Valvulopathies
Publié le 26 avr 2011Lecture 6 min
Intérêt d’un score de risque pour les sténoses aortiques asymptomatiques
J.-L. MONIN, CHU Henri Mondor, Créteil
Les indications formelles de remplacement valvulaire en cas de rétrécissement aortique calcifié (RAC) sévère sont la présence de symptômes à l’effort (ou démasqués lors d’un ECG d’effort) ou d’une dysfonction systolique ventriculaire gauche(1) (tableau 1). À l’opposé, la chirurgie précoce en cas de RAC sévère chez un patient asymptomatique reste largement débattue(1,2). Un RAC sévère peut être défini par un pic de vitesse trans-valvulaire (Vmax) > 4,0 m/s, correspondant généralement à un gradient moyen de pression > 40 mmHg et à une surface valvulaire < 1,0 cm2(2). Cependant, aucune de ces valeurs seuils prises isolément ne permet d’établir la sévérité hémodynamique d’un RAC.
En d’autres termes, il n’existe pas de chiffre magique permettant d’affirmer la sévérité hémodynamique ni a fortiori de poser l’indication opératoire en cas de RAC asymptomatique. La raison en est que la tolérance fonctionnelle d’un RAC, qui détermine la survenue des symptômes ou d’un accident cardiovasculaire grave (décompensation cardiaque ou mort subite), dépend de l’interaction de 3 paramètres :
• la sévérité hémodynamique de l’obstacle valvulaire ;
• l’adaptation et la tolérance du ventricule gauche ;
• les résistances artérielles périphériques(3).
De ce fait, la stratification du risque d’événements chez les patients asymptomatiques devrait idéalement intégrer les 3 paramètres ci-dessus.
Valeur additionnelle du BNP en cas de RAC asymptomatique
Le peptide natriurétique de type B (BNP) est sécrété principalement par les ventricules cardiaques en réponse à l’augmentation du stress pariétal. La valeur pronostique des taux plasmatiques de BNP a été largement démontrée dans l’insuffisance cardiaque et plus récemment dans la sténose aortique, notamment par notre groupe(4). Sachant que le taux de BNP traduit l’augmentation des pressions intraventriculaires gauche, donc la tolérance ventriculaire à l’obstacle aortique, il nous a semblé logique d’inclure ce paramètre dans l’évaluation des RAC asymptomatiques.
Pour cette étude, 104 patients ayant un RAC asymptomatique (âge moyen (médiane, quartiles) : 72 ans [63-77] ; 35 femmes (34 %) ; Vmax: 4,1 m/s [3,5-4,4]) ont été suivis de manière prospective au CHU Henri Mondor (Créteil, France)(5). Un examen clinique avec interrogatoire à la recherche de symptômes, un écho-Doppler cardiaque complet et un dosage du BNP plasmatique (Beckman-Coulter, Biosite®) ont été réalisés pour chaque patient à l’entrée dans l’étude. Un ECG d’effort a également pu être effectué chez 89 patients (83 %). Par la suite, les patients étaient suivis par leur cardiologue référent ainsi qu’au CHU tous les 6 à 12 mois conformément aux recommandations(1,2).
Les critères de jugement considérés pour l’analyse statistique étaient le décès (toutes causes), la survenue de symptômes d’effort (dyspnée, angor, lipothymie ou syncope) ou un ECG d’effort positif 5. Ces événements sont survenus chez 62 patients, après un suivi moyen de 8 mois(5-13), incluant 3 décès, 58 remplacements valvulaires essentiellement liés à l’apparition des symptômes et 1 patient symptomatique refusant la chirurgie. À l’opposé, 42 patients sont restés asymptomatiques pendant plus de 2 ans, avec une durée de suivi moyenne de 32 mois (26-45). Les principales caractéristiques cliniques et hémodynamiques des 2 groupes sont résumées dans le tableau 2.
Les patients ayant évolué rapidement vers un événement cardiaque avaient initialement un RAC plus sévère, mais également un taux de BNP 2 à 3 fois plus élevé que dans l’autre groupe.
De plus, le taux de BNP a doublé en 6 mois dans le groupe ayant présenté un événement, alors qu’il restait stable dans l’autre groupe (tableau 2).
Construction et validation du score de risque
Les 3 facteurs prédictifs indépendants d’événements cardiaques étaient le sexe féminin (moins bonne tolérance fonctionnelle chez les femmes à degré de sténose aortique égal), la Vmax et le taux de BNP initial(5).
Ces 3 paramètres ont été combinés en un score de risque selon la formule suivante :
Score = [Vmax (m/s) × 2] + [Log népérien (BNP) × 1,5] + 1,5 (sexe féminin)
Le taux d’événement après 20 mois de suivi est étroitement corrélé à la valeur initiale du score : de 4 à 7 % dans le premier quartile du Score, contre 80 à 85 % dans le quatrième quartile (figure 1).
Figure 1. Courbes de Kaplan-Meier illustrant la survie sans événement en fonction des quartiles de score parmi la cohorte d’Henri Mondor (n=104). Les valeurs du score sont données pour chaque quartile et les chiffres sous les courbes correspondent au nombre de patients à risque. Adapté d’après référence 5.
Ce score a ensuite été validé sur une cohorte de 107 patients ayant les mêmes caractéristiques de départ que la cohorte de Mondor et suivis parallèlement de manière prospective et indépendante selon le même protocole par l’équipe de L. Piérard et P. Lancellotti au CHU de Liège, Belgique. La corrélation entre le taux d’événements et les valeurs de score est strictement superposable à celle de la cohorte d’Henri Mondor (figure 2). À noter que l’augmentation du taux d’événements en fonction des valeurs de score est quasi linéaire entre les quartiles 1 et 3, avec un taux d’événements à 20 mois dépassant les 50 % entre les 2e et 3e quartiles (figure 3). Cinq patients de la cohorte liégeoise sont décédés au cours de la surveillance malgré le respect des recommandations (2 morts subites et 3 insuffisances cardiaques réfractaires), ils avaient tous des valeurs de score situées dans le 3e ou 4e quartile (tableau 3).
Figure 2. Comparaison des courbes de Kaplan-Meier illustrant la survie sans événement en fonction des quartiles de score entre la cohorte d’Henri Mondor (n = 104) et celle de Liège (n = 107). La valeur pronostique du score est strictement comparable entre les 2 centres malgré un recrutement et une surveillance complètement indépendants. Adapté d’après référence 5.
Figure 3. Taux d’événements indésirables (décès, apparition des symptômes ou test d’effort positif) en fonction de la valeur du score de risque. Les valeurs correspondant aux quartiles sont données en abscisse. Adapté d’après référence 5.
Un des intérêts de ce score est qu’il combine des paramètres facilement mesurables, disponibles d’emblée lors de la première consultation. Parmi ces paramètres, 2 ont été largement validés comme facteurs pronostiques indépendants dans la sténose aortique : la Vmax(6,7) et le taux de BNP(4,8,9). Il est intéressant de noter que la Vmax reflète la sévérité de l’obstacle aortique et le taux de BNP le retentissement ventriculaire gauche, pondéré par le sexe féminin. La complémentarité entre Vmax et BNP pour la stratification du risque est illustrée par le tableau 3 : pour la patiente n° 1, une Vmax très élevée (5,6 m/s) donne un score de risque dans le 4e quartile malgré un BNP relativement bas à 71 pg/ml ; à l’inverse pour le patient n° 2, le BNP très élevé à 521 pg/ml traduit probablement une dysfonction ventriculaire gauche expliquant la diminution relative de la Vmax (3,4 m/s) malgré un obstacle valvulaire significatif.
En pratique
Le score de risque que nous proposons pour les RAC asymptomatiques ne figure pas actuellement dans les recommandations et son utilisation n’est donc pas validée pour la pratique courante. Cependant, il peut être utilisé à titre indicatif pour préciser le niveau de risque d’événements cardiaque chez un patient donné (figure 4).
Une validation plus large du score est actuellement en cours (étude multicentrique prospective), afin de préciser son utilité en pratique courante pour la sélection des patients asymptomatiques à haut risque d’événements, susceptibles de bénéficier d’une chirurgie précoce.
Figure 4. Mini tableur XL permettant un calcul automatique du score de risque : selon le sexe, entrer la valeur du pic de vitesse (Vmax, m/s) et le taux de BNP (pg/ml).
Attention : calcul valable uniquement pour les dosages de BNP,non valable pour le NT-proBNP. La conversion logarithmique du taux de BNP est automatique ainsi que le calcul de score. Le résultat permet de classer le patient dans les quartiles de 1 à 4. Dans l’exemple choisi, la femme et l’homme sont respectivement dans le 2e et le 3e quartile.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :