Publié le 21 juin 2011Lecture 8 min
Artériopathie de la femme : il faut y penser !
M. LAFITTE, CHU Haut-Lévêque, Pessac
L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs est une des localisations de la maladie athéromateuse. Sa prévalence augmente avec l’âge. Parmi les facteurs de risque (FDR) modifiables qui prédisposent à la survenue d’une artériopathie, on retrouve, comme pour les autres territoires touchés par la maladie athéromateuse, le tabac, le diabète, l’hypertension artérielle, le cholestérol et la sédentarité.
Les femmes meurent de maladies cardio-vasculaires
Les femmes ont longtemps été considérées comme étant à moindre risque de maladie cardiovasculaire (MCV) d’origine athéromateuse que les hommes, en raison de leur statut hormonal protecteur avant la ménopause. Cependant, même si elles apparaissent plus tardivement au cours de la vie chez les femmes que chez les hommes, les MCV représentent la première cause de mortalité féminine, par cardiopathie ou par accident vasculaire cérébral (AVC), bien devant les cancers. Aussi, 1 femme sur 2 meurt-elle actuellement de MCV. Également, si la mortalité par MCV est supérieure chez les hommes avant 65 ans, cette tendance s’inverse après 65 ans.
L’AOMI est fréquente chez les femmes
L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) est une maladie dont la prévalence est importante chez les femmes. Longtemps considérée comme une affection masculine, il est actuellement admis que sa prévalence chez la femme est possiblement plus élevée que chez les hommes du fait de l’augmentation de la prévalence liée à l’âge, et de l’augmentation de l’espérance de vie des femmes. La prévalence moyenne est estimée à 15,6 % chez les femmes, et à 13,4 % chez les hommes.
Le risque cardio-vasculaire des femmes ne doit pas être négligé
Les artères de femmes apparaissent plus susceptibles à certains facteurs de risque tels que le diabète et le tabac par comparaison aux hommes. Dans un travail d’Evangelista et coll., le risque de développer une maladie artérielle était similaire chez les femmes et les hommes hypertendus ou obèses, le cholestérol semblait induire un risque plus important chez les hommes que chez les femmes, mais ces dernières avaient un risque relatif de développer une MCV à 2,4 en cas de diabète (RR : 1,9 chez les hommes) et à 1,8 en cas de tabac (1,6 chez les hommes). Ces deux facteurs de risque (tabac et diabète) semblaient également être les deux principaux facteurs de développement d’une AOMI chez 14 444 femmes dans le travail de Aronow et coll. De plus, dans l’étude de Sigvant et coll., les femmes avaient un risque significatif de développer une AOMI dès une exposition de 10 à 30 années-tabac alors que les hommes présentaient un risque de la maladie pour des tabagismes plus importants de plus de 30 années-tabac. Ceci est d’autant plus inquiétant que, dans une enquête menée entre 2007 et 2010 parmi des jeunes collégiens et lycéens parisiens, il a été noté une stabilisation du tabagisme des garçons, mais une augmentation de 28 % du tabagisme chez les filles lycéennes et de 170 % chez les filles collégiennes ! Enfin, si le statut hormonal des femmes leur confère un effet protecteur artériel avant la ménopause, le profil lipidique se modifie au moment de la ménopause pour devenir plus athérogène. L’hypertension artérielle est plus fréquente avec l’avancée en âge des femmes.
On comprend bien, à la lumière de ces données, le risque particulier des femmes qui avancent en âge de présenter une MCV d’origine athéromateuse en raison d’une exposition de plus en plus importante aux facteurs de risque modifiables qui ont un effet additif particulièrement néfaste.
Le dépistage de l’AOMI repose sur la mesure des IPS
Il est important de diagnostiquer l’AOMI chez la femme, compte tenu de sa haute prévalence et de l’exposition des femmes à ses facteurs de risque. Pourtant, le diagnostic de l’AOMI reste difficile. En effet, cette affection est connue pour son caractère souvent asymptomatique ou ses symptômes atypiques. Il est important de noter que la claudication artérielle typique, telle qu’elle a été décrite par Leriche et Fontaine, n’est présente que dans moins de 10 % des AOMI chez les femmes. Près de deux tiers des femmes ont une maladie asymptomatique, et parmi le tiers de femmes qui présentent des symptômes, ceux-ci sont très souvent masqués par des gênes à la marche dues à l’arthrose ou à l’ostéoporose fréquente chez les femmes âgées. Les femmes sont également plus sédentaires que les hommes et présenteront moins souvent des douleurs à la marche.
Il convient donc de dépister cette maladie par un test simple, fiable et peu coûteux : la mesure de l’index de pression systolique (IPS) chevilles-bras. Cette mesure permet de diagnostiquer l’AOMI avec une sensibilité de 90 % et une spécificité de 95 % en cas d’IPS < 0,9 (figure).
Figure. Mesure des index de pression systolique. À l’aide d’un brassard à tension et d’un Doppler de poche, on enregistre la pression tibiale postérieure et pédieuse de chaque membre, et les pressions humérales. L’IPS est égal à la pression la plus haute de chaque cheville/la pression humérale la plus haute.
Le pronostic de l’AOMI est sévère
Le dépistage de ces femmes fréquemment asymptomatiques est d’autant plus important que cette AOMI est associée à un pronostic péjoratif. En effet, la présence d’une AOMI diagnostiquée par un IPS bas est associée chez la femme avec des fonctions cognitives altérées, un déclin fonctionnel et une perte de mobilité. L’AOMI est associée au risque de survenue d’un AVC. Au niveau cardiaque, un IPS bas est associé avec des calcifications de l’anneau mitral, une sténose valvulaire aortique et la présence d’une coronaropathie. Plus l’IPS est bas, plus la mortalité totale et cardiovasculaire est élevée, cette augmentation linéaire du risque étant identique chez les hommes et chez les femmes.
L’AOMI est un puissant marqueur de diffusion de la maladie athéromateuse. Plus l’IPS est bas, plus la maladie est importante, avec une forte coexistence d’atteinte associée dans plusieurs territoires (cérébrovasculaires, coronaires, artères des membres inférieurs).
Le pronostic général d’un patient souffrant d’artériopathie est beaucoup plus péjoratif que le pronostic local de la jambe. En effet, si les patients claudicants présentent à 5 ans une mortalité cardiovasculaire de 30 %, seuls 2 à 5 % d’entre eux vont évoluer vers l’ischémie critique des membres inférieurs. Cependant, si cette complication apparait rare, elle n’en est pas moins potentiellement sévère et invalidante en cas d’amputation. Il est important de noter que le diagnostic d’artériopathie est plus souvent posé au stade l’ischémie critique chez les femmes que chez les hommes. De ce fait, elles souffrent de plus d’interventions de revascularisation en urgence et de plus d’amputation que les hommes.
Le diagnostic d’AOMI est souvent posé tardivement chez les femmes
Les raisons de ce retard diagnostique sont multiples. Comme nous l’avons vu, l’AOMI de la femme est encore plus souvent asymptomatique que chez les hommes, les symptômes quand ils existent sont souvent masqués ou atypiques. Par ailleurs, ce sont des raisons culturelles et psychosociales qui doivent être mentionnées. En effet, les médecins considèrent encore les maladies cardiovasculaires comme plus fréquemment masculines et seront plus à risque de méconnaitre le diagnostic d’artériopathie chez une femme que chez un homme. Par ailleurs, les études psycho-sociales ont montré que les femmes avaient des ressources financières inférieures aux hommes, étaient plus souvent isolées socialement, présentaient plus de troubles dépressifs que les hommes, pouvant mener à un accès insuffisant aux soins, une moins bonne prise en charge et une négligence des symptômes.
Le traitement de l’AOMI repose essentiellement sur les mesures de prévention secondaire
En ce qui concerne le traitement de l’AOMI, les recommandations sont les mêmes chez les hommes et chez les femmes. Celui-ci fait appel en premier lieu au traitement médical. Il comprend le contrôle des facteurs de risque modifiables, dont l’arrêt du tabac encadré d’une aide au sevrage si besoin, un réentrainement à la marche et des molécules de prévention secondaire (aspirine ou clopidogrel, IEC, statines, bêtabloquants en cas de cardiopathie ou coronaropathie). Le traitement de revascularisation n’est indiqué qu’en cas d’ischémie critique dans le cadre d’un sauvetage de membre, et chez les sujets présentant une claudication artérielle invalidante non améliorée par les mesures médicales. Les taux de perméabilité des différentes procédures de revascularisation apparaissent relativement similaires chez les hommes et chez les femmes.
Mais ce qui différencie nettement l’évolution postopératoire des femmes par rapport aux hommes est le taux de complications postopératoires supérieur chez les femmes, que ce soit le taux d’accidents vasculaires cérébraux, les complications respiratoires, les saignements, les infections postopératoires, les complications hémodynamiques, les amputations majeures et les décès.
En pratique
L’AOMI de la femme est donc une affection grave, fréquente, sous-diagnostiquée, dont les complications générales sont importantes avec une forte morbi-mortalité cardio-vasculaire. Les complications locales sont plus importantes chez les femmes que chez les hommes, dont une des causes est représentée par un retard diagnostique.
En dehors des situations d’urgence et de sauvetage de membre, les procédures de revascularisation doivent être proposées avec prudence en raison à la fois du faible taux de succès à 5 ans, identique chez les hommes et chez les femmes, mais également en raison d’un sur-risque de complications postopératoires chez les femmes.
Le traitement médical est donc le traitement de première intention. Malheureusement, toutes les études récentes ont montré que l’AOMI était le territoire de la maladie athéromateuse le moins bien traité en France et dans le monde avec un faible taux de prescription des molécules de prévention secondaire et de modification de l’hygiène de vie.
L’effort qui doit être effectué pour mieux traiter les patients avec AOMI doit être encore plus important chez les femmes que chez les hommes, celles-ci bénéficiant encore moins que les sujets de sexe masculin des différentes molécules telles que statines, antiagrégants plaquettaires, traitements de prévention à visée cardiaque.
Il est donc grand temps que non seulement les cardiologues, mais surtout tous les acteurs de la santé des femmes agissent pour :
- améliorer la conscience du risque cardiovasculaire que présentent les femmes,
- améliorer l’évaluation de ce risque cardiovasculaire et agir pour le diminuer,
- dépister l’AOMI par la mesure de l’IPS chez les femmes à risque,
- leur prescrire les traitements de prévention adaptés et les aider à développer leurs possibilités de marche.
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