable dans le groupe traité uniquement de manière médicale (le taux de mortalité annuel passant de 2 % dans le groupe chirurgical à 6,7 % dans le groupe uniquement traité de manière médicale). Ce résultat est noté aussi bien chez le patient diabétique que chez le patient non diabétique. Dans l’étude ARCADIA (Assessment of Risk for Cardiovascular Accident in DIAbetes), publiée récemment par notre groupe, un peu moins de 10 % des patients diabétique à risque clinique modéré ou élevé ont bénéficié d’une revascularisation myocardique devant la constatation d’une ischémie myocardique étendue à la scintigraphie de perfusion ; l’évolution clinique de ces patients est apparue favorable. L’argument probablement le plus convaincant en faveur de cette revascularisation myocardique de ces patients diabétiques est le fait que, suite à la découverte d’une ischémie étendue, des lésions coronaires importantes, voire parfois impressionnantes (sténoses du tronc commun, sténose tritronculaire) sont découvertes chez ces patients asymptomatiques. La revascularisation myocardique devrait améliorer leur pronostic comme dans la population des patients symptomatiques. Un point en suspens est de définir quelle est la meilleure stratégie de revascularisation (pontage aortocoronaire ou angioplastie coronaire y compris avec stent actif). Les résultats à venir de certaines études comme les études SYNTAX et FREEDOM devraient prochainement nous éclairer sur ce point.   L’algorithme de prise en charge des patients diabétiques asymptomatiques   Une étape préliminaire : apprécier le risque cardiovasculaire clinique du patient Tous les patients diabétiques ne sont pas à risque cardiaque élevé. Inversement, certains facteurs augmentent de manière géométrique ce risque (étude MRFIT). Or, cette évaluation du risque cardiaque repose d’abord et avant tout sur des paramètres cliniques simples à établir. Ces paramètres ont été détaillés dans les recommandations de la Société française de cardiologie et de l’ALFEDIAM en 2004, et sont résumés dans la figure 2 : on peut les séparer entre facteurs de risque traditionnels de la maladie coronarienne (comme par exemple les antécédents familiaux cardiovasculaires, le sexe, l’âge et la présence d’une dyslipidémie athérogène), des facteurs de risque plus spécifiques aux diabétiques (comme l’ancienneté du diabète, son caractère insulino-nécessitant, ou la présence d’une néphropathie qui peut se limiter à une simple micro-albuminurie), la présence d’une atteinte macrovasculaire associée (artériopathie des membres inférieurs ou carotidienne) ou l’existence sur l’électrocardiogramme de repos d’une hypertrophie ventriculaire gauche ou de trouble de repolarisation cardiaque. Figure 2. Les marqueurs cliniques du risque cardiovasculaire chez le diabétique. À noter que tous ces facteurs ne sont pas à égalité : en particulier l’existence d’une néphropathie ou d’une artériopathie macrovasculaire présente une valeur prédictive plus élevée. Ainsi, un patient diabétique qui présente plus de deux des facteurs de risque suscités ou l’un des deux marqueurs majeurs de risque est un diabétique à risque cardiovasculaire élevé. Ces patients bénéficieront alors particulièrement d’une prise en charge coordonnée de leur diabète, des facteurs de risque modifiables associés et du traitement médical.   Faut-il effectuer des explorations complémentaires chez ce diabétique de type 2 avec facteurs ou marqueurs de risque associés ? Les recommandations des sociétés savantes préconisent en général la recherche de l’ischémie myocardique chez le patient diabétique à risque clinique élevé. Tel est le cas des recommandations SFC-ALFEDIAM, publiées en 2004 : la recherche de l’ischémie myocardique silencieuse est conseillée chez les diabétiques à risque clinique élevé de type 1 ≥ 45 ans ou les diabétiques de type 2 âgés > 60 ans ou à évolution ancienne (figures 3 et 4). L’électrocardiogramme d’effort conventionnel est conseillé en premier, notamment quand l’électrocardiogramme de repos ne présente pas de trouble de repolarisation. En effet, une telle épreuve d’effort atteignant une charge suffisante sans modification ischémique représente un pronostic cardiovasculaire satisfaisant puisque le taux d’événements cardiovasculaires est alors < 1% par an (étude MISAD 2003). Cependant, de tels patients justifieront d’une prise en charge médicamenteuse. Lorsque, au contraire, cette épreuve d’effort conventionnel démasque des symptômes ischémiques de mauvais pronostic (seuil ischémique bas, récupération lente, sous-décalage de ST important, voire associé à une chute pressionnelle), une stratégie invasive apparaît raisonnable. Figure 3. Le principe de la sélection des patients pour lesquels la recherche de l’ischémie myocardique silencieuse par les tests fonctionnels est licite chez le patient diabétique. Figure 4. L’algorithme de la recherche de l’ischémie silencieuse chez le patient diabétique. Dans de nombreux cas cependant, cette épreuve d’effort n’est pas entièrement conclusive : sous-maximale, litigieuse, faiblement ischémique voire impossible à réaliser. La recherche de l’ischémie myocardique par une scintigraphie de perfusion est alors hautement recommandée. Dans une étude datant de 1999 de notre groupe, il avait été noté que la présence d’une ischémie myocardique étendue ou pluri focale (atteignant 20 % ou plus du myocarde) correspondait à un risque de décès cardiovasculaire à 2 ans de 11 % et d’événement cardiovasculaire majeur > 20 %. D’autres groupes ont noté des éléments identiques, même en ajustant les données de la scintigraphie à l’importance des facteurs de risque associés. À noter que l’échographie de stress sous dobutamine a, elle aussi, montré une valeur prédictive intéressante, même si la valeur prédictive négative de l’écho de stress est un peu inférieure à celle de la scintigraphie myocardique.   En pratique   Le cardiologue a un rôle important dans la surveillance du patient diabétique asymptomatique. Son premier objectif sera d’évaluer, sur des critères cliniques simples, le risque évolutif cardiovasculaire. Ensuite, en collaboration avec le médecin référent et le diabétologue, il établira l’ordonnance de prise en charge, sur la base des enseignements apportés par la médecine factuelle. La place des explorations fonctionnelles à la recherche d’une ischémie silencieuse est plus débattue. En tout cas, dans l’attente d’études randomisées sur ce sujet, bientôt disponibles, les indications de revascularisation myocardique préventives doivent rester l’exception, limitées aux patients diabétiques présentant une ischémie myocardique silencieuse étendue. Ce qu’il faut retenir : 1. Le patient diabétique, même asymptomatique, est un patient à plus haut risque cardiovasculaire. Une stratification de ce risque sur des éléments cliniques simples permet de discriminer ceux à risque bas de ceux à risque modéré ou élevé. 2. Outre les mesures d’éradication des facteurs de risque et d’équilibre de la glycémie qui s’imposent à tous les patients diabétiques, ceux à risque clinique modéré ou élevé doivent bénéficier en plus d’un traitement « BASIC », qui a fait la preuve de son efficacité à visée pronostique. 3. Chez les patients diabétiques à risque clinique modéré ou élevé, la recherche par des tests fonctionnels (ECG effort, isotopes ou écho de stress) d’une ischémie myocardique silencieuse est généralement recommandée. 4. Dans l’attente de preuves définitives que devraient apporter assez rapidement certaines études randomisées en cours, il est raisonnable de proposer une stratégie invasive suivie éventuellement d’une revascularisation myocardique préventive lorsque, après l’étape 3, le patient présente la conjonction d’une ischémie myocardique étendue (> 20 % du myocarde) et de lésions coronaires sévères. Ces revascularisations préventives doivent rester l’exception.

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