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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 10 avr 2011Lecture 8 min

Fibrillation atriale et anti-arythmiques chez les personnes âgées

J.-P. ÉMERIAU*, P. FRIOCOURT**, O. HANON*** *Hôpital Xavier Arnozan, CHU de Bordeaux **Centre hospitalier de Blois ***Hôpital Broca, AP-HP, Paris

Dans la population âgée, après 75 ans, la mise en évidence d’une fibrillation atriale (FA) est un problème de pratique journalière. Selon les résultats de grandes enquêtes épidémiologiques, ce trouble du rythme supraventriculaire concerne entre 5 et 10 % des personnes entre 75 et 80 ans et plus de 10 % après 80 ans. En France, le nombre des personnes de plus de 75 ans en FA ou ayant un antécédent de FA est estimé entre 400 et 650 000. Ces chiffres augmentent régulièrement du fait de l’allongement de l’espérance de vie et des maladies associées au vieillissement comme l’hypertension artérielle et la maladie coronaire. La prise en charge thérapeutique chez les personnes âgées est centrée sur deux objectifs. Le premier est la prévention des embolies artérielles et plus particulièrement des accidents vasculaires cérébraux ischémiques. Ce point qui ne sera pas abordé dans cet article concerne la discussion autour des antivitamines K (AVK), des antiagrégants plaquettaires et des nouveaux anticoagulants par voie orale (anti-Xa et anti-IIa). Le deuxième concerne la prescription des anti-arythmiques pour répondre à plusieurs questions.

