Risque
Publié le 11 avr 2006Lecture 8 min
Contraception des femmes à risque vasculaire
A. GOMPEL, unité de Gynécologie, Hôtel-Dieu, Paris
Les contraceptions estroprogestatives sont responsables d’une augmentation du risque vasculaire artériel et veineux. Dès les premières études épidémiologiques, il est apparu que le risque de morbidité et de mortalité par infarctus du myocarde, AVC et maladie thromboembolique profonde est majoré sous contraception orale ; de plus, il a été montré que ce risque est potentialisé par d’autres facteurs de risque vasculaire : diabète, obésité, hyperlipémies, HTA, tabagisme, âge > 35-40 ans. Un certain nombre de maladies conférant un risque vasculaire sont donc des contre-indications à l’emploi des estroprogestatifs.
Ces contre-indications sont liées en particulier au risque thromboembolique potentiel des estro-progestatifs et peut-être à l’inflammation, ce qui relève de notions plus récentes. Ces pathologies sont aussi, dans la plupart des cas, aggravées par les grossesses qui doivent être programmées en période de quiescence (lupus) ou de bon équilibre thérapeutique (diabète). Elles nécessitent donc des contraceptions efficaces, neutres vis-à-vis de la maladie initiale et de ses risques potentiels. D’autres possibilités existent cependant en matière de contraception hormonale chez les femmes ayant des maladies métaboliques et à risque vasculaire.
Faire le distinguo entre l’Amérique et l’Europe
Pour comprendre les publications et les recommandations émises en Amérique ou dans certains pays européens, il faut savoir que, dans ces pays, seuls les microprogestatifs et un progestatif injectable, l’acétate de médroxyprogestérone, sont disponibles. Ce progestatif a des propriétés glucocorticoïdes et androgéniques ; sa durée d’action est de 3 mois ; en début d’injection, il est antigonadotrope (il freine bien le développement folliculaire) mais, au fur et à mesure que le délai depuis l’injection s’allonge, il devient moins antigonadotrope ; outre une tolérance métabolique moyenne, il expose alors à des saignements.
Les micropilules progestatives, bien qu’elles n’aient pas fait l’objet d’études cliniques extensives, difficiles à réaliser en raison du nombre faible d’événements chez les femmes jeunes, sont considérées comme neutres vis-à-vis du risque artériel et veineux. Les mentions légales des contre-indications des microprogestatifs incluent l’hépatite, le cancer du sein, la grossesse et le cancer de l’endomètre. Cependant, leur efficacité contraceptive est incomplète et leur tolérance gynécologique souvent insatisfaisante. Dans une étude suédoise ayant inclus une trentaine de patientes lupiques, 78 % ont arrêté le traitement en 18 mois. Cela explique que, dans certaines pathologies notamment cardiaques, quand les femmes sont sous traitement anticoagulant, les auteurs estiment que, malgré leur risque thrombotique, on peut employer des estroprogestatifs.
Les pilules microprogestatives
Cinq spécialités sont commercialisées en France
(tableau)
Les quatre premières sont composées de progestatifs de première génération (noréthistérone et ses dérivés) et de deuxième génération (norgestrel). Cérazette®, récemment commercialisée, est composé d’un progestatif de troisième génération (3 céto-désogestrel). Elles sont administrées quotidiennement à heure fixe, à 2 heures près (sauf Cérazette®, pour laquelle une mention légale vient d’être modifiée pour une prise possible jusqu’à 12 heures de retard). Une forme d’implant de 3 céto-désogestrel est également commercialisée, ce qui permet une administration continue durant 3 ans avec des taux plasmatiques proches de ceux des microprogestatifs (60-80 µg/j au départ, 25-30 µg/j à la fin des 3 ans, en moyenne 40 µg/j). Ce mode d’administration supprime la prise orale et aboutit donc à une meilleure biodisponibilité. Néanmoins, ce traitement est inefficace (comme les microprogestatifs) en cas de traitement inducteur enzymatique.
L’efficacité contraceptive
Elle est liée à l’inhibition de l’ovulation éventuelle mais surtout à une action dite périphérique (coagulation de la glaire, diminution de la mobilité tubaire et atrophie endométriale). Les indices de Pearl (nombre de grossesses observées en 1 an pour 100 femmes) varient de 0,7 à 1,5 % (source Vidal). Cérazette® est plus antigonadotrope que les micropilules progestatives de précédente génération ; son efficacité contraceptive est renforcée : comparativement aux premières pilules, avec lesquelles l’ovulation est conservée dans 40 à 50 % des cycles environ, Cérazette® concerne 3 à 6 % des cycles. Avec l’implant, le nombre d’ovulations est encore plus faible mais non nul.
