Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 15 nov 2011Lecture 7 min
Dernières recommandations sur l’anticoagulation de la fibrillation atriale : européennes, canadiennes, américaines, les Européennes sont-elles obsolètes ?
J.-Y. LE HEUZEY, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris
12es Journées de rythmologie
L’histoire des recommandations en matière de fibrillation atriale remonte aux quelques années qui ont précédé l’an 2001. Depuis, les recommandations n’ont cessé d’être modifiées. Avec l’arrivée de nouvelles thérapeutiques anticoagulantes, on peut réellement se demander si ces recommandations sont à jour.
Sur l’initiative de Valentin Fuster et Lars Ryden, un groupe de cardiologues représentant à la fois l’American College of Cardiology, l’American Heart Association et l’European Society of Cardiology a décidé de rédiger et de publier des recommandations sur la fibrillation atriale. À l’époque, les recommandations concernant l’anticoagulation étaient relativement complexes, car on proposait de l’aspirine ou des antivitamines K selon 7 catégories différentes de patients. La même année, en 2001, Brian Gage a publié dans le JAMA une étude proposant un score de risque, le score CHADS2. En 2004, un groupe de collègues américains, ACCP (American College of Chest Physicians) a publié dans la revue Chest de nouvelles recommandations simplifiées, en partageant les patients en 3 catégories : risque bas, risque intermédiaire ou risque élevé. Pour le risque bas, on proposait de l’aspirine à la dose de 325 mg, pour le risque élevé des anticoagulants oraux avec un INR cible entre 2 et 3 et pour le risque intermédiaire, qui était constitué par les patients âgés de 65 à 75 ans et sans facteur de risque thromboembolique, la possibilité d’utiliser soit les antivitamines K soit l’aspirine.
En 2006, les recommandations de 2001 ont été mises à jour et de nouveau publiées, toujours sous la direction de Valentin Fuster et Lars Ryden. La situation s’était simplifiée, calquée de façon assez proche de la proposition de l’ACCP avec la définition de facteurs de risque modérés et élevés, les facteurs de risque modérés étant l’âge > 75 ans, l’hypertension artérielle, le diabète, l’insuffisance cardiaque, la fraction d’éjection ≤ 35 %, les facteurs de risque élevés étant constitués par l’existence d’un accident vasculaire cérébral, d’un accident ischémique transitoire ou d’une embolie systémique préalables. La même année, en 2006, Brian Gage a également publié dans l’American Heart Journal une proposition de score de risque hémorragique, baptisé HEMORR2HAGES. Ce score était très compliqué, sur 12 points, et n’a pratiquement pas été utilisé, étant donné sa difficulté de mémorisation.
En 2008, le groupe de l’ACCP a publié une mise à jour dans Chest, reprenant assez fidèlement ce qui avait été fait par le groupe ACC/AHA/ESC, mais en proposant que les patients avec un score de CHADS2 à 1 reçoivent également des antivitamines K.
Les recommandations européennes
En septembre 2010, ont été publiées dans l’European Heart Journal les recommandations proposées par la Société européenne de cardiologie à partir d’un travail fait par un groupe de 25 cardiologues dirigés par John Camm (Londres). Il avait été décidé, dès les premières réunions de travail de ce groupe, que ne pourraient figurer dans les recommandations que les médicaments ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché à l’échelon européen dans l’indication. Lorsque ces recommandations sont parues, ni le dabigatran, ni le rivaroxaban n’avaient ces autorisations. Un ensemble de 51 recommandations précises ont été proposées pour ce qui concerne l’anticoagulation de la fibrillation atriale (FA).
Le principal message était de proposer que la grande majorité des patients soient traités par les anticoagulants, à l’exception des patients avec une FA isolée et âgés de < 65 ans.
Il était, par ailleurs, ajouté la possibilité, dans certains cas bien particuliers, d’utiliser l’association aspirine et clopidogrel, suite aux résultats de l’étude ACTIVE A.
Ces recommandations ont également introduit de nouveaux scores de risque thromboembolique et hémorragique. Le score CHA2DS2-VASc a ajouté, comparativement au score CHADS2, la notion de maladie vasculaire (coronaropathie, sténose carotidienne, artériopathie des membres inférieurs, plaque menaçante sur l’arche aortique) et la notion de sexe, surtout à prendre en considération chez les patientes âgées.
Quand prescrire un anticoagulant ?
La nouvelle proposition de thromboprophylaxie chez les patients ayant une FA recommande :
• l’anticoagulation orale chez les patients ayant un facteur de risque majeur ou ≥ 2 facteurs de risque non majeurs cliniquement significatifs (CHA2DS2-VASc ≥ 2) ;
• lorsqu’il n’existe qu’un facteur de risque non majeur cliniquement significatif, autrement dit un score CHA2DS2-VASc à 1, on envisage soit l’anticoagulation soit l’aspirine, mais l’anticoagulation est préférée ;
• lorsqu’il n’y a aucun facteur de risque, c’est-à-dire un CHA2DS2-VASc à 0, absence de traitement antithrombotique ou aspirine, sachant que l’on préfère l’absence de traitement antithrombotique dans la mesure où le risque hémorragique de l’aspirine paraît supérieur au risque thromboembolique de patients à score CHA2DS2-VASc à 0.
