Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 15 sep 2009Lecture 9 min
Découverte d'ESV sur un tracé systématique : que faire ?
J. MANSOURATI, Département de Cardiologie, CHU Brest
De nombreux développements récents dans le domaine de la rythmologie ont modifié l’approche diagnostique et la prise en charge des extrasystoles ventriculaires (ESV) même lorsqu’elles sont de découverte fortuite. Ainsi, la description de « nouveaux syndromes » avec un risque potentiel de mort subite (syndrome de Brugada, syndrome du QT court, syndrome de repolarisation précoce, etc.), les progrès de la génétique, l’apport de l’ablation par courant de radiofréquence lorsque les antiarythmiques sont inefficaces ou contre-indiqués et la possibilité d’utiliser le défibrillateur automatique implantable (DAI) comme moyen de prévention chez les sujets à risque de mort subite sont autant d’éléments qui poussent, lors de l’interprétation de l’ECG, à rechercher les moindres signes potentiels de gravité y compris chez les patients asymptomatiques et à faire un bilan minimal pour écarter une éventuelle cardiopathie sous-jacente.
Toutefois, il ne faut pas oublier que l’extrasystolie ventriculaire est une découverte fréquente. Il n’y a pas de donnée précise concernant sa prévalence dans la population générale mais on estime à environ 50 % le nombre de sujets sains ayant des ESV en sachant que cette prévalence est plus importante lorsque les ESV sont recherchées au moyen d’un enregistrement Holter que sur un simple ECG. L’extrasystolie est enfin plus fréquente chez le sujet âgé que chez le sujet jeune (de l’ordre de 1 % avant 30 ans à 13 % après 70 ans). Les ESV sont en rapport, soit avec un mécanisme de réentrée, en général lié à une zone d’ischémie ou de nécrose myocardique, soit avec un foyer ectopique dont l’automatisme est augmenté. Dans un grand nombre de cas, il s’agit d’une anomalie bénigne sans conséquence ni sur le plan fonctionnel ni sur le plan vital. Il convient donc de bien distinguer cette extrasystolie bénigne des cas plus graves afin d’éviter toute escalade thérapeutique inutile, voire dangereuse en l’absence de signe de gravité.
Analyse de l’ESV à l’ECG et au Holter
Après la recherche de signes électriques signant l’existence d’une cardiopathie ou d’une canalopathie sous-jacente, plusieurs éléments sont à considérer lors de l’analyse des ESV à l’ECG : la morphologie, le caractère répétitif, le degré de prématurité et la présence d’une conduction rétrograde. Cette analyse se fait bien sûr à l’ECG 12 dérivations mais nécessite aussi la réalisation d’un enregistrement Holter de 24 heures pour mieux apprécier leur chronologie. Parmi les paramètres à prendre en compte, les plus importants sont :
La morphologie et la largeur des ESV sur l’ECG permettent de localiser leur point d’émergence. Ainsi, si les ESV sont généralement bien plus larges que 120 msec, leur durée peut être modérément prolongée lorsque leur origine est septale (fasciculaire). L’aspect de retard droit oriente vers une origine ventriculaire gauche mais une localisation plus précise est difficile dans ce cas. En cas de retard gauche l’origine de l’ESV est plutôt ventriculaire droite. La présence d’un axe horizontal oriente vers une origine proche de la valve tricuspide. Si l’axe est droit ou vertical, l’origine est alors infundibulaire (figure 1) mais plus rarement elle peut également se situer au niveau d’un cusp aortique. Enfin, si l’axe est gauche, une origine apicale peut être suspectée. Chez l’enfant présentant une extrasystolie sans cardiopathie sous-jacente évidente, l’histoire naturelle des ESV ayant un aspect de retard droit semblerait plus favorable que celle des ESV à type de retard gauche puisque les premières disparaissent avec le temps alors que les dernières persistent et nécessitent un suivi à long terme afin de rechercher une éventuelle dysplasie du ventricule droit.
Figure 1. Cette figure montre, en A l’ECG d’une jeune femme de 34 ans avec des ESV trigéminées typiques à type de retard gauche et d’axe droit en rapport avec un foyer infundibulaire droit et sans cardiopathie sous-jacente et en B des fragments d’un enregistrement Holter réalisé chez cette femme montrant des salves de TV non soutenues asymptomatiques.
Le nombre et le mode répétitif des ESV : dans les années 80, le polymorphisme et le caractère répétitif des ESV (plus de 10 ESV par heure) ont été largement étudiés par enregistrement Holter et corrélés à la survenue d’événements rythmiques ou de décès en particulier dans le post-infarctus. Ainsi la classification de Lown était utilisée pour définir la gravité de l’extrasysolie avec comme paramètres pour le classement : la fréquence, le polymorphisme et la prématurité des ESV.
- Degré 0 : absence d’ESV
- Degré I : fréquence horaire ≤ 30 ESV
- Degré II : fréquence horaire > 30 ESV
- Degré III : ESV polymorphes avec 3 types différents en l’espace d’une heure
- Degré IVa : au moins 1 doublet par heure
- Degré IVb : au moins 4 triplets
- Degré V : ESV précoces, phénomènes R/T
En présence d’une cardiopathie de façon générale, cet aspect répétitif et polymorphe a un intérêt pronostique. Toutefois, l’intérêt de ces paramètres semble plus controversé en l’absence de cardiopathie. Plusieurs études ont en effet rapporté l’absence de valeur prédictive de mortalité à moyen terme (< 5 ans) des ESV fréquentes ou polymorphes en l’absence de cardiopathie sous-jacente. D’autres études rapportent une augmentation de la mortalité à long terme (> 20 ans) chez des patients non sélectionnés.
Figure 2. Arbre décisionnel devant des ESV asymptomatiques.
Test d’effort et risque de mort subite
La survenue d’ESV à l’effort est un élément dont certains auteurs ont rapporté l’association à une mortalité plus importante. C’est ainsi que dans une population de sujets asymptomatiques de Framingham avec un suivi moyen de 15 ans, la mortalité toutes causes était multipliée par 1,7 en cas d’ESV fréquentes lors de l’effort. Dans une cohorte de 6 000 hommes asymptomatiques, Jouven et al. ont également montré que l’apparition d’ESV complexes à l’effort était associée à une augmentation du risque de mortalité d’un facteur de 2,5 avec un recul de 23 ans. Toutefois, il semble que ce soit la survenue d’ESV en période récupération la plus prédictive d’un risque. Ces données font du test d’effort un examen indispensable dans l’évaluation du risque d’un patient présentant des ESV répétitives même asymptomatiques. Il ne faut pas oublier l’importance de cet examen dans la recherche d’ischémie myocardique à l’origine de l’extrasystolie ou de l’évaluation hémodynamique d’un sujet porteur d’une cardiomyopathie hypertrophique. Il faut toutefois souligner, chez un sportif en particulier, qu’un test d’effort classique sur ergocycle ne suffit pas pour évaluer l’extrasystolie et qu’il est souhaitable de compléter ce bilan à l’effort par la réalisation d’un enregistrement Holter au cours de l’activité sportive du sujet.
Quel bilan réaliser ?
Chez un sujet asymptomatique avec découverte fortuite d’une extrasystolie ventriculaire le bilan est d’abord clinique avec un interrogatoire minutieux sur le plan personnel (symptômes, prise d’excitants ou de toxiques, traitement médicamenteux pouvant entrainer une hyperexcitabilité ventriculaire comme les ‚ stimulants dans l’asthme) et familial (en particulier la présence d’une cardiopathie familiale ou la survenue de morts subites). L’analyse minutieuse de l’ECG permettra de localiser l’origine des ESV et recherchera en particulier des éléments en faveur d’une dysplasie (onde epsilon, ondes T négatives dans les précordiales droites), d’une canalopathie, d’un QT court ou long, d’une cardiopathie ischémique, dilatée ou hypertrophique. Par la suite un bilan biologique avec la recherche d’une dyskaliémie, d’une hypercalcémie ou d’une hyperthyroïdie sera prescrit selon le contexte.
Les trois examens clés à réaliser par la suite pour classer et évaluer le pronostic de ces ESV sont :
– l’enregistrement Holter (nombre d’ESV, morphologies, présence de TV soutenues, lien avec l’effort ou le repos) ;
– le test d’effort (apparition ou aggravation à l’effort ou en récupération, présence de signes en faveur d’une ischémie myocardique, évolution hémodynamique à l’effort) ;
– l’échographie cardiaque à la recherche d’une cardiopathie sous-jacente.
Les investigations suivantes dépendront de la cardiopathie suspectée lors de ce premier bilan et seront donc plus spécifiques de chaque pathologie. Ainsi, une coronarographie, ou un scanner coronaire selon le risque cardiovasculaire du patient, sera réalisée lorsqu’une cardiopathie ischémique est suspectée. Ces examens peuvent être complétés par des tests fonctionnels pour faire la preuve de l’ischémie myocardique si celle-ci n’est pas certaine lors du test d’effort (scintigraphie myocardique, échographie d’effort ou de stress, etc.). En cas de suspicion d’une dysplasie arythmogène du ventricule droit (DAVD), la réalisation d’une ventriculographie et d’une IRM permet de rechercher des signes supplémentaires en faveur de cette hypothèse si l’échographie cardiaque n’est pas suffisante. La présence de potentiels tardifs sera un critère supplémentaire bien que mineur aux données de l’ECG et du Holter en faveur du diagnostic de DAVD. Dans les autres pathologies (cardiomyopathie hypertrophique, cardiomyopathie dilatée, cardiopathie valvulaire), l’échographie cardiaque généralement fait le diagnostic et permet d’évaluer la gravité de la cardiopathie. Dans le cas particulier d’un aspect de cardiomyopathie dilatée, il ne faut pas écarter la possibilité d’une cardiopathie rythmique liée à une extrasystolie incessante qui peut récupérer après traitement du trouble du rythme. En cas de découverte d’une canalopathie, le bilan évaluant le risque de mort subite reste mal établi y compris pour ce qui concerne l’exploration électrophysiologique (EEP). L’EEP dans l’évaluation des ESV de façon générale n’aura comme intérêt que leur localisation en vue d’un traitement par ablation par courant de radiofréquence car sa place dans l’évaluation du risque de mort subite est remise en question. Enfin, une enquête génétique et familiale doit toutefois être réalisée ainsi qu’en cas de découverte d’une cardiomyopathie dilatée ou hypertrophique.
Quel traitement ?
Une fois le bilan initial réalisé, une décision thérapeutique pourra être apportée en fonction du contexte :
- correction d’une anomalie électrolytique ou d’une hyperthyroïdie ;
- en cas de coronaropathie avec ischémie myocardique, une revascularisation sera d’abord proposée en fonction du bilan réalisé puis une réévaluation de l’extrasystolie et du risque de mort subite sera proposée à distance du geste ;
- en cas de cardiopathie ischémique ne nécessitant pas de revascularisation ou d’une cardiomyopathie dilatée, le risque de mort subite sera évalué principalement par la mesure de la fraction d’éjection ventriculaire gauche afin de décider de l’indication d’un DAI. La recherche de potentiels tardifs, l’évaluation de la variabilité sinusale ou la variabilité de l’onde T et l’EEP ne semblent pas apporter d’aide supplémentaire dans la stratification du risque de mort subite. Le traitement de la cardiopathie sera optimisé. En cas de fraction d’éjection > 35% un traitement bêtabloqueur sera prescrit et éventuellement l’amiodarone en cas de TV soutenues. Les oméga 3 chez les patients ayant un antécédent d’IDM ont également apporté leurs preuves. En cas de symptômes persistant ou en cas de suspicion de cardiopathie rythmique l’ablation par courant de radiofréquence après EEP pourra être envisagée ;
- en cas de cardiopathie hypertrophique un score de risque de mort subite sera établi chez le patient. Ce score est basé sur les antécédents familiaux de mort subite, sur les antécédents personnels de syncope, la gravité de l’extrasystolie, l’importance de l’hypertrophie myocardique à l’échographie cardiaque et le comportement hémodynamique à l’effort. En fonction de ce score un traitement bêtabloqueur sera prescrit et l’indication d’un DAI sera posée ;
- en cas de découverte d’une anomalie électrique en faveur d’une canalopathie, l’évaluation du risque de mort subite permettra de poser l’indication d’un DAI en sachant que cette décision est souvent difficile en l’absence de critères précis chez le patient asymptomatique. Des conseils adaptés à la pathologie découverte seront donnés au patient (médicaments contre-indiqués en cas de QT long, contre-indication au sport, éviter les circonstances pouvant déclencher des troubles du rythme comme la fièvre dans le syndrome de Brugada, etc.). Un traitement bêtabloqueur pourra être prescrit en cas de QT long ;
en cas de cardiopathie valvulaire en particulier aortique ou mitrale, l’indication opératoire sera discutée. Dans le prolapsus valvulaire mitral, l’indication d’un bêtabloqueur sera discutée ;
- en cas de suspicion de DAVD, le bilan à réaliser a été exposé précédemment. Le traitement est d’abord pharmacologique avec une recommandation d’éviter l’activité sportive. L’indication du DAI dépendra, en prévention primaire, de la présence de facteurs de risque principaux suivants : syncope, atteinte du ventricule gauche, antécédents familiaux, signes d’insuffisance cardiaque ;
- en l’absence de cardiopathie et de symptôme il n’y a pas lieu de prescrire un traitement médicamenteux. Si le patient est symptomatique le recours à un traitement sera discuté avec une préférence pour les bêtabloqueurs et le vérapamil sans oublier la possibilité d’utiliser les antiarythmiques de classe IC en l’absence de cardiopathie. Toutefois, le recours aux antiarythmiques ne doit pas être systématique du fait des effets secondaires en particulier pro-arythmogènes qui peuvent avoir des conséquences graves. Le patient doit par la suite être surveillé régulièrement pour s’assurer de l’absence de cardiopathie latente. Les ESV ou TV non soutenues fasciculaires ou d’origine infundibulaire peuvent également être une bonne indication à une ablation par courant de radiofréquence si le traitement pharmacologique n’améliore pas le patient (figure 3).
Figure 3. Cartographie tridimensionnelle du ventricule droit et de l’infundibulum (NavX, St. Jude Medical) chez un jeune patient de 24 ans présentant une extrasystolie asymptomatique répétitive à type de retard gauche et d’axe droit responsable d’une altération de la fonction ventriculaire gauche (FE à 45 %) et traitée par ablation par courant de radiofréquence du foyer d’extrasystolie situé au niveau de la paroi latérale gauche de l’infundibulum (points d’impact de l’ablation représentés par des points rouges).
En pratique
La présence d’ESV même asymptomatiques nécessite un bilan minimum pour s’assurer de l’absence de cardiopathie sous-jacente. Le traitement sera fonction de ce bilan. En l’absence de cardiopathie sous-jacente, il n’y a pas lieu de prescrire un traitement antiarythmique mais une surveillance du patient permettra de vérifier l’absence de cardiopathie latente.
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