Publié le 28 sep 2004Lecture 7 min
Hypertrophie du sportif - Physiologique ou pathologique ?
A. OBLAK et E. ABERGEL, hôpital européen Georges Pompidou, Paris
Chez le sportif, il est habituel de constater une augmentation de l’épaisseur pariétale du ventricule gauche (VG) et/ou une dilatation cavitaire. En effet, certaines disciplines sportives entraînent préférentiellement une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG), ou alors une dilatation VG, voire les deux associées (tableau 1).
Toutefois, dans certains cas, cette modification géométrique est importante, et se pose alors la question du diagnostic différentiel avec une cardiomyopathie hypertrophique (CMH) ou dilatée (CMD).
Distinguer une HVG physiologique d’une HVG pathologique est essentiel, puisque la CMH est la principale cause de mort subite chez l’athlète. L’interrogatoire et un examen échographique minutieux vont jouer un rôle central dans cette évaluation et, avant de soulever des hypothèses aux conséquences lourdes, deux éléments importants doivent être rappelés.
Méfiez-vous du patient qui déclare facilement être sportif. Assurez-vous du niveau d’entraînement du sportif : exigez environ 10 heures d’entraînement hebdomadaire pour admettre que le VG puisse être modifié.
Méfiez-vous de vous-même si vous êtes l’échographiste, en particulier, la tendance à mesurer des épaisseurs pariétales excessives est une source de faux diagnostics positifs ; il faut éliminer les pièges — faux tendons, bandelette — qui surestiment l’épaisseur pariétale et s’astreindre à rechercher la meilleure incidence pour la mesure des diamètres télédiastoliques VG (DTVG) (figure 1).
L’objet de cet article est de rappeler les éléments recueillis au cours de l’échographie et permettant de préciser le diagnostic.
Figure 1. A. Surestimation à tort de l'épaisseur septale. B. Une fenêtre échographique réalisée un espace plus haut permet de distinguer une bandelette et de ne pas porter le diagnostic d'hypertrophie septale.
Morphologie ventriculaire gauche
Hypertrophie ventriculaire gauche
La question qui va se poser est celle de la valeur limite supérieure de l’épaisseur pariétale, acceptable chez le sportif. Dans une série de 947 athlètes, hommes et femmes, une épaisseur pariétale comprise entre 13 et 16 mm a été constatée chez seulement 1,7 % des athlètes ; elle était dans tous les cas associée à un diamètre VG > 55 mm. Une étude réalisée chez les cyclistes du Tour de France a montré que 22 des 149 cyclistes avaient une épaisseur pariétale comprise entre 13 et 15 mm. Spirito a également constaté un épaississement pariétal VG homogène chez des cyclistes professionnels dans une limite de 15 mm.
Une épaisseur pariétale > 15 mm est donc très suspecte de CMH chez le sportif.
Dans la CMH, l’hétérogénéité génétique explique l’hétérogénéité clinique, et notamment la variation de l’épaisseur pariétale. Une épaisseur de plus de 15 mm au niveau du septum postérieur ou de la paroi libre est considérée comme un des critères majeurs de CMH. La distribution de l’hypertrophie est souvent hétérogène. De plus, le diamètre diastolique du VG est habituellement < 45 mm ; il n’excède 55 mm que chez des patients hautement symptomatiques présentant une dysfonction systolique.
Dilatation ventriculaire gauche
Le seuil de 60 mm a été initialement proposé comme permettant de distinguer une dilatation physiologique et pathologique du VG. Toutefois, dans une série de 1 309 athlètes suivis par Pelliccia pendant en moyenne 4,5 ans, 14 % avaient un diamètre VG de plus de 60 mm, avec des valeurs extrêmes de 70 mm chez l’homme et de 66 mm chez la femme. Ces sportifs ont été suivis durant près de 12 ans pour certains, et ont poursuivi leur activité de haut niveau sans qu’aucune anomalie particulière ne soit détectée. Les principaux déterminants de la dilatation cavitaire semblent être le type d’entraînement, le gabarit et probablement l’utilisation de substances illicites.
Dans tous les cas, il est important de tenir compte du gabarit pour interpréter les diamètres : rappelons qu’un diamètre ventriculaire gauche indexé à la surface corporelle est normal, même en dehors du sport, s’il est < 31 mm/m2 chez l’homme et 32 mm/m2 chez la femme.
Effet de l’arrêt de l’activité sportive
Il existe une réduction de l’épaisseur pariétale VG après arrêt transitoire de l’entraînement lorsque l’HVG est physiologique. Six athlètes ayant participé aux jeux de Séoul en 1988 ont ainsi été évalués avant et après une période de 13 semaines d’arrêt de l’activité sportive : l’épaisseur du septum interventriculaire (SIV) est passée de 13,8 mm au maximum à 10,5 mm. Quarante athlètes hommes, présentant au cours de leur activité une épaisseur pariétale de 13 mm et une dilatation cavitaire > 60 mm, ont été suivis après avoir arrêté l’entraînement durant 5 ans en moyenne : 22 % ont gardé un VG dilaté, mais tous ont récupéré une épaisseur pariétale normale. Même si aucun de ces athlètes n’a présenté de symptôme clinique d’insuffisance cardiaque, on ne peut pas préjuger de l’absence d’évolution à plus long terme vers la CMD.
