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Chirurgie

Publié le 13 sep 2005Lecture 5 min

Faut-il arrêter les antiagrégants plaquettaires avant la chirurgie cardiaque ?

Ph. LÉGER, A. OUATTARA, H. BOUZGUENDA, N. MABROUK et I. GANDJBAKHCH, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

De plus en plus de patients devant bénéficier d’une chirurgie cardiaque reçoivent un traitement antiagrégant plaquettaire, aspirine et/ou clopidogrel.
Le bénéfice d’un tel traitement dans la prévention des risques thrombotiques n’est plus à démontrer. Les perturbations des fonctions plaquettaires font cependant courir un risque hémorragique important en per- et postopératoire d’où la tentation d’arrêter ces traitements quelques jours avant l’intervention. Cette attitude recommandée jusqu’à récemment est-elle toujours licite ?

Justification du traitement antiplaquettaire L’aspirine réduit le risque létal chez un patient ayant présenté un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral si elle est prescrite précocement dans les heures qui suivent l’apparition des symptômes ou chez les patients venant de bénéficier d’une revascularisation myocardique par angioplastie ou chirurgie. Chez ces derniers, la principale complication est, en effet, la thrombose intraluminale du stent ou du pontage. Jusqu’à récemment, l’aspirine était le seul agent antiagrégant plaquettaire disponible pour prévenir et traiter ce type de complication. L’aspirine est un inhibiteur irréversible de la cyclooxygénase. Cette action perdure environ 7 jours après l’arrêt du traitement, temps nécessaire à la reconstitution de la moitié du pool plaquettaire. Bien que l’aspirine puisse augmenter le saignement postopératoire, cela n’implique pas nécessairement le recours à une transfusion érythrocytaire. Par ailleurs, une étude multicentrique a montré une diminution de la mortalité chez les patients ayant reçu de l’aspirine en préopératoire avant chirurgie cardiaque. Les effets délétères de l’arrêt de l’aspirine à la phase préopératoire (augmentation de la vulnérabilité à l’ischémie pendant la période sans la protection de l’aspirine) peut être plus dangereuse que les conséquences d’un saignement postopératoire excessif. Cependant, si l’aspirine n’a pu être arrêtée avant l’intervention, il est important de prévoir une prise en charge peropératoire spécifique avec, en particulier, la prescription d’un antifibrinolytique dans le but de réduire les pertes sanguines. Avec une telle stratégie thérapeutique, l’aspirine prescrite jusqu’en préopératoire immédiat n’augmente ni le saignement périopératoire, ni la consommation de produits sanguins, ni la durée du séjour en réanimation ou à l’hôpital. Chez les patients à haut risque recevant déjà de l’aspirine, il peut être intéressant de prescrire un autre agent antithrombotique, un anticoagulant ou un autre antiagrégant plaquettaire (clopidogrel ou ticlopidine). Le clopidogrel offre plusieurs avantages certains comparativement à la ticlopidine : un délai d’action plus court et moins d’effets secondaires délétères. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de patients sont traités par l’association aspirine + clopidogrel après un geste de cardiologie interventionnelle, et éventuellement avant un acte chirurgical. Il a été démontré que le clopidogrel a un intérêt certain chez les patients bénéficiant d’une angioplastie percutanée après un syndrome coronaire aigu, avec cependant un risque hémorragique accru. Le clopidogrel inhibe l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP en modifiant de façon irréversible l’un des récepteurs plaquettaires de l’ADP. Cette action est maintenue pendant toute la durée de vie des plaquettes. Chez des patients présentant un syndrome coronarien aigu et venant de bénéficier d’une angioplastie intraluminale, l’adjonction de clopidogrel à l’aspirine a montré une efficacité supérieure à l’aspirine seule, particulièrement chez les patients à haut risque de complications thromboemboliques.   Conséquences per- et postopératoires de la poursuite du traitement antiplaquettaire L’action antiplaquettaire de l’aspirine et du clopidogrel augmente le risque hémorragique pendant et après une intervention chirurgicale. De très nombreuses études ont mis en évidence une augmentation du saignement postopératoire. Les conséquences de ce saignement excessif sont une augmentation du taux de reprise chirurgicale et des produits sanguins transfusés. Ces complications sont à l’origine d’un allongement de la durée de ventilation artificielle et du séjour en unité de soins intensifs et d’hospitalisation. Cependant, l’interprétation de toutes ces études est parfois difficile en raison du caractère hétérogène des populations étudiées : pontages parfois associés à des remplacements valvulaires, patients opérés en urgence ou traités par héparine avant l’intervention. Au vu de ces études, il pourrait être recommandé d’arrêter l’aspirine 5 jours et le clopidogrel au moins 7 jours avant l’intervention chirurgicale.   Risques de l’arrêt du traitement antiplaquettaire L’arrêt de ce traitement est-il sans risque chez le patient coronarien, ayant éventuellement bénéficié de l’implantation récente d’un stent endoluminal, et plus particulièrement d’un stent couvert ? Le risque de thrombose du stent semble plus important que l’éventuel risque hémorragique. En effet, il existe un risque plus élevé de complications thrombotiques lorsqu’un traitement antiagrégeant plaquettaire est interrompu à la phase préopératoire. Parmi les patients admis pour un syndrome coronaire aigu, 5 % avaient interrompu leur traitement, le plus souvent en raison d’un acte chirurgical programmé. Ces patients voient leur pronostic altéré, la mortalité étant doublée comparativement aux patients n’ayant pas interrompu le traitement antiagrégant plaquettaire, et même aux patients n’ayant jamais été traités. L’analyse multivariée montre que l’interruption du traitement antiagrégant plaquettaire est un facteur de risque indépendant de mortalité et d’accidents ischémiques graves.   Conduite à tenir Chez les patients traités le plus souvent par l’association aspirine + clopidogrel en raison du haut risque de thrombose intrastent, il est préférable de poursuivre le traitement antiagrégant plaquettaire jusqu’à la veille de l’intervention. Cependant, afin de diminuer le risque hémorragique, il est indispensable qu’ils puissent bénéficier en peropératoire, et éventuellement en postopératoire, de la prescription d’un antifibrinolytique en plus d’une hémostase chirurgicale soigneuse. L’administration d’aprotinine est bien documentée chez les patients ayant reçu de l’aspirine en préopératoire. L’aprotinine est un inhibiteur des protéinases sériques qui préserve la fonction plaquettaire par un mécanisme indépendant de son activité antifibrinolytique. Cette attitude préconisée pour la chirurgie cardiaque ne peut cependant pas être directement transposable à d’autres types d’interventions chirurgicales où l’augmentation du saignement per- et postopératoire ferait courir un risque vital trop important.   En pratique   En raison du risque important de complications thrombotiques en cas d’arrêt d’un traitement antiagrégant plaquettaire, il ne semble pas licite de préconiser leur arrêt avant une intervention de chirurgie cardiaque. Cependant, l’augmentation réelle du risque hémorragique doit être prise en compte par une prise en charge spécifique : - prescription d’un antifibrinolytique pendant toute la durée de l’intervention et éventuellement en postopératoire immédiat ; - dose standard d’héparine (300 UI/kg) ; - pas de prescription prophylactique d’unités plaquettaires avant la circulation extracorporelle (CEC). Les unités plaquettaires ne seront prescrites qu’en cas de besoin après l’arrêt de la CEC et après antagonisation de l’héparine par la protamine. Cette attitude, valable pour la chirurgie cardiaque, ne peut être préconisée pour d’autres types de chirurgie, où le risque hémorragique ferait courir un risque vital au patient. Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

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