Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 31 mai 2011Lecture 5 min
Comment reconnaître une ESV bénigne d’une ESV maligne ?
F. BRIGADEAU, CHU de Lille
Une extrasystole ventriculaire (ESV) est une excitation prématurée, issue du myocarde ou du tissu de conduction du cœur à partir d’un point situé en deçà de la bifurcation des branches du faisceau de His. En post-infarctus, on a montré de longue date une corrélation entre le nombre et la complexité des ESV et la mortalité subite, ce qui a conduit à la réalisation d’une classification de ces ESV : la classification de Lown. On sait également, que les ESV sont fréquentes et surviennent parfois sur un cœur sain, ce qui leur confère un bon pronostic. Le pronostic des ESV dépend donc essentiellement de la cardiopathie sous-jacente.
Éléments pronostiques des ESV
L’incidence et la prévalence des ESV dépendent de la taille de l’échantillonnage. Les ESV sont présentes sur 2 à 3 % des ECG de surface et détectées dans 50 % environ des Holter de 24 heures. Après un bilan soigneux de cardiopathie, Kostis(1) a montré que 40 % des patients indemnes de cardiopathie avaient au moins 1 ESV/j, 1 à 4 % de cette population pouvant même avoir des ESV fréquentes (1/min) et complexes (Lown 3 à 5).
La fréquence des ESV augmente classiquement avec l’âge et ce, en l’absence de cardiopathie, puisque l’incidence passe dans ce contexte de 1 % chez l’enfant à près de 9 % au delà de 70 ans. On considère ainsi comme normal d’avoir moins de 100 ESV/j avant 50 ans et moins de 200 ESV/j après 50 ans. Par ailleurs, des doublets sont possibles au-delà de 50 ans.
La morphologie est également un élément pronostique important, puisque les ESV sont d’autant plus amples et fines en l’absence de cardiopathie. Moulton(2) a ainsi montré que la largeur médiane des ESV passe d’à peine 140 ms en l’absence de cardiopathie à plus de 180 ms en présence d’une cardiopathie avec dysfonction systolique ventriculaire gauche. De même l’amplitude des QRS est moindre en cas de cardiopathie avec un aspect volontiers crocheté.
La réponse à l’effort est également indispensable à évaluer. Une position généralement admise est que la disparition à l’effort des ESV est plutôt de bon pronostic. Néanmoins cette assertion ne repose pas sur un niveau de preuve satisfaisant. En revanche, la survenue d’ESV à l’effort ou en phase de récupération a été étudiée de façon plus approfondie. C’est Jouven(3) qui le premier a démontré une association entre la survenue d’ESV à l’effort et la mortalité cardiovasculaire. Chez les 6 101 patients étudiés et indemnes de cardiopathie, la survenue d’ESV fréquentes (définies comme représentant > 10 % des QRS sur une période de 30 s pendant l’épreuve d’effort) augmente le risque de mortalité cardiovasculaire d’un facteur 2,67 sur un suivi de 23 ans. Il semble même que la période de récupération soit encore plus pertinente à analyser d’un point de vue pronostique. Frolkis(4) a montré qu’au-delà de 7 ESV/min en phase de récupération, la mortalité totale croît avec un hasard ratio de 2,4. L’absence de réactivation vagale post-effort est probable pour expliquer ce phénomène et notamment.
Le bilan minimal de détection d’une cardiopathie en cas d’ESV doit donc comprendre une échocardiographie, une épreuve d’effort et un Holter. Le terrain, l’interrogatoire, l’examen clinique et l’ECG de surface permettront d’engager éventuellement un bilan plus approfondi et orienté à la recherche d’une cardiopathie ischémique, dilatée, hypertrophique ou d’une pathologie génétique par la réalisation de tests d’ischémie voire d’une coronarographie, d’une IRM, de potentiels tardifs.
Les ESV sur cardiopathies
Plus fréquentes que sur cœur sain, elles sont déclenchées par les modifications architecturales du myocarde liées à la cardiopathie sous-jacente (fibrose, hypertrophie, étirement). Elles ont une valeur pronostique dans presque toutes le cardiopathies.
