Publié le 23 jan 2007Lecture 7 min
Comment évaluer les pressions de remplissage chez le patient insuffisant cardiaque ?
E. DONAL, CHU de Rennes
Les nouveaux outils maintenant susceptibles de faire partie de la pratique quotidienne dans l’étude des pressions de remplissage sont les suivants : le doppler tissulaire de l’anneau mitral, la pente du remplissage ventriculaire gauche en mode M couleur, mais aussi l’étude des pressions droites, du diamètre de la veine cave inférieur et les flux des veines sus-hépatiques. Leur interprétation doit impérativement être confrontée au contexte clinique.
Intégrer les examens dans leur contexte clinique
Enjeu d’une prévalence croissante et d’une morbi-mortalité inquiétante, l’insuffisance cardiaque (IC) requiert une adaptation pas à pas des thérapeutiques. Cette prise en charge thérapeutique des patients insuffisants cardiaques nécessite une connaissance de la fonction rénale, de la natrémie, du contexte social mais surtout d’une appréciation de l’hémodynamique. En effet, 30 à 40 % des IC sont à fonction ventriculaire gauche systolique conservée (IC diastolique) ; par ailleurs, ce n’est pas le degré de dysfonction systolique qui conditionne les signes de congestion mais bien le degré de dysfonction diastolique.
Nous souhaitons insister sur le fait que l’interprétation des nouveaux outils échocardiographiques ne doit en aucun cas faire abstraction du contexte clinique, de la cardiopathie, de la fonction systolique, de la masse ventriculaire gauche, de la fonction ventriculaire droite et de l’existence de valvulopathies.
Déjà en 1988, Appleton décrivait le lien entre le flux transmitral et les paramètres de fonction diastolique du ventricule gauche. À cette époque, il insistait sur la nécessaire rigueur de recueil des données en tenant compte en particulier de l’importance de l’alignement du tir Doppler avec le flux analysé ; cela reste bien entendu vrai quelle que soit l’utilisation qui est faite de l’effet Doppler.
Le flux transmitral
Sans rentrer dans une description complète, rappelons que l’apparition de troubles de la relaxation va être responsable d’une diminution du remplissage passif du ventricule gauche, donc de l’onde E dont la pente va décroître. À l’inverse, une augmentation du remplissage actif donc de l’onde A sera observée. Le rapport E/A sera alors inversé (< 1). Si les pressions de l’oreillette gauche augmentent encore, l’onde E va croître et avoir une pente abrupte de décélération, alors que l’onde A va décroître : ce profil est rencontré lors qu’existent un trouble de la relaxation et une augmentation des pressions de l’oreillette gauche mais aussi lorsque le ventricule gauche présente un trouble de la compliance. Le pic de l’onde E dépend donc de la relaxation autant que des pressions de remplissage.
Le temps de relaxation isovolumetrique
Cette période sépare la fermeture de la valve aortique de l’ouverture de la valve mitrale (idéalement mesuré en mode Doppler continu). Normalement, cette période dure de 60 à 90 ms. Ce paramètre est un reflet de la relaxation mais il est dépendant de la postcharge et de la fréquence cardiaque. Il s’agit d’un index très sensible, sa durée augmente lorsque la relaxation se dégrade.
Les flux veineux pulmonaires
L’onde S systolique contemporaine de la systole ventriculaire est le reflet de la relaxation de l’oreillette (S1) et du mouvement de recul de l’anneau mitral (S2). L’onde D diastolique est le reflet du remplissage ventriculaire passif (reflet de la propriété de conduit de l’oreillette) alors que l’onde A « reverse » est le reflet de la systole auriculaire ; du remplissage actif du ventricule (influencé par la compliance du ventricule gauche).
Le doppler tissulaire de l’anneau mitral
Les indices sus-cités, bien que rapides à recueillir, ne sont aucunement spécifiques et l’avènement de « nouvelles techniques » permet d’affiner la caractérisation du profil hémodynamique des patients, en particulier insuffisants cardiaques. L’interdépendance avec précharge et relaxation des indices sus-cités a conduit à proposer la mesure des vélocités de l’anneau mitral par Doppler tissulaire. Il est alors démontré que le TRIV et le flux mitral sont corrélés à la constante Tau (t) pour des pressions de remplissage normales. Seul le pic protodiastolique du flux Doppler de l’anneau mitral demeure un reflet fiable de la relaxation si les pressions de remplissage augmentent.
La pente, en mode-M couleur, de remplissage protodiastolique du VG
Le Doppler couleur en mode-M permet une visualisation du remplissage ventriculaire gauche non plus en un seul point mais sur une ligne, sur l’ensemble de la diastole, avec la résolution temporelle que l’on connaît à l’imagerie TM. Vp est probablement le moins dépendant de la précharge des indices Doppler mesurant la fonction diastolique (figure 1). Cela a pu être vérifié chez le sujet sain comme chez l’insuffisant cardiaque. La valeur de Vp chez le sujet sain est de 45 ± 15 cm/s. La vitesse d’aliasing est règlée à 45 cm/s, le tir TM est aligné le plus possible au flux transmitral. La pente peut-être calculée manuellement en partant du premier aliasing au niveau de l’anneau mitral et en suivant cet aliasing sur une distance de 4 cm.
Figure 1. VP en mode M-couleur en apical 4 cavités : analyse spatiale et temporelle du remplissage VG.
Les ratios
E est dépendant de la charge et de la relaxation, Ea et Vp sont plus étroitement corrélés à la relaxation, les ratios de E/Ea et E/Vp permettent donc d’approcher la charge. On calcule maintenant en routine les rapports E/Ea > 10 et E/Vp > 3 pour le diagnostic d’une augmentation des pressions de remplissage.