En pratique, il faut aussi souligner la difficulté d’obtenir un arrêt prolongé (environ 3 mois) du sport afin de vérifier si l’hypertrophie se modifie.
Fonction systolique VG
Chez le sportif endurant ou mixte, la diminution de la précharge au repos tend à diminuer le degré d’étirement des fibres myocardiques, d’où la constatation fréquente d’une fraction de raccourcissement ou d’une fraction d’éjection VG modérément diminuée. Dans de tels cas, la contractilité intrinsèque VG est normale. Chez des footballeurs américains, il a été constaté une fraction d’éjection égale à 58 % en moyenne ; 39 % des joueurs avaient une FE comprise entre 50 et 55 %. Cependant, chez tous ces athlètes, l’échographie cardiaque d’effort a retrouvé une cinétique parfaitement normale.
Dans la CMH, il existe souvent une cinétique septale réduite contrastant avec la cinétique conservée de la paroi postérieure. La fonction systolique de base est souvent conservée.
Fonction diastolique VG
Le ventricule gauche de l’athlète a, en général, une relaxation amplifiée : cela se traduit sur le flux mitral par une grande onde E et une petite onde A, avec un rapport E/A > 1 voire 2, et éventuellement un temps de décélération de l’onde E court < 150 ms, en imposant alors à tort pour un flux restrictif. La mise en évidence d’une onde E ample en Doppler tissulaire pulsé recueillie à l’anneau mitral permet de confirmer le caractère physiologique du flux mitral (figure 2).
Figure 2 (A et B). Cet aspect de flux mitral E/A > 1 est rassurant du fait de l’existence d’une onde E ample mesurée en DTI pulsé à l’anneau mitral au niveau de la paroi latérale.
En revanche, en cas d’inversion du rapport E/A chez l’athlète, le diagnostic d’hypertrophie pathologique doit être fortement évoqué (figure 3).
Figure 3. Cet aspect E/A < 1 dans le cas d’une hypertrophie ventriculaire gauche est suspect ; il doit évoquer le diagnostic de cardiomyopathie hypertrophique.
Les études récentes utilisant le Doppler tissulaire ont permis d’apporter des éléments diagnostiques supplémentaires. Ainsi, une vitesse de l’onde systolique S à l’anneau (moyenne des 4 sites) < 9 cm/s a une spécificité de 97 % et une sensibilité de 87 % pour le diagnostic d’hypertrophie pathologique. De même, la présence d’une onde E < 9 cm/s a une spécificité de 97 % pour ce diagnostic.
Autres éléments pouvant aider au diagnostic de CMH
La dilatation de l’oreillette gauche est fréquente dans la CMH ; son mécanisme n’est pas clairement connu. Plusieurs causes ont été évoquées : l’insuffisance mitrale, l’anomalie de compliance et le gradient d’obstruction intra-VG.
L’étude du gradient pariétal en DTI couleur : chez le sportif, il existe un gradient de vélocité comparable à celui du sujet normal, malgré la présence de l’hypertrophie, alors que, dans la CMH, le gradient physiologique de vitesse entre l’endocarde et l’épicarde n’est plus retrouvé.
Attention à la femme athlète !
Chez la femme athlète, l’épaisseur pariétale maximale ne dépasse pas en général 12 mm. Ainsi, on peut suspecter une CMH au-delà de 13 mm. À noter que la dilatation cavitaire VG est moindre par rapport à l’athlète homme : en effet, sur un effectif de 600 femmes, 1 % seulement présentaient un diamètre VG > 60 mm.
Cas particulier de l’athlète adolescent
Les jeunes athlètes présentent très rarement une épaisseur pariétale > 12 mm (0,4 % sur une série de 720 adolescents) ; dans ce cas est toujours associée une dilatation du VG. Les auteurs concluent que le diagnostic de CMH doit être évoqué à partir d’une épaisseur pariétale de 12 mm chez l’adolescent et de 11 mm chez l’adolescente.
Conclusion
Certains principes simples peuvent être retenus (tableau 2).
S’assurer de la réalité d’un entraînement sportif intense, et réaliser avec soin les mesures, car les faux diagnostics d’hypertrophie sont fréquents.
Une épaisseur pariétale VG de 13 à 15 mm associée à un DTDVG d’au moins 55 mm est en faveur d’une hypertrophie physiologique chez l’athlète masculin.
Une épaisseur pariétale de plus de 15 mm chez le sportif adulte reste très rare et doit faire rechercher des critères de CMH, avec idéalement réévaluation échographique après arrêt de l’entraînement.
Une épaisseur pariétale de plus de 13 mm est très suspecte chez la femme athlète.
Un rapport E/A < 1 chez le sportif de compétition est très suspect d’hypertrophie pathologique.
Une FEVG modérément abaissée chez l’athlète endurant ou mixte n’est pas forcément pathologique. Dans de tels cas, une échographie d’effort paraît utile.
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