Échocardiographie
Publié le 01 mar 2011Lecture 8 min
Échographie et hypertension artérielle pulmonaire
F. PICARD, Hôpital Cardiologique Bordeaux, Pessac
13e Journées d'écho-Doppler de Bordeaux
L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est une maladie rare (prévalence d’environ 25 cas/million d’habitant) caractérisée par une augmentation des résistances vasculaires pulmonaires, liée à l’hypertrophie et à la prolifération des cellules musculaires lisses de la paroi des artérioles pulmonaires. C’est une maladie grave qui évolue, en l’absence de traitement, vers la défaillance du ventricule droit et la mort en quelques mois ou quelques années(1).
L’HTAP se caractérise par une dysfonction endothéliale s’accompagnant d’une diminution de la production de substances vasodilatatrices et antiproliférantes (NO, prostacycline), ainsi que d’une augmentation de la production de substances vasoconstrictrices et proliférantes (endothéline).
HTAP : quoi de neuf en 2010 ?
O. Sitbon (Clamart)
Les grandes lignes des recommandations conjointes des sociétés européennes de cardiologie et de pneumologie publiées en 2009 ont été rappelées(2).
• Du point de vue de la définition, on parle d’hypertension pulmonaire (HTP) lorsque la pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm), mesurée de manière invasive, est > 25 mmHg au repos. La définition de l’HTP d’effort a été abandonnée puisque, même chez le sujet sain, la PAPm excède fréquemment 30 mmHg à l’effort, notamment après l’âge de 50 ans. Une hypertension pulmonaire est dite précapillaire (HTAP) si la PAPm est > 25 mmHg avec une pression capillaire pulmonaire (PAPO) < 15 mmHg, alors qu’une HTP est considérée postcapillaire si la PAPO est > 15 mmHg. Dans ce dernier cas de figure, on parle d’HTP passive ou réactive selon que le gradient transpulmonaire (PAPm-PAPO) est > ou < 12 mmHg. En fait, cette dernière définition reste très controversée et il vaut mieux utiliser un gradient artériolo-capillaire (PAPdiastolique – PAPO) > 10 mmHg pour considérer qu’il existe une véritable maladie artériolaire pulmonaire.
• Les recommandations ESC/ERS de 2009 ont quelque peu modifié la classification de l’hypertension pulmonaire en les séparant en 5 groupes :
• Groupe 1 : HTAP proprement dite : ce groupe comprend plusieurs types d’HTAP, soit isolée soit associée à une autre maladie ou à des toxiques. L’HTAP est dite idiopathique si aucune autre cause ni aucun autre facteur de risque n’est retrouvé. Il existe également des HTAP dites « héritables », pour lesquelles certaines mutations génétiques ont pu être identifiées (BMPR2). De plus, certains médicaments ou toxiques ont pu être associés à la survenue d’HTAP (anorexigènes). Il existe également des formes d’HTAP associées à un certain nombre de pathologies comme les connectivites (en particulier la sclérodermie), l’infection par le VIH, l’hypertension portale et les cardiopathies congénitales avec shunt gauche-droit (CIA, CIV et canal artériel persistant).
C’est dans ce groupe 1 de la classification que sont utilisés les traitements vasodilatateurs (et antiproliférants) spécifiques utilisés depuis plus de 10 ans : antagonistes oraux des récepteurs de l’endothéline (bosentan, ambrisentan, sitaxentan), inhibiteurs oraux de la phosphodiestérase de type 5 (sildénafil, tadalafil) et analogues de la prostacycline, par voie intraveineuse continue (époprostenol), par vois sous-cutanée continue (tréprostinil) et par voie inhalée (Iloprost).
La maladie veino-occlusive et l’hémangiomatose capillaire pulmonaire sont des formes rares d’HTAP où prédomine une atteinte veinulaire ou capillaire, et constituent un groupe à part (classe 1’) car la présentation clinique et paraclinique ainsi que le pronostic sont différents de ceux des HTAP du groupe 1.
• Groupe 2 : hypertension pulmonaire liée aux cardiopathies et aux valvulopathies gauches. Dans ce deuxième groupe, le traitement est celui de l’insuffisance cardiaque gauche systolique ou « diastolique ».
• Groupe 3 : HTP des pathologies respiratoires, en rapport avec l’hypoxie induite par la maladie respiratoire, pour laquelle le traitement est essentiellement constitué par l’oxygénothérapie.
