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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 24 nov 2009Lecture 10 min

Fibrillation atriale : comment évaluer le risque thrombo-embolique ? Quelles recommandations de prescription du traitement antithrombotique ?

O. PIOT, Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis

La fibrillation atriale (FA) est associée à une morbidité et une mortalité élevées, notamment par ses complications thromboemboliques. Le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique chez les patients ayant une fibrillation atriale non valvulaire est de l’ordre de 5 % par an, 2 à 7 fois plus élevé que des sujets comparables sans FA. Ce risque augmente avec l’âge : 1,5 % chez les patients âgés entre 50 et 59 ans jusque 23,5 % chez les patients âgés entre 80 et 89 ans dans la fameuse étude de Framingham. Le traitement antithrombotique est clairement efficace pour contrôler ce risque thromboembolique, puisque le traitement antivitamine K diminue de 62 % ce risque, autant en prévention primaire qu’en prévention secondaire, que ce soit en prévention des AVC avec ou sans séquelle.

Dans les analyses on treatment, c’est-à-dire ne considérant que les patients suivant effectivement leur traitement, la réduction du risque est de 80 %. L’acide acétylsalycilique (dosage quotidien de 81 à 325 mg) diminue de 33 % le risque thromboembolique en prévention primaire chez des patients dont le risque d’AVC est de 5 % par an. L’effet en prévention secondaire est moins marqué chez des patients à risque d’AVC plus élevé, de 14 % par an. Plus le risque d’AVC avec séquelle (origine cardioembolique plus fréquente) est élevé, moins l’acide acétylsalycilique protège. Les méta-analyses des études randomisées ont montré une diminution du risque de 35 % sous antivitamine K par rapport à l’acide acétylsalycilique d’où des indications différentes selon le niveau de risque thromboembolique. Le risque hémorragique lié au traitement anticoagulant reste cependant une limite majeure de ce traitement avec une fenêtre thérapeutique étroite et d’ajustement difficile. Issus d’ambitieux programmes de recherche, de nouveaux traitements antithrombotiques ayant une fenêtre thérapeutique plus large devraient être disponibles en pratique quotidienne dans les deux à trois prochaines années et marqueraient un tournant dans la prévention thromboembolique de la FA. Les deux questions pratiques avant instauration d’un traitement antithrombotique concernent l’évaluation du risque thromboembolique individuel, ainsi que du risque hémorragique, et le choix du traitement antithrombotique qui découle de l’évaluation des risques. Les dernières recommandations internationales sur la prise en charge des patients ayant une fibrillation atriale datent déjà d’août 2006. Concernant le traitement antithrombotique, il faut d’emblée noter que les données scientifiques sur lesquelles se sont basés les experts datent principalement des années 90. Les nombreux essais en cours sur de nouveaux traitements antithrombotiques devraient faire évoluer ces recommandations, notamment sur le type de traitement antithrombotique.   Comment évaluer le risque thrombo-embolique ? Les facteurs de risque thrombo-embolique sont simples à recenser lors d’une consultation, éventuellement complétée par une échographie cardiaque. Ils sont liés à un risque haut, modéré ou bas (tableau 1). Une fois associés, les facteurs de risque permettent d’estimer le niveau de risque du patient : risque élevé (supérieur à 6 % par an), risque intermédiaire (de 3 à 5 % par an) et risque faible (inférieur à 2 % par an) (tableau 2). Cette évaluation peut se chiffrer par le score de risque CHADS2 qui est largement utilisé dans les études sur le sujet : C pour Insuffisance cardiaque congestive, H pour Hypertension artérielle, A pour Âge > 75 ans, D pour Diabète, et S pour Antécédent d’AVC ischémique ou d’accident ischémique transitoire. La présence de chacun de ces critères vaut 1 point sauf l’antécédent d’AVC ischémique ou d’accident ischémique transitoire qui compte deux points. Un score CHADS2 de 0 correspond à un risque faible, un score de CHADS2 de 1 ou 2 correspond à un