Il faut néanmoins raison garder et ne pas prendre pour « argent comptant » un ratio E/Ea isolément. D’abord, en cas de constriction ou de régurgitation mitrale organique, ces ratios ne peuvent être utilisés. Ensuite, de manière normale, la valeur du ratio E/Ea augmente avec l’âge, avec le degré d’hypertrophie ventriculaire gauche et est plus élevé chez la femme que chez l’homme. Il faudra donc, chez la femme âgée hypertendue et avec hypertrophie ventriculaire gauche, retrouver des ratios E/Ea >> 15 pour confirmer une suspicion clinique d’augmentation des pressions de remplissage ou une suspicion évoquée par d’autres outils échocardiographiques telle une troisième onde au flux transmitral (onde L) ou une durée de l’onde A-rev pulmonaire supérieure à la durée de l’onde A transmitrale (figures 2, 3 et 4).
Figure 2. Paramètres de la fonction diastolique. Le flux trans-mitral (avec vitesse de l’onde E, temps de décélération de l’onde E, vitesse et durée de l’onde A). le flux veineux pulmonaire (il n’est pas recueilli de manière systématique, intérêt pour le rapport des ITV de S et D mais surtout pour la durée de l’onde ‘A reverse’ plus longue que l’onde A-mitrale quand la pression intra-OG est très élévée comme dans les troubles de la compliance VG). Le Doppler tissulaire à l’anneau mitral avec l’onde Sa : pic de vitesse mesuré en systole (reflet de la fonction systolique du VG), l’onde Ea (relaxation normale = Ea > 8cm/s), l’onde Aa télédiastolique reflet de la fonction atriale). Le M-mode couleur pour mesure de la pente du remplissage proto-diastolique Vp tel qu’indiqué figure 1.
Figure 3. Ne pas prendre un ratio seul : rester critique !
Figure 4. Importance de l’âge, du sexe et de la présence d’une HVG.
Le ventricule droit et les pressions droites
Systématiquement, on calculera les pressions pulmonaires (à partir de la régurgitation tricuspide et pulmonaire), on regardera le diamètre de la veine cave inférieure et la diminution de son diamètre à l’inspiration. Une régurgitation pulmonaire uniquement protodiastolique évoquera un diagnostic d’adiastolie. Une volumineuse fuite tricuspide empêchera une quantification rigoureuse des pressions pulmonaires (la valve tricuspide n’étant plus restrictive, l’équation de Bernouilli ne pourra pas être exploitée). Le Doppler tissulaire à l’anneau tricuspide sera extrêmement rentable. L’onde S renseignera sur la fonction systolique de ventricule droit (normale > 11cm/s) et l’onde proto-diastolique sur la relaxation ventriculaire droite. Comme pour le ventricule gauche, nous pourrons utiliser E/Ea > 6 pour estimer la pression auriculaire droite > 10 mmHg. Combinant le pic de vitesse de la régurgitation tricuspide (TRV) et l’ITV pulmonaire antérograde, nous pourrons estimer les résistances pulmonaires : TRV/ITV > 0,175 permet de prédire les résistances pulmonaires > 2 UW avec 77 % de sensibilité et 81 % de spécificité.
Problème de la fibrillation auriculaire
Fréquemment rencontrée chez les sujets insuffisants cardiaques, elle constitue, bien souvent, un obstacle à une analyse hémodynamique précise. Pourtant, et reprenant des données validées concernant pression capillaire pulmonaire et pente de décélération de l’onde E (le ratio de E/A > 2 en rythme sinusal prédit une PAP > 20 mmHg dans 99 % des cas), en moyennant 5-10 cycles consécutifs, il est démontré qu’en présence d’une arythmie, une pente moyennée de l’onde E < 120 ms est corrélée à une PCP > 20 mmHg. Les ratios E/Ea > 10 et E/Vp > 3 peuvent être exploités de la même manière. Retenons sinon, la possibilité et l’utilité de facilement calculer la dP/dt maximale et minimale à partir du flux Doppler continu de régurgitation mitrale (figure 5).
Figure 5. La mesure de dP/dt max, comme la mesure de Sa (DTI à l’anneau mitral) viennent compléter l’évaluation de la fonction systolique.
Importance de rapporter la dimension de l’oreillette gauche
Indice simple et très utile, les dimensions de l’oreillette gauche sont corrélées au pronostic, au risque de fibrillation atriale et le diamètre, mieux la surface, et mieux encore, le volume est corrélé au degré d’altération de la fonction diastolique. On retiendra que la taille de l’oreillette gauche est une sorte d’hémoglobine glyquée de la fonction diastolique des dernières semaines (figure 6).
Figure 6. Dimensions de l’OG « HbA1c de la diastole » volume de l’OG = p/6 SA1* SA2* OG.
Dans les cas difficiles où l’échocardiographie de repos et l’approche clinique ne permettent pas de comprendre la symptomatologie fonctionnelle d’un patient, il faut savoir recourir à l’échocardiographie d’effort pour étudier la diastole et la charge (figure 7).
Figure 7. Validité du E/Ea (ou E/E’) lors de l’échographie d’effort.
Conclusion
L’échocardiographie, couplée au Doppler permet (sous réserve d’une rigueur absolue dans l’acquisition des images et d’une bonne connaissance des limites techniques inhérentes à l’effet Doppler) une approche précise de la fonction systolique, diastolique et régionale du myocarde de nos patients insuffisants cardiaques.
L’interprétation des mesures de vitesse ou des ratios E/Ea ou E/Vp doit être faite en intégrant les autres éléments de l’échocardiographie et le contexte clinique sous peine de donner de fausses orientations cliniques.
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