Risques
L’ovulation étant conservée et les progestatifs ralentissant la motilité tubaire, il peut exister un risque de grossesse extra-utérine avec ces contraceptifs. Aux doses administrées, la concentration de progestatifs n’est pas capable d’antagoniser FSH et LH suffisamment pour bloquer la croissance folliculaire dans la plupart des cas ; il en résulte un effet antigonadotrope partiel qui peut aboutir à des kystes fonctionnels (follicules dont la croissance se poursuit sans ovulation).
Les kystes fonctionnels ou les dystrophies ovariennes induites sont responsables de saignements au cours du cycle, parfois prolongés, de mastodynies et de douleurs pelviennes. De plus, ces kystes peuvent se compliquer (torsion d’ovaire, rupture). Ils peuvent être responsables d’hémorragies intrakystiques ou d’hémopéritoines (accident rare). Nous avons rapporté des observations d’hémopéritoines chez des femmes dont l’INR avait augmenté au-delà de 4.
Tolérance
Cérazette® est plus antigonadotrope que les progestatifs de générations précédentes. Son efficacité contraceptive est ainsi renforcée. Cependant, sa tolérance reste imparfaite : une petite étude randomisée ayant comparé, chez 60 femmes, une micropilule au norgestrel et Cérazette® a rapporté 20 % de kystes fonctionnels sous Cérazette® à 7 mois.
L’étude la plus large sur Cérazette® est une étude randomisée en double aveugle, ayant comparé la tolérance du 3 céto-désogestrel et du norgestrel microdosé chez 1 300 femmes (989 sous désogestrel et 331 sous norgestrel) durant 13 mois ; un tiers des femmes allaitaient. Dans cet essai, 45 % des femmes traitées par 3 céto-désogestrel et 39,4 % de celles du groupe norgestrel ont arrêté le traitement durant le suivi. Il faut cependant signaler qu’il s’agissait d’une population de femmes n’ayant pas de contre-indication à la reprise d’une contraception classique, ce qui a sans doute augmenté le nombre d’arrêts. Parmi les causes d’arrêt, viennent en premier les saignements : 22,5 % des femmes sous 3-céto-désogestrel et 18 % des femmes sous norgestrel. Une aménorrhée a été observée dans 10 à 20 % des cas en fonction de la durée de prise. Il en est de même avec les contraceptions administrées sous forme d’implant : 40 % d’aménorrhée, 30 % de cycles normaux et 30 % de cycles avec des dystrophies ovariennes.
Effets sur les marqueurs intermédiaires
De courtes études des marqueurs intermédiaires du risque veineux, des lipides et de l’insulinorésistance ont été réalisées avec le 3 céto-désogestrel (per os ou en implant), actuellement prescrit chez des femmes à risque de thromboses mais les informations restent insuffisantes ; elles montrent des modifications mineures des marqueurs de la coagulation et des lipides, et une très discrète augmentation de l’insulinorésistance, toujours équivalente entre le 3 céto-désogestrel et le progestatif de référence, le norgestrel microdosé. Ces études portent sur de petits effectifs (20 à 30 patientes dans chaque groupe) et sur des femmes normales ; il n’existe pas d’études chez des femmes ayant des pathologies métaboliques ou vasculaires. Une étude de « post-marketing » a cependant montré un risque relatif d’HTA de 1,81 [1,12 à 2,92]. Il peut s’agir, bien sûr, d’un biais de sélection des patientes à qui on a prescrit ce type de contraception.
Autres progestatifs
Nous avons développé en France, depuis plus de 20 ans, d’autres progestatifs mieux tolérés, plus efficaces et qui semblent dénués de risque thrombotique veineux. Cependant, aucune étude ne permet de connaître leur retentissement en pathologie artérielle.
L’acétate de chlormadinone (CMA) (Lutéran®) est utilisé uniquement en France et dans les pays limitrophes dans la contraception des femmes à risque vasculaire et métabolique. Il s’agit d’un progestatif pregnane (dérivé de la 17 hydroxyprogestérone), dont la relative bonne tolérance et l'efficacité ont conduit à son utilisation en première intention depuis environ 20 ans chez des femmes à haut risque vasculaire, artériel ou veineux, et métabolique, selon l’habitude de certaines équipes, dont la nôtre. Notre équipe et quelques autres en France utilisent aussi l’acétate de cyprotérone dans des indications particulières chez des femmes à haut risque vasculaire.