Pour ce qui est du risque hémorragique, le score HAS-BLED a été défini en 9 points. On retrouve certains des éléments qui définissent le risque thromboembolique auxquels il faut ajouter les antécédents de saignement, l’INR labile, les insuffisances hépatiques et rénales ou encore la prise concomitante d’autres médicaments que les anticoagulants. L’algorithme de décision qui a été publié dans les recommandations européennes (figure) reprend ces principes.
Que faire chez les coronariens ?
Par ailleurs, ces recommandations ont envisagé de façon très précise les différents cas de figure correspondant aux patients coronariens, ce qui avait été assez largement négligé dans les recommandations précédentes. Ce type de patients est actuellement de plus en plus souvent rencontré.
Pour simplifier, on peut dire que ces recommandations acceptent la possibilité d’utiliser une trithérapie avec deux antiagrégants plaquettaires et un antivitamine K, sachant que celle-ci doit être la plus courte possible, dans l’idéal pas plus d’un mois dans le cas de stents nus.
Dans les autres cas de figure, il faut transformer la bithérapie antiplaquettaire en une monothérapie antiplaquettaire associée à l’antivitamine K et il a été finalement prôné qu’après un an, lorsque la situation clinique était stable, on peut se contenter d’un simple traitement antivitamine K.
On constate donc que ces recommandations sont d’ores et déjà obsolètes dans la mesure où, actuellement en fin 2011, deux médicaments ont pu obtenir leur autorisation de mise sur le marché européen, c’est-à-dire le dabigatran d’une part et le rivaroxaban d’autre part. Enfin, lors du congrès européen de Paris en septembre, les résultats, positifs également, de l’étude ARISTOTLE avec l’apixaban ont été présentés.
Algorithme de choix de la stratégie antithrombotique.
Les recommandations américaines
Deux mises à jour des recommandations américaines ont été publiées dans Journal of American College of Cardiology début 2011, la première pour ajouter l’association clopidogrel-aspirine en fonction de l’étude ACTIVE A, et pour donner les principaux résultats de l’étude RELY. Mais là aussi, les collègues américains n’ont pas pu recommander le dabigatran dans cette première mise au point, dans la mesure où l’autorisation de mise sur le marché n’avait pas été obtenue à la FDA. Elle l’a été très peu de temps après et une deuxième mise à jour a été présentée, permettant de notifier le dabigatran en classe I avec la terminologie suivante : « Le dabigatran est utile comme alternative à la warfarine pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux et des embolies systémiques chez les patients ayant une FA paroxystique ou permanente et des facteurs de risque d’accident vasculaire cérébral ou d’embolie systémique, à condition qu’ils n’aient pas de prothèse valvulaire ou de pathologie valvulaire hémodynamiquement significative ou encore d’insuffisance rénale sévère, c’est-à-dire une clairance de la créatinine < 15 ml/min ou une pathologie hépatique évoluée ».
Les recommandations canadiennes
Les collègues canadiens, dans le Canadian Journal of Cardiology en début 2011 ont également publié des recommandations, plus proches des recommandations européennes, car ne se contentant pas de faire une simple mise à jour.
Dans ces recommandations, ils conseillent de calculer le risque thromboembolique par le score CHADS2 et le risque de saignement par le score HAS-BLED.
Si le patient a un CHADS2 à 0, ils proposent de l’aspirine mais soulignent également que, chez certains patients, il est possible de n’envisager aucun traitement. Si le patient a un score de CHADS2 ≥ 2, ils proposent une anticoagulation orale ; si le patient a un score de CHADS2 à 1, ils proposent également une anticoagulation orale, mais précisent que l’aspirine peut être une alternative raisonnable chez certains. Ils ajoutent par ailleurs que le dabigatran est, pour eux, l’anticoagulant oral qui doit être préféré à la warfarine chez la plupart des patients.
Ils ont également envisagé le problème des antithrombotiques chez les patients qui ont à la fois une FA et une pathologie coronaire.
S’il s’agit d’une coronaropathie stable, si le score CHADS2 est à 0, ils proposent de l’aspirine, si le score CHADS2 est ≥ 1, ils proposent un anticoagulant en monothérapie.
En cas de syndrome coronaire aigu récent, ils proposent, si le score CHADS2 est ≤ 1, l’association aspirine-clopidogrel et, si le score CHADS2 est ≥ 2, le triple traitement antithrombotique. S’il s’agit d’une angioplastie programmée, la proposition est la même. Ils ajoutent que, chez les patients à haut risque d’événements coronaires, la warfarine doit être l’anticoagulant préféré par rapport au dabigatran.
Des recommandations vite obsolètes
Manifestement, les recommandations européennes sont d’ores et déjà obsolètes, dans la mesure où dabigatran et rivaroxaban n’y figuraient pas.
Le rivaroxaban vient récemment d’obtenir des autorisations de mise sur le marché auprès de la FDA et de l’EMEA, rendant également les recommandations nord-américaines obsolètes. Finalement, elles sont toutes obsolètes, tout va vraiment très vite dans notre spécialité…
Pour ce qui concerne les recommandations européennes, elles vont prochainement être modifiées, mais la publication ne sera qu’une simple mise à jour.
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