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Hypertension pulmonaire

Publié le 12 sep 2006Lecture 11 min

HTAP : quelle prise en charge en 2006 ?

Y. ETIENNE*, Y. JOBIC et I. FRACHON, CHRU de Brest

Maladie grave, longtemps orpheline, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) suscite un vif regain d’intérêt. En effet, des progrès thérapeutiques importants, alimentés par l’évolution des connaissances fondamentales et épidémiologiques, sont enregistrés à un rythme soutenu : ils bousculent ainsi la communauté médicale en nous incitant à mieux dépister cette affection trompeuse et légitiment l’espoir des patients.
La mise en perspective des vingt années écoulées éclaire la stratégie de prise en charge actuellement recommandée.

Vingt ans pour une révolution thérapeutique : la prostacycline   Jusqu’aux années 1980, le diagnostic d’une HTAP idiopathique, typiquement chez une jeune femme, signait un pronostic péjoratif à court terme (médiane de survie : 2,8 ans), légitimant les premières greffes cardio-pulmonaires. En 1984, un tournant décisif est constitué par l’utilisation pour la première fois en Angleterre de la prostacycline, puissant vasodilatateur artériel, en perfusion continue. La jeune patiente ainsi traitée retrouvera une certaine autonomie à domicile. Il faudra attendre 1996 pour qu’un essai randomisé contre traitement conventionnel prouve l’efficacité de la prostacycline sur la mortalité de l’affection (8 décès dans le groupe témoin et aucun dans le groupe traité) : la prostacycline devient le traitement de référence et non plus une solution d’attente à la greffe. Ses modalités de prescription contraignantes vont justifier la poursuite de l’effort de recherche. Trois facteurs vont peser dans le développement thérapeutique ultérieur : • une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques ouvrant d’autres voies pharmacologiques ; • la synergie patients - soignants, concrétisée en France par la création de l’association HTAP-France en 1990 par N. Cabon et F. Brenot ; • l’émergence de centres de référence nationaux, collaborant activement au niveau mondial à la conduite d’essais thérapeutiques d’envergure soutenus par une industrie pharmaceutique dynamique.   Une classification pragmatique Cette mise en commun des moyens va motiver la tenue d’un symposium international en juin 2003 à Venise, permettant de proposer une classification opérationnelle des hypertensions pulmonaires, assortie de recommandations de prise en charge (tableaux 1 et 2). Le premier groupe constitue les hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) proprement dites qui bénéficient de la majorité des avancées thérapeutiques. Les HTAP du groupe 4, postemboliques, sont importantes à identifier du fait des possibilités de guérison chirurgicale dans les formes proximales (thromboendartériectomie pulmonaire). Enfin, la discussion thérapeutique pour les HTAP des groupes 2 et 3 (secondaires, respectivement, à une insuffisance ventriculaire gauche et à une maladie respiratoire chronique) renvoie à la prise en charge respective de ces pathologies.   Une étape difficile : reconnaître l’HTAP La clarification apportée par la réunion de Venise et de meilleures perspectives thérapeutiques sont autant d’incitations pour le médecin à mieux connaître les différentes facettes de cette affection. Si tout praticien peut être amené à dépister et s’interroger sur la prise en charge d’une HTAP, deux cas de figure peuvent être néanmoins distingués.   L’HTAP associée à une autre pathologie Une HTAP complique 10 à 15 % des sclérodermies, particulièrement dans les formes limitées de sclérodermie systémique (CREST syndrome). Elle grève alors lourdement le pronostic de la maladie et nécessite à ce titre un dépistage par une échocardiographie annuelle. L’hypertension portale, en majorité secondaire à une cirrhose du foie, est associée à deux entités pulmonaires distinctes. On peut observer, d’une part une hypoxémie liée au développement de shunts intrapulmonaires (syndrome hépato-pulmonaire) et, d’autre part, une hypertension artérielle pulmonaire (hypertension porto-pulmonaire). Ces entités sont d’expression clinique et de mécanisme physiopathologique différents. Les patients infectés par le VIH développent une HTAP dans environ 0,5 % des cas, indépendamment de leur statut immunitaire. Dans ce contexte, le dépistage de l’HTAP par échocardiographie devant une dyspnée inexpliquée est nécessaire. L’incidence des HTAP associées à la prise d’anorexigène a reculé après le retrait des autorisations de mise sur le marché de la fenfluramine en 1996, trente ans après celui de l’aminorex. Toutefois, le risque d’HTAP (1/10 000 sujets exposés) persiste de nombreuses années après l’exposition. Enfin, 10 % des cardiopathies congénitales avec shunt gauche-droit développeront une HTAP ultérieure.   L’exploration d’une dyspnée inexpliquée Dans le deuxième cas de figure, c’est la dyspnée inexpliquée, chez un patient exempt en apparence de toute pathologie, qui va faire suspecter une HTAP encore méconnue. Circonstances de découverte Si la découverte de l’affection se fait en règle chez des patients âgés de 20 à 40 ans, il n’est pas exceptionnel de faire le diagnostic chez des patients plus âgés. On recense 1,7 cas féminins pour 1 cas masculin. Le délai entre les premiers symptômes de la maladie (dyspnée d’effort essentiellement) et le diagnostic d’HTAP est d’environ 23 mois. Le diagnostic est encore majoritairement porté chez des patients à un stade évolué. En effet, la symptomatologie d’appel est souvent fruste et peu spécifique, dominée par la dyspnée d’effort. Parfois, une asthénie, des douleurs précordiales ou des syncopes à l’effort vont attirer l’attention. Quand les examens de débrouillage (radiographie de thorax, ECG, spirométrie) pratiqués usuellement devant une dyspnée ne sont pas probants, le recours systématique à une échographie cardiaque et à une scintigraphie pulmonaire peut aiguiller vers une anomalie cardiovasculaire. La symptomatologie d’appel est souvent fruste et peu spécifique, dominée par la dyspnée d’effort.   Apport de l’échocardiographie Si la radiographie thoracique et l’ECG s’avèrent rarement normaux dans cette affection, l’échocardiographie constitue cependant l’examen-clé dans la prise en charge d’un patient suspect d’HTAP (figures 1-3) et va permettre : • d’en confirmer le diagnostic par la mesure de la pression pulmonaire systolique (PAPS) à partir du flux d’insuffisance tricuspide (IT) obtenu dans 70 à 80 % des cas (si besoin complété par le recueil du flux d’insuffisance pulmonaire) en appliquant l’équation de Bernoulli simplifiée et en tentant d’estimer la pression auriculaire droite (POD) ; il faut cependant garder à l’esprit que le Doppler ne permet pas une mesure directe de la POD, ni de la pression capillaire pulmonaire (PCP) et ne préjuge pas du caractère pré- ou postcapillaire de l’HTAP. Une valeur de PAPS > 35 mmHg sera généralement considérée comme pathologique en sachant que la valeur « normale » augmente avec l’âge. Un algorithme décisionnel a été proposé en fonction de la Vmax de l’IT (figure 4) ; • d’en apprécier la sévérité et le retentissement : dilatation des cavités droites, septum paradoxal, contractilité ventriculaire droite (fraction de raccourcissement de surface, échographie 3-D, Doppler tissulaire de l’anneau, etc.), voire estimation des résistances pulmonaires ; • d’éliminer une dysfonction ventriculaire gauche ou d’apporter une orientation étiologique (shunt gauche–droit, maladie thromboembolique) ; • d’apporter des éléments pronostiques : taille de l’oreillette droite, fonction ventriculaire droite, présence d’un épanchement péricardique, index de Tei, index d’excentricité du ventricule gauche. Figure 1. Incidence apicale 4 cavités. A. Dilatation des cavités droites et HVD ; B. Évaluation de la PAPS à partir du flux d'IT. Figure 2. Incidence PSG petit axe : index d'excentricité VG (D1/D2). Figure 3. Doppler tissulaire de l'anneau tricuspidien : FEVD < 45 % si S < 11,5 cm/s. Figure 4. Définition du risque d'HTAP. La scintigraphie pulmonaire Elle est systématique quel que soit le résultat de l’échographie cardiaque. En effet, l’HTAP postembolique, liée à la persistance et à l’organisation fibreuse de caillots, est une entité trompeuse : l’anamnèse ne retrouve aucun antécédent évocateur d’une maladie thromboembolique dans la moitié des cas et l’angioscanner spiralé ainsi que l’écho-Doppler veineux des membres inférieurs peuvent être négatifs.   