Dans les cardiopathies dilatées à coronaires saines, la survenue d’ESV complexes (toujours selon la classification de Lown) est associée à une surmortalité et constitue, avec la fraction d’éjection, les troubles de la conduction, les tachycardies ventriculaires non soutenues et la survenue de syncope, un marqueur pronostique à part entière de mortalité totale et subite. Elles sont dans ce contexte un témoin de la gravité de la cardiopathie et sont alors volontiers, larges, peu amples et crochetées, de retard droit et d’axe variable.
Dans les cardiopathies post-infarctus, l’ESV est peu ample et la durée du QRS importante. Le retard et l’axe de l’ESV sont souvent en rapport avec la localisation de l’infarctus. Farell(5) a montré dès 1991 qu’elles étaient associées, à la mort subite et aux arythmies ventriculaires. En phase aiguë d’infarctus, les ESV à couplage court peuvent parfois occasionner des orages rythmiques incoercibles pour lesquels l’ablation par radiofréquence est une ressource thérapeutique très efficace (figure).
Figure. Orage rythmique sur ESV initiatrice en phase subaiguë d’infarctus inférieur.
Dans la dysplasie arythmogène du ventricule droit(6), dont le diagnostic repose sur un certain nombre de critères majeurs et mineurs, la charge en ESV sur 24 heures constitue un critère diagnostique mineur au-delà de 500/j(6). Elles sont alors quasi exclusivement de retard gauche (car issues du ventricule droit), et d’axe variable, là encore en relation avec la localisation des infiltrats fibro-adipeux.
Dans l’HTA, elles sont clairement associées au degré d’hypertrophie ventriculaire gauche et l’hypertrophie est, elle, associée à un sur-risque de mort subite, mais la question de la malignité directe des ESV reste en suspend.
Cas particuliers
Les ESV infundibulaires
Elles sont de retard gauche et d’axe inférieur (positives en DII, DIII et aVF). La transition du QRS vers V2 est plutôt en faveur d’une localisation infundibulaire gauche, alors qu’une transition plus distale est en faveur d’une localisation plutôt droite. Le couplage de ces ESV est souvent long. Elles nécessitent l’exclusion du diagnostic de dysplasie arythmogène du ventricule droit. Sous réserve de cette étiologie, elles sont d’excellent pronostic. Une situation particulière a été décrite par quelques équipes(7) qui ont montré qu’en cas de charge exceptionnellement élevée en ESV (au-delà de 20 000/j) une cardiopathie dilatée rythmique peut se développer. Un traitement par ablation de ces ESV permet de porter le diagnostic de façon rétrospective en montrant après ablation une amélioration de la fonction systolique.
Les ESV dans les cardiopathies génétiques rythmiques
Pour le syndrome du QT long, du QT court et le syndrome de Brugada, le diagnostic ECG est souvent patent. La survenue d’ESV est plus problématique dans les tachycardies ventriculaires catécholergiques et les torsades de pointes à QT normal.
Dans le premier cas, c’est l’aspect bidirectionnel qui est un élément évocateur, ainsi que la survenue élective à l’effort. Dans le second cas, c’est le couplage extrêmement court qui oriente le diagnostic.
En pratique
En cas de découverte d’ESV, la stratification initiale du risque repose largement sur le bilan étiologique et l’existence d’une cardiopathie sous-jacente. Le bilan minimal comprend un Holter pour élargir l’échantillonnage, une épreuve d’effort à visée étiologique et pronostique, et une échographie. La morphologie de l’ESV peut orienter vers un caractère bénin ou malin et la topographie exacte de l’ESV sur l’ECG 12 dérivations peut guider le bilan étiologique (atteinte ventriculaire droite en cas d’ESV retard gauche et du ventricule gauche en cas d’ESV retard droit). Les ESV infundibulaires sont réputées d’excellent pronostic sous réserve de l’absence de dysplasie arythmogène et d’une charge quotidienne qui peut entraîner une cardiopathie rythmique. Il faut savoir penser, sur une ESV avec bilan de débrouillage normal, à une maladie génétique rythmique.
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