L’acétate de chlormadinone est un progestatif pregnane, relativement antigonadotrope. Ce produit n’a pas d’AMM dans l’indication de la contraception car il n’a pas été déposé de dossier. Ce progestatif a été initialement employé chez les femmes hémodialysées, sa bonne tolérance métabolique et gynécologique a conduit à étendre son utilisation à toutes les pathologies conférant des contre-indications aux estroprogestatifs. Il est très prescrit en France dans ces indications en raison d’une efficacité contraceptive a priori plus élevée grâce à son effet antigonadotrope plus important que celui des contraceptions microprogestatives.
Seules de petites séries ont été publiées concernant la tolérance et l’efficacité clinique. Le CMA est considéré comme ayant une tolérance meilleure bien qu’aucune étude n’ait évalué en comparaison les deux modes contraceptifs. L’emploi de cette contraception repose sur un accord professionnel (il fait l’objet de 105 000 prescriptions cumulées dans l’indication contraception (source Afssaps) et peu d’études ont été conduites pour en démontrer l’efficacité et l’innocuité. Pour notre part, nous l’utilisons en première intention chez les patientes à risque de thromboses veineuses et en particulier chez les femmes lupiques.
L’acétate de cyprotérone (CPA) est un progestatif pregnane très antigonadotrope et qui semble neutre sur les marqueurs intermédiaires du risque vasculaire. C’est le seul progestatif très antigonadotrope que l’on puisse utiliser chez des femmes à risque de TVP ayant besoin de ce type de traitement (mastopathies bénignes, endométriose, kyste fonctionnel de l’ovaire, etc.).
Tolérance. Une étude récente de type exposé/non exposé chez 200 femmes à haut risque veineux a montré que le CMA n’est pas associé à une augmentation du risque de thrombose veineuse.
Dans notre série de lupus, sur environ 200 femmes, suivies en moyenne 3 ans (environ 6 000 cycles), 1 seule TVP a été observée sous acétate de cyprotérone et aucune avec le Lutéran®, ce qui suggère en comparant à la fréquence attendue de TVP (entre 2,5 à 6,5/100 patiente/an dans le lupus simple ou avec APL) que ces contraceptions n’augmentent pas le risque de TVP. Une seule TVP a été observée dans une série de plus de 110 femmes ayant un antécédent de TVP ou porteuses de thrombophilie. La tolérance gynécologique a été satisfaisante ; le CMA a une tolérance gynécologique meilleure que les microprogestatifs : 13 % de saignements, dont 6 % d’arrêts dans notre série de lupus, comparativement à 18-23 % d’arrêts pour saignements avec les microprogestatifs dans la littérature et l’équivalent pour l’acétate de cyprotérone.
Il apparaît donc qu’il existe différentes possibilités de contraceptions hormonales chez des femmes ayant des contre-indications aux estroprogestatifs avec une tolérance clinique variable.
Contraceptions mécaniques
Les stérilets au cuivre sont possibles chez les femmes ne prenant pas de corticoïdes ou d’AVK et n’étant pas exposées à des complications infectieuses graves (valvulopathies). Mirena®, stérilet comportant du lévonorgestrel a l’avantage de diminuer l’abondance des règles en atrophiant la muqueuse de l’utérus. Les quantités de norgestrel délivrées sont inférieures aux concentrations plasmatiques obtenues avec les pilules microprogestatives. Il est cependant plus souvent responsable de kystes fonctionnels et sa tolérance clinique n’est pas parfaite.
Enfin, les contraceptions par barrière mécaniques sont toujours possibles (préservatifs/diaphragmes).
Contraception d’urgence : Norlevo®
Elle consiste en l’administration de 1,5 mg de norgestrel en une prise orale moins de 72 heures après un rapport non protégé et, si possible, dans les 24 premières heures. Elle n’a pas de contre-indication et est bien supportée.
Conclusion
En France nous disposons, pour la contraception des femmes ayant une pathologie à risque vasculaire et métabolique, de progestatifs plus efficaces et mieux tolérés que les microprogestatifs, produits de référence internationale. Si leur risque thrombotique paraît relativement bien évalué, il n’existe en revanche aucune donnée au niveau artériel.
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