Intérêt de la structuration des soins Confirmer le diagnostic par cathétérisme cardiaque droit et élaborer la stratégie thérapeutique : la mission des centres de référence. L’effort important consenti en France pour la prise en charge des maladies orphelines (plan d’action pour les maladies rares) a abouti à la reconnaissance récente d’un réseau de soins regroupant les centres de proximité et le centre de référence de l’hôpital Antoine-Béclère. Cette structuration permet de proposer une démarche standardisée et une prise en charge nécessairement multidisciplinaire, et facilite l'accès des patients aux innovations thérapeutiques, grâce à leur inclusion dans des études cliniques.   Le cathétérisme cardiaque droit Cette exploration constitue l’examen de référence dans l’évaluation de l’HTAP. Ses modalités de réalisation doivent répondre aux recommandations internationales largement diffusées. Le cathétérisme donne accès de manière fiable à des paramètres non obtenus en échoDoppler (POD, PCP, résistances vasculaires pulmonaires, pression veineuse sus-hépatique bloquée) (figure 5) et aux gazométries étagées ; le diagnostic d’HTAP pré- ou postcapillaire sera ainsi affirmé et, en fonction des paramètres de base, seront réalisés des tests complémentaires tels que le test de réactivité au NO, l’épreuve de remplissage ou le test d’effort. Figure 5. Le cathétérisme cardiaque droit. Outre le diagnostic positif, le cathétérisme va permettre de faire un diagnostic de sévérité, sera utile pour finaliser le choix thérapeutique comme le suivi du patient sous traitement et apportera des éléments pronostiques : diminution de la saturation veineuse centrale, non-réponse au NO, POD moyenne > 12 mm Hg, PAP moyenne > 65 mmHg. L’échocardiographie-Doppler constitue l’examen clé dans le dépistage de l’HTAP, le cathétérisme droit l’examen de référence pour en préciser le caractère pré- ou postcapillaire.   L’évaluation fonctionnelle initiale En complément de cette exploration invasive, le bilan initial va s’appuyer sur des données aisément obtenues. La classification fonctionnelle adaptée de celle de la NYHA (tableau 3) est utile tant pour caractériser aisément les groupes de patients inclus dans les études – on la retrouvera donc dans les libellés d’AMM – que pour suivre l’évolution de la gêne fonctionnelle sous traitement. Le test de marche de six minutes s’est imposé comme critère simple et logique car explorant la capacité d’effort des patients en toute sécurité ; il est non invasif et reproductible ; il semble qu’il puisse constituer un facteur pronostique fiable, à la fois lors de l’évaluation initiale comme lors de l’étude de la réponse au traitement. Ce test constitue actuellement le critère principal d’évaluation de nombreux essais thérapeutiques. Le test de marche de 6 minutes est le critère principal d’évaluation de nombreux essais thérapeutiques.   La stratégie thérapeutique Le choix du traitement adapté à chaque patient s’appuie sur les recommandations européennes. Conformément aux principes de la médecine fondée par les preuves, les différents traitements sont classés selon le niveau de preuves étayé par les études et selon le degré de recommandation des experts. Cette démarche est synthétisée par l’algorithme de traitement élaboré à Venise en juin 2003.   Le traitement dit « conventionnel »   Les mesures préventives On préconisera la limitation des efforts (adaptée aux symptômes afin d’éviter le déconditionnement par sédentarisation excessive), de l’exposition à l’altitude, de toute intervention chirurgicale non indispensable et la contre-indication formelle d’une grossesse. Le traitement anticoagulant au long cours a pour objectif de prévenir les événements thrombotiques. Les diurétiques Ils sont utiles lors des poussées d’insuffisance cardiaque droite. L’oxygénothérapie On corrige une éventuelle hypoxie associée par une oxygénothérapie. Les anticalciques Leur indication dépend de la réponse au test de vasoréactivité artérielle lors du cathétérisme initial. Au total, moins de 10 % des patients peuvent bénéficier de cette classe thérapeutique. La prostacycline (époprosténol) injectable C’est la thérapeutique de référence de l’HTAP sévère, car elle améliore la survie, l’état fonctionnel et la qualité de vie de ces patients. Sur le plan pratique, ce traitement est de maniement complexe et reste contraignant pour le patient. Il nécessite une prise en charge dans un centre spécialisé. La perfusion continue est rendue nécessaire par la courte demi-vie du produit (3 minutes) et toute interruption de traitement peut s’avérer immédiatement délétère ; un cathéter central à demeure « tunnellisé » et protégé interdit la baignade ; la préparation bi-quotidienne appelle une éducation soigneuse du patient. Les effets secondaires, habituellement dose-dépendants, peuvent être parfois difficiles à supporter (céphalées, flush, diarrhée, douleur des mâchoires). L’utilisation du cathéter tunnellisé expose à des risques infectieux (évalués à 0,25 infection/patient/an) ou thrombotiques. Un phénomène de tachyphylaxie peut être observé. Le coût de cette thérapeutique est très élevé (de l’ordre de 200 000 €/patient/an).   Les nouveaux produits   Les analogues stables de la prostacycline L’iloprost (Ventavis®) a été développé pour une administration par voie inhalée, sous forme d’aérosols. Plusieurs études contrôlées ont étayé l’obtention d’une AMM européenne en 2004 pour les HTAP idiopathiques de classe III. La contrainte réside dans la fréquence d’administration des inhalations, exigeant 6 à 9 aérosols quotidiens. Le tréprostinil (Remodulin®) est développé pour une administration par voie sous-cutanée ou intraveineuse continue. Le tréprostinil est approuvé en sous-cutané depuis peu en France dans l’HTAP idiopathique de classe III de la NYHA et doit être bientôt disponible. Son utilisation est limitée par l’incidence élevée de douleurs locales au point d’injection. Le béraprost oral n’a pas démontré d’efficacité à long terme ; son AMM est actuellement limitée à certains pays d’Asie. Les inhibiteurs des récepteurs de l’endothéline Le bosentan (Tracleer®), disponible en France depuis 2002, en est le chef de file. Deux essais contrôlés, randomisés versus placebo ont démontré un effet clinique et fonctionnel et les extensions en ouvert de ces études sont en faveur d’une amélioration de la survie des patients en classe III, par rapport à la survie prédite. Administré per os à la posologie initiale de 62,5 mg matin et soir, doublée après le premier mois de traitement, le bosentan est bien toléré, hormis le risque de cytolyse hépatique, réversible à l’arrêt du traitement. Une surveillance biologique mensuelle est nécessaire. Il existe un risque tératogène qui impose un renforcement de la contraception. Les inhibiteurs des phosphodiestérases Représentés par le sildénafil oral, ils ont un effet vasodilatateur artériel pulmonaire. Les données encore limitées des essais cliniques disponibles laissent espérer une efficacité sensible dans cette indication, avec une bonne tolérance. Pour l’essentiel, ces nouvelles thérapeutiques ont démontré une amélioration de la classe fonctionnelle, de la qualité de vie, de la tolérance à l’effort lors du test de marche et/ou des paramètres hémodynamiques ou échographiques.   Les techniques chirurgicales   La transplantation La place de la transplantation pulmonaire ou cardio-pulmonaire a reculé depuis l’essor des thérapeutiques médicamenteuses. Considérée comme le recours ultime, la transplantation impose néanmoins de ne pas différer excessivement une inscription sur liste d’attente.   La septostomie atriale Elle a pour but de diminuer la pression ventriculaire droite en créant un shunt droit-gauche. Le développement de cette technique palliative est limité par une mortalité postopératoire immédiate d’environ 13 %.   L’endartériectomie pulmonaire Cette technique représente le seul traitement curatif, lorsqu’il est indiqué, de l’HTAP postembolique. Une sélection rigoureuse des patients permet de limiter la mortalité postopératoire et d’observer dans la majorité des cas une amélioration durable de l’état fonctionnel.   L’avenir : vers l’émergence de nouvelles stratégies thérapeutiques Les progrès thérapeutiques enregistrés restent insuffisants puisque 30 % des patients ainsi traités pour une HTAP décèdent dès les deux premières années et près de la moitié à cinq ans. Avec l’apparition de nouvelles molécules efficaces ayant, pour certaines d’entre elles, des cibles différentes de celle de l’époprosténol, il apparaît donc nécessaire et logique de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques utilisant des traitements combinés. En l’absence d’essai contrôlé disponible, aucune recommandation n’est encore possible : la validation de stratégies d’association thérapeutique impose l’inclusion de tout patient potentiellement concerné dans un protocole de recherche clinique.

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