• Groupe 4 : HTP postembolique chronique qui reste assez fréquente puisqu’elle semble compliquer environ 5 % des embolies pulmonaires. Il est indispensable d’identifier ces formes postemboliques d’HTP puisqu’elles peuvent bénéficier d’un traitement chirurgical curatif par thromboendartériectomie pulmonaire.
• Groupe 5 où l’HTP est de mécanisme multifactoriel ou incertain.
Même à l’heure de la « trithérapie » et des associations médicamenteuses, le pronostic de l’HTAP reste sombre, avec environ 85 % de survie à 1 an et 60 à 70 % de survie à 3 ans dans les registres français et américains(3). Cette maladie touche plus fréquemment les femmes âgées de 20 à 50 ans et est encore aujourd’hui diagnostiquée trop tardivement, à un stade fonctionnel avancé (75 % des patients sont en classe III à IV de la NYHA lors du diagnostic).
En effet, dans le registre français, on note un retard moyen du diagnostic d’environ 2 ans depuis l’apparition des premiers symptômes, en partie parce que les signes cliniques initiaux sont peu spécifiques (dyspnée) et que l’on ne pense pas suffisamment à évoquer cette maladie rare.
Le pronostic de cette pathologie est d’autant plus péjoratif qu’il s’agit d’une forme associée (surtout s’il s’agit d’une sclérodermie ou d’une connectivite), qu’elle touche les hommes, que l’âge de révélation est avancé, que l’on présente un stade fonctionnel avancé (classe III-IV) et/ou des signes de dysfonction ventriculaire droite. À l’inverse, le pronostic est meilleur lorsque la maladie est dépistée et précocement ; il a été montré qu’un traitement précoce (classe NYHA II) retarde le délai d’aggravation clinique. D’où l’intérêt d’instaurer un dépistage dans certaines populations à risque, soit de manière systématique soit devant l’apparition d’une dyspnée inexpliquée pour permettre d’améliorer leur pronostic.
Si le diagnostic de confirmation de l’HTAP repose uniquement sur le cathétérisme cardiaque droit, l’échocardiographie constitue un examen clé du dépistage et de l’évocation du diagnostic de la maladie.
Place de l'écho dans le dépistage de l'HTAP
C. Selton-Suty (Nancy)
L’échocardiographie doit faire partie du bilan systématique d’une dyspnée inexpliquée. De plus, les sujets apparentés à un patient souffrant d’HTAP doivent bénéficier d’un bilan échocardiographique.
Par ailleurs, il existe certaines pathologies où l’HTAP est assez fréquente, particulièrement grave et doit donc être dépistée précocement. Ainsi, en cas de dyspnée (ou autre symptôme évocateur) chez un patient souffrant d’une sclérodermie ou d’une autre connectivite, un dépistage par ETT doit être réalisé (recommandation I-B ou I-C).
Chez un patient asymptomatique porteur d’une sclérodermie diffuse ou limitée, un contrôle échocardiographique annuel systématique doit être envisagé (classe IIb-C et recommandation HAS) puisque l’HTAP peut-être présente dans près de 8 à 15 % des cas.
Dans l’infection par le VIH, l’HTAP touche environ 1 séropositif sur 200, indépendamment des groupes à risque ou du niveau d’immunosuppression. En outre, l’hypertension portale est associée à une HTAP chez environ 2 à 6 % des patients candidats potentiels à une transplantation hépatique. Les recommandations préconisent donc la réalisation d’un dépistage par ETT chez les patients porteurs d’une infection par le VIH présentant une dyspnée inexpliquée (classe I-C) et lors de tout bilan de transplantation hépatique (I-B).
Le dépistage de l’HTAP à l’échocardiographie repose sur l’estimation de la PAPS (et non de la PAPM), par l’étude du flux de régurgitation tricuspide ou pulmonaire en Doppler. D’après l’équation de Bernoulli simplifiée, la PAPS = 4 x Vmax IT² + POD. Cette estimation peut-être délicate voire impossible dans certains cas (mauvaise fenêtre, sténose pulmonaire, absence d’IT, IT massive) et reste soumise à des limites importantes, à savoir la qualité de recueil de l’enveloppe du flux d’IT (ou d’IP) et l’estimation correcte de la pression de l’OD.
Les recommandations européennes stipulent qu’une HTAP est probable si la V max de l’IT est > 3,4 m/s et possible si > 2,9 m/s ou < 2,9 m/s mais avec d’autres signes échographiques évocateurs (élévation de PAPS estimée à partir du flux d’IP, flux éjectionnel pulmonaire avec crochetage mésosystolique, temps d’accélération pulmonaire court < 90 ms, temps de relaxation isovolumique du VD > 70 ms en DTI pulsé à l’anneau tricuspide et présence de signes de retentissement sur le VD).
L’analyse échocardiographique s’attache toujours à éliminer une cardiopathie sous-jacente responsable de l’élévation de la PAPS (élévation des pressions de remplissage du VG sur cardiopathie ou valvulopathie gauche, CIA, CIV…) et/ou des atteintes cardiaques spécifiques de la pathologie causale (atteinte du cœur de la sclérodermie, endocardite aseptique du lupus, troubles de cinétique segmentaire évoquant une coronaropathie chez un sujet porteur du VIH…). Les signes de retentissement sur le VD comprennent la dilatation des cavités droites, l’aplatissement de la courbure septale et l’aspect de septum paradoxal ainsi que l’altération de la fonction ventriculaire droite (onde S’en DTI pulsé à l’anneau tricuspide, TAPSE mesuré en mode TM, rapport des surfaces diastolique et systolique du VD, analyse du 2D strain…).
Le dépistage de l’HTAP à l’échocardiographie ne doit donc pas se limiter à la seule étude du flux d’IT mais celle-ci doit s’intégrer dans une évaluation multiparamétrique systématique pour en affiner à la fois la sensibilité et la spécificité (figure 1, 2 et 3).
Figure 1. Dilatation majeure des cavités droites avec écrasement des cavités gauches, inversion de la courbure septale et augmentation de l'indice d'excentricité D2/D1, d'après C. Selton-Suty.
Figure 2. Flux d'éjection pulmonaire avec encoche mésosystolique et temps d'accélération court < 90 ms témoignant de la présence d'une HTAP, d'après C. Selton-Suty.
Figure 3. présence d'un temps de relaxation isovolumique du VD > 70 ms en DTI à l'anneau tricupide évoquant une HTAP, d'après C. Selton-Suty.
Intérêt de l'ETT pour le suivi et le pronostic de l'HTAP
M.-A. Billès (Bordeaux)
L’échocardiographie fait partie intégrante du bilan de suivi régulier d’un patient souffrant d’HTAP (en plus des paramètres hémodynamiques, fonctionnels et du BNP), à la fois pour l’estimation de la PAPS mais également pour apprécier l’évolution de la fonction ventriculaire droite. L’estimation de la PAPS par l’ETT n’étant pas toujours fiable (en raison des limites précédemment décrites), elle ne peut dispenser d’une réévaluation hémodynamique invasive régulière et systématique. En ce qui concerne l’étude du retentissement sur la fonction ventriculaire droite, les paramètres à évaluer sont ceux cités plus haut et ont été bien détaillés dans une revue récente(4).
Par ailleurs, l’échocardiographie montre un intérêt pronostique important dans cette pathologie.
La présence d’un épanchement péricardique et d’un TAPSE < 15 mm sont considérés comme des facteurs de mauvais pronostic.
Sont également cités comme facteurs pronostiques péjoratifs une surface de l’OD > 27 cm², un indice de Tei (TCIV + TRIV) > 0,83, une valeur de l’onde S’ en DTI pulsé abaissée et l’indice d’excentricité augmenté (évaluant le retentissement ventriculaire gauche de la dilatation du VD)(2,4).
Effet de l'âge sur la PAP chez le sujet normal ?
C. Tribouilloy (Amiens)
La PAPm mesurée au repos chez le sujet sain de façon invasive est relativement indépendante du sexe et de l’origine ethnique ; elle est peu influencée par la position, elle augmente physiologiquement avec l’âge mais finalement assez peu (1 mmHg par décennie)(5). En ETT, la valeur de la PAPS normale estimée chez le sujet sain est < 35 mmHg avant 60 ans et < 40 mmHg après 60 ans ou chez l’obèse. Cette augmentation physiologique des pressions pulmonaires avec l’âge est liée à une majoration des résistances vasculaires pulmonaires, vraisemblablement par diminution de la compliance du lit vasculaire pulmonaire. À l’effort, les pressions pulmonaires augmentent mais la définition d’une valeur seuil est actuellement encore controversée. La définition de l’HTAP d’effort a été écartée des dernières recommandations et il n’est pas aujourd’hui clairement établi si la PAPS estimée à l’effort devait l’être au pic ou au contraire au cours d’un palier précoce (50 W).
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