risque intermédiaire et un score de CHADS2 de 3 à 6 correspond à un risque élevé. Bien que la valeur discriminante de cette estimation reste imparfaite au plan individuel, elle est un moyen simple qui permet d’optimiser la balance bénéfice/ risque du traitement antithrombotique. Il est important de faire comprendre au patient cette démarche en lui expliquant cette évaluation de son risque thromboembolique, ce qui permet souvent une meilleur observance. L’évaluation du risque hémorragique n’est pas aussi bien codifiée, les facteurs de risque recensés sont le niveau d’INR (risque exponentiel lors des surdosages), l’âge avancé, l’hypertension non contrôlée, l’association d’autres traitements antithrombotiques, la consommation de tabac ou d’alcool, une maladie cérébrovasculaire identifiée ou des anomalies vasculaires détectées par imagerie cérébrale (angiopathie amyloide, leucoaraïose, micro-hémorragies). Des marqueurs génétiques de sensibilité à la warfarine ou de prédisposition à l’hémorragie cérébrale sont à l’étude, de même que des marqueurs de risque hémorragique à l’IRM cérébrale (micro-hémorragies, atteinte microvasculaire), sans utilité démontrée pour l’instant.   Quelles recommandations de prescription du traitement antithrombotique ? Les recommandations internationales de 2006 sont assez précises sur les indications de ce traitement qui sont basées sur l’évaluation du niveau de risque thromboembolique. Outre les indications du traitement antithrombotique et du choix entre anticoagulant et acide acétylsalycilique, le niveau d’anticoagulation à viser et quelques situations cliniques fréquentes sont abordées. Qui doit recevoir un traitement antithrombotique ? Tous les patients sauf ceux ayant une FA isolée ou en cas de contre-indications. Le choix du type de traitement antithrombotique est déterminé par les risques absolus d’accident thromboembolique et hémorragique, et le ratio bénéfice/risque qui en découle pour un patient donné. Ce choix ne doit pas être orienté par le type de FA (paroxystique, persistante ou permanente) et est comparable en cas de flutter atrial. Ce risque n’est pas différent que le patient soit en rythme sinusal ou en fibrillation atriale et ce quel que soit son traitement anti-arythmique (Classe I ou III ou ralentisseur). Souvent discuté, ce risque thromboembolique similaire en cas de FA paroxystique ou permanente a été confirmé dans une sous-étude récente de la population de 6 607 patients de l’étude ACTIVE W. Qui doit recevoir un traitement anticoagulant ? Impérativement, en dehors des contre-indications, tous les patients dont le niveau de risque est estimé élevé en utilisant l’approche décrite ci-dessus (recommandation de classe I, niveau A). Qui peut recevoir un traitement anticoagulant ? Les patients à niveau de risque intermédiaire peuvent recevoir un traitement anticoagulant ou de l’acide acétylsalycilique. Le choix est basé sur le risque de complication hémorragique, la capacité du patient à s’astreindre au long cours à un traitement antivitamine K et les préférences du patient après lui avoir exposé les deux possibilités thérapeutiques. Qui ne doit pas recevoir de traitement anticoagulant ? Les patients à bas risque thromboembolique, notamment les patients sans cardiopathie, sans facteur de risque TE, âgés de moins de 60 ans (recommandation de classe III, niveau C). Quel niveau d’anticoagulation ? Le niveau d’INR visé est toujours entre 2,0 et 3,0 avec dosages hebdomadaires puis mensuels après équilibre. Deux situations à noter : - en cas de présence d’une valve mécanique : l’objectif d’INR est supérieur à 2,5, - en cas de risque hémorragique jugé non négligeable mais ne contre-indiquant cependant pas les antivitamines K pour un patient âgé de plus de 75 ans ou ayant un niveau de risque thromboembolique intermédiaire : l’objectif d’INR peut être de 2,0 (1,8 à 2,5) permettant d’obtenir 80 % de l’effet préventif thromboembolique obtenu avec un objectif standard, avec un risque hémorragique diminué (recommandation de classe IIb, niveau C). Enfin, il est recommandé de réévaluer régulièrement l’indication du traitement anticoagulant.   Situations spécifiques   Quelle anticoagulation en cas de cardioversion ? Rappelons qu’une cardioversion de FA doit être précédée de 3 semaines et suivie d’au moins 4 semaines d’anticoagulation efficace (INR entre 2,0 et 3,0). En cas de cardioversion sans traitement antivitamine K efficace, dans le contexte de l’urgence et/ou après échographie transoesophagienne, une anticoagulation efficace par héparine non fractionnée doit être effectuée. Dans les recommandations, il est noté que les héparines de bas poids moléculaire ont peu de données scientifiques en faveur de leur utilisation dans ce contexte. Quand la FA est « datable », de moins de 48 heures, le traitement anticoagulant peut être déterminé selon le risque thromboembolique du patient (recommandations de classe I, niveaux B et C). Comment interrompre le traitement antithrombotique pour une procédure à risque hémorragique et faut-il faire un relais par héparine ? En cas de procédure à risque hémorragique, chez les patients en FA n’ayant pas de valve mécanique, il est proposé d’interrompre le traitement antithrombotique jusqu’à 8 jours si nécessaire sans relais par héparine (recommandation de type IIa, niveau C). Cette recommandation est basée sur le risque faible d’AVC rapporté à une période courte d’interruption du traitement. En cas de nécessité d’interruption de plus de 8 jours, ou chez des patients à haut risque, un relais par héparine (non fractionnée ou de bas poids moléculaire) peut être envisagé. Le patient valvulaire nécessite évidemment un relais par héparine. Comment associer les antithrombotiques chez les patients ayant FA et maladie coronaire ? Chez un patient coronarien revascularisé, l’aspirine (100 mg/jour) ou le clopidogrel peut être associé au traitement antivitamine K. En cas d’implantation d’un stent, il est proposé d’associer initialement clopidogrel et antivitamine K puis de poursuivre une monothérapie par antivitamine K. La durée de l’association dépend du type de stent implanté : au moins 1 mois pour un stent nu, 3 mois pour un stent au sirolimus, 6 mois pour un stent au paclitaxel, parfois plus de 12 mois dans des cas particuliers. La triple association, au risque hémorragique élevé, est à éviter. Bien que précises, ces recommandations prudentes ne reposent pas encore sur suffisamment de données pour être définitives.   En pratique Les situations cliniques fréquentes du choix du traitement antithrombotique en cas de cardioversion, d’interruption du traitement, de l’association entre les traitements antithrombotiques chez le coronarien sont l’objet de recommandations d’experts assez précises pour orienter la pratique. Des études épidémiologiques récentes dans la « vraie vie » démontrent une sous-utilisation du traitement anticoagulant chez les patients ayant une indication, et même une sur-utilisation chez des patients à faible niveau de risque thromboembolique, notamment les sujets jeunes, les exposant inutilement à un risque hémorragique. Cependant, plus encourageante, une étude américaine montre une augmentation de la prescription des anticoagulants chez les patients à niveau de risque élevé entre les années 90 et 2000. Il est certain que les difficultés d’équilibration et de suivi du traitement anticoagulant, du risque hémorragique lié à ce traitement, expliquent en grande partie ces données et justifient largement la recherche actuelle de nouveaux antithrombotiques qui permettraient un taux de prescription plus élevé et donc une diminution des AVC ischémiques liés à la FA. Mais, à ce jour, comme encore récemment démontré en comparaison à l’association de deux antiplaquettaires, l’outil le plus efficace dont le cardiologue dispose pour limiter le risque thromboembolique est le traitement antivitamine K. Il doit donc être indiqué si le niveau de risque thromboembolique est intermédiaire ou élevé en s’appuyant sur les recommandations.   Et demain ? Les limites du traitement anticoagulant et le caractère épidémique de la FA ont motivé de vastes programmes de recherche sur de nouveaux traitements antithrombotiques ayant un effet préventif plus stable et au moins comparable aux antivitamines K, une fenêtre thérapeutique plus large avec un risque hémorragique plus faible sans besoin de contrôle sanguin de la coagulation. L’association d’antiagrégants plaquettaires. Le programme d’études ACTIVE réalisé chez plus de 14 000 patients en FA avec un risque thromboembolique élevé a comparé l’association clopidogrel-aspirine à la warfarine (ACTIVE W 6 706 patients étude de non-infériorité) et à l’aspirine (ACTIVE A 7554 patients étude de supériorité). L’étude ACTIVE W a montré une supériorité du traitement antivitamine K sur l’association avec une réduction du taux d’AVC de 44 %. Ce bénéfice était encore plus marqué chez les patients déjà sous antivitamine K à l’inclusion. L’étude ACTIVE A, réalisée chez des patients ne pouvant recevoir de traitement antivitamine K bien qu’à risque thromboembolique élevé, a montré une meilleure prévention thromboembolique de l’association que l’aspirine seule (réduction du taux d’AVC de 0,9 % par an) au prix d’une élévation du risque hémorragique (augmentation du taux d’hémorragies majeures de 0,7 % par an). Les inhibiteurs directs de la thrombine. Le programme SPORTIF (ximelagatran, inhibiteur de la thrombine) a été interrompu en raison d’un problème de tolérance hépatique. Une autre antithrombine, le dabigatran, a fait l’objet d’une étude nettement positive, l’étude RE-LY, récemment publiée. Chez plus de 18 000 patients en FA avec un score de CHADS2 moyen un peu supérieur à 2, la dose de 110 mg 2 fois par jour de dabigatran n’est pas inférieure à la warfarine en terme de prévention thromboembolique (taux d’AVC de 1,5 % et de 1,7 % à 2 ans, respectivement) et la dose de 150 mg 2 fois par jour est supérieure (taux d’AVC de 1,1 %). Un élément très intéressant est que le risque d’AVC hémorragique est très significativement diminué sous dabigatran par rapport à la warfarine. Quatre autres points sont à noter sur le dabigatran : l’absence de toxicité hépatique particulière, des dyspepsies et des saignements gastro-intestinaux plus fréquents (taux de saignements majeurs : 1,1 % à la dose de 110 mg, 1,5 % à la dose de 150 mg pour 1 % sous warfarine), une discrète augmentation du nombre d’infarctus (0,7 % sous dabigatran pour 0,5 % sous warfarine), une excrétion rénale à 80 % ayant conduit à ne pas inclure les patients ayant une fonction rénale altérée. Une prolongation de l’étude RE-LY est en cours (étude RELY-ABLE chez environ 6 200 patients, résultats attendus en 2011) qui permettra de connaître le bénéfice à plus long terme de cet antithrombine. De nombreux inhibiteurs du facteur Xa sont en cours d’étude de phase III : – le rivaroxaban évalué chez 14 260 patients dans l’étude ROCKET-AF (résultats en mai 2010), – l’apixaban comparé à la warfarine chez 18 000 patients dans l’étude ARISTOTLE (résultats en avril 2011) et à l’aspirine dans l’étude AVERROES chez 5 600 patients (résultats en avril 2010), – l’edoxaban évalué chez 16 500 patients dans l’étude ENGAGE AF TIMI 48 (résultats en mars 2011), – l’idraparinux, qui a la particularité d’être administré par voie sous-cutanée une fois par semaine, est comparé à la warfarine chez 9 600 patients dans l’étude BOREALIS-AF (résultats en mai 2011). À noter qu’un sur-risque hémorragique avait motivé l’arrêt prématuré de l’étude AMADEUS (Lancet 2008) qui comparait cette molécule au traitement antivitamine K chez des patients en FA. – d’autres sont encore en phase II (YM 150, betrixaban, etc.) On sait donc un peu aujourd’hui de quoi demain sera fait… En tout cas, différent en termes de traitements antithrombotiques !   En pratique   L’évaluation du risque thromboembolique est la première étape vers le choix du traitement antithrombotique et doit donc être systématiquement réalisée chez tout patient en FA. Ce niveau de risque peut facilement être estimé en consultation et peut être utile à expliquer au patient pour l’impliquer dans sa prise en charge. L’orientation du choix du traitement antithrombotique est basée sur le niveau de risque d’accident vasculaire cérébral ischémique déterminé par l’évaluation des facteurs de risque thromboemboliques. Par contre, l’évaluation du risque hémorragique n’est pas aussi précisément définie et son estimation reste donc qualitative.

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