1re question : faut-il ou non essayer de rétablir un rythme sinusal ? Au cours du vieillissement, l’épaisseur de la paroi du ventricule gauche augmente du fait de l’élévation progressive de la pression artérielle systolique, et le muscle cardiaque se fibrose du fait de l’âge. Ces deux facteurs freinent le remplissage diastolique qui est complété par une augmentation du volume auriculaire et du débit de l’oreillette en fin de diastole. Ce mécanisme contient ses propres limites et un étirement excessif du myocarde auriculaire peut déclencher un trouble du rythme, la FA, qui provoque alors une diminution du débit cardiaque au repos et à l’effort. Pour cette raison, il semble logique de vouloir rétablir un rythme sinusal ce qui nécessite d’apporter une réponse à plusieurs « sous » questions. Tout de suite ou faut-il attendre ? Plus le temps passé en FA augmente et plus les oreillettes se dilatent, ce qui réduit les chances de rétablir un rythme sinusal. Dans ces conditions, si la FA est récente avec une durée de moins de 48 h, la tentative de réduction peut être immédiate sous couvert d’un traitement par héparine. Cependant, dans la grande majorité des cas chez les personnes âgées, le début ne peut pas être précisé ou remonte à plus de 48 h. Il faut alors attendre au moins 3 semaines sous AVK avant toute tentative de réduction. La solution pour raccourcir ce délai serait de réaliser une échographie transœsophagienne. Mais cet examen est souvent mal toléré chez une personne âgée. Est-il opportun de proposer une tentative de réduction ? La réponse à cette question est logiquement positive pour éviter le remodelage auriculaire et rétablir un débit cardiaque adapté. Cependant, l’étude AFFIRM, dont les résultats ont été publiés en 2002, a bouleversé cette attitude. Dans cette étude, 4 060 personnes âgées de 70 ± 9 ans ont été randomisées en deux groupes. Le premier intitulé « rythme » avait pour objectif le maintien du rythme sinusal par des anti-arythmiques après réduction de la FA. Le second intitulé « fréquence » ne bénéficiait que d’un traitement bradycardisant. Les deux groupes recevaient un traitement anticoagulant adapté. Contrairement à ce qui était attendu, les malades du groupe « rythme » n’ont tiré aucun bénéfice de cette stratégie avec une mortalité à 5 ans de 23,8 % (rythme) versus 21,3 % (fréquence) (HR : 1,15 ; CI : 0,99-1,34 ; p = 0,08), et davantage d’hospitalisations et d’effets indésirables secondaires aux traitements anti-arythmiques. En pratique, quelle conclusion doit être proposée ? Essayer de réduire la FA essentiellement quand elle est symptomatique. La même question se pose pour les insuffisants cardiaques en FA. Pour ces malades, la restauration de l’activité hémodynamique des oreillettes semble particulièrement importante, mais avec des difficultés liées à la dilatation des oreillettes. L’étude AF-CHF a concerné 1 376 malades (âge moyen : 66 ans) ayant des signes cliniques d’insuffisance cardiaque et une fraction d’éjection du ventricule gauche £ 35 %. Comme dans AFFIRM, la stratégie visant à contrôler le rythme n’a pas abouti à une amélioration du pronostic vital ni de l’état fonctionnel. Tous ces résultats semblent décevants dans la mesure où une prise en charge logique n’aboutit pas au résultat escompté. Mais les malades âgés en tirent un résultat indirect intéressant : il ne sert à rien de se battre pour maintenir un rythme sinusal au prix d’hospitalisations multiples et de traitements anti-arythmiques avec un risque iatrogène associé. Il vaut mieux se contenter d’un traitement bradycardisant sans jamais oublier la prescription d’un traitement anticoagulant pour prévenir le risque embolique. 2e question : comment rétablir le rythme sinusal ? Cette question se pose dans deux circonstances très différentes selon qu’il existe une urgence hémodynamique ou pas. En urgence, lorsqu’une personne âgée développe brutalement une insuffisance cardiaque aiguë avec une mauvaise tolérance hémodynamique à l’occasion d’un passage en FA très rapide, la question d’une réduction du trouble du rythme par un choc électrique externe ou à l’aide d’un médicament peut être envisagée. Mais les contraintes techniques indispensables (présence d’un anesthésiste, matériel de réanimation et de surveillance…) sont rarement disponibles dans une structure gériatrique. D’autre part, le transfert dans une unité de soins intensifs cardiologiques est souvent impossible du fait de la fragilité du patient. Pour toutes ces raisons, la prise en charge thérapeutique se limite généralement à une tentative de ralentissement de la fréquence ventriculaire par de la digoxine IV. En dehors de l’urgence, chez une personne âgée qui présente une FA persistante et qui est anticoagulée de manière satisfaisante (INR entre 2 et 3) depuis au moins 3 semaines, une tentative de réduction peut être envisagée si la FA est symptomatique. Cependant, pour que cette tentative ait des chances d’aboutir, certaines conditions doivent exister. Il est évident que toute altération importante de la fonction cardiaque qui se traduit par un tableau clinique d’insuffisance cardiaque décompensée, une cardiomégalie majeure, une dysfonction ventriculaire sévère (fraction d’éjection effondrée, troubles sévères de la cinétique segmentaire…) sont autant d’éléments qui hypothèquent les chances de résultat immédiat ou, en cas de succès, qui sont des marqueurs de récidive à court terme. Si tel était le cas, une tentative de réduction n’aurait pas lieu d’être envisagée. Les recommandations européennes de 2010 proposent le recours à la flécaïnide ou à la propafénone IV. Mais ces traitements sont contre-indiqués en cas de séquelle d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance cardiaque (étude CAST). Pour ces raisons, un échocardiogramme est donc indispensable avant toute tentative de réduction. En cas d’anomalies structurelles cardiaques, l’amiodarone IV est le seul traitement envisageable. Mais tous ces traitements par voie intraveineuse nécessitent une hospitalisation de plusieurs jours, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable chez une personne âgée. Dans ces conditions, le traitement le plus souvent proposé est l’amiodarone par voie orale à raison de 3 comprimés par jour pendant 7 à 10 jours. En fonction du résultat, soit la FA persiste et le traitement anti-arythmique est définitivement interrompu, soit le rythme sinusal est rétabli et un traitement d’entretien est nécessaire. 3e question : comment maintenir le rythme sinusal ? Cette question se pose dans deux circonstances différentes : après une réduction médicamenteuse ou par choc électrique ou lorsque le rythme sinusal s’est spontanément restauré à l’arrêt d’une FA paroxystique. En pratique, cette deuxième circonstance est la plus fréquente. À ce sujet, il faut insister sur le fait que les FA paroxystiques ont un risque d’embolie artérielle identique à celui des FA permanentes, ce qui justifie la poursuite du traitement anticoagulant à vie. Ce problème des anticoagulants étant réglé (cf. Recommandations ESC 2010), il reste à discuter le choix de l’anti-arythmique en fonction, d’une part, de son efficacité pour maintenir à terme un rythme sinusal et, d’autre part, des risques iatrogènes induits par ce traitement. À 1 an, les anti-arythmiques réduisent de 20 à 50 % le risque de récidives par rapport à un placebo. Selon la drogue utilisée (amiodarone, flécaïnide, propafénone, sotalol ou dronédarone), le taux de récidive à 1 an de la FA se situe entre 42 et 67 % (métaanalyse de Lafuente). Mais, si l’amiodarone est la plus efficace, plus de 20 % des malades traités développent des effets indésirables (dysthyroïdie, fibrose pulmonaire, dépôts oculaires…). Pour toutes ces raisons, il faut rappeler que l’amiodarone est contre-indiquée en cas d’antécédent de dysthyroïdie et de goitre, et qu’un dosage de TSH doit toujours précéder la première administration d’amiodarone. Après comparaison des différents traitements, les recommandations de l’ESC (figure) tiennent compte des pathologies associées à la FA. 4e question : comment ralentir la fréquence cardiaque ? Chez une personne âgée en FA permanente, l’objectif théorique est de freiner le rythme ventriculaire pour atteindre une fréquence cardiaque (FC) à un niveau £ 80/min au repos et £ 110/min à l’effort. En pratique, ces objectifs ne sont souvent pas faciles à atteindre, et différentes études ont montré que les résultats fonctionnels ne justifiaient pas toujours des objectifs aussi stricts. Le ralentissement de la FC vise à allonger le temps de remplissage ventriculaire diastolique pour maintenir un niveau de débit cardiaque suffisant. Quatre groupes de médicaments répondent à cet objectif : la digoxine, deux inhibiteurs calciques, l’isoptine et le diltiazem, les bêtabloquants et deux anti-arythmiques, l’amiodarone et peut-être la dronadérone. Digoxine : l’action bradycardisante de la digoxine est liée à une stimulation vagale au niveau de la jonction auriculo-ventriculaire. Mais cette molécule n’a pas de propriété anti-arythmique à proprement parler. Dans la FA, elle reste largement utilisée par voie intraveineuse pour ralentir une tachyarythmie d’apparition récente. Par contre, en dehors de ce cas, le ralentissement secondaire à la digoxine n’est observé qu’au repos mais pas à l’effort. Pour cette raison, la digoxine peut être prescrite chez une personne âgée grabataire, mais n’est pas une bonne indication chez une personne âgée autonome. Isoptine et diltiazem : ces 2 molécules ont une action bradycardisante identique à celle de la digoxine. Par contre, elles sont contre-indiquées en cas d’insuffisance cardiaque et d’antécédent de trouble de conduction auriculo-ventriculaire. Bêtabloquants : le bisoprolol et le nébivolol répondent à cet objectif du fait de leur cardiosélectivité (pas de contre-indication en cas de BPCO associée) et des dosages disponibles qui vont de 1,25 à 10 mg/j. L’action bradycardisante de ces deux bêtabloquants peut être adaptée en fonction du résultat clinique observé. Dernier point, l’association à un IEC ou un ARAII est obligatoire en cas d’insuffisance cardiaque. Amiodarone : du fait de ses effets indésirables sur le long terme, cette molécule ne doit pas être prescrite en première intention dans cette indication. Dronédarone : elle ralentit significativement la fréquence ventriculaire des malades en FA permanente (étude ERATO), mais n’a pas actuellement d’AMM dans cette indication de FA permanente. Chez les patients en FA paroxystique ou persistante (études EURIDIS/ADONIS), la dronédarone a permis de réduire significativement les fréquences ventriculaires moyennes lors de la 1re récidive. Multaq® est indiqué chez les patients adultes cliniquement stables présentant un antécédent de FA ou actuellement en FA non permanente, afin de prévenir les récidives de FA ou de ralentir la fréquence cardiaque. Associations : les associations diltiazem-digoxine, diltiazem-bêtabloquant et bêtabloquant-digoxine peuvent être utilisées en seconde intention après échec d’une monothérapie. Mais, comme toujours chez les personnes âgées, le risque iatrogène doit être plus particulièrement pris en compte. Ablation du nœud auriculo-ventriculaire et mise en place d’un pacemaker : cette solution extrême a l’avantage de ne nécessiter aucun traitement anti-arythmique, mais ne dispense en aucun cas d’un traitement anticoagulant. Son indication est à discuter en milieu spécialisé. En conclusion   La prescription d’un traitement anti-arythmique chez une personne âgée en FA obéit à une logique centrée sur les résultats escomptés et l’évaluation des effets indésirables sur ce terrain particulier. Le respect de ces deux objectifs est fondamental pour ne pas priver une personne âgée d’un traitement qui peut lui rendre service, mais aussi lui éviter ce dont elle ne tirerait aucun bénéfice. « Publié dans Gérontologie Pratique »

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