Rythmologie et rythmo interventionnelle
Publié le 23 mar 2004Lecture 5 min
Il n'y a plus de « zone de non-droit » pour les techniques ablatives
J. CLEMENTY et M. HAISSAGUERRE, CHU de Bordeaux
En 1984, les méthodes de traitement des arythmies cardiaques se résumaient à l’usage des médicaments antiarythmiques et l’on discutait à loisir pour savoir si la meilleure façon de les prescrire était l’empirisme ou la prescription guidée par les méthodes électrophysiologiques. Depuis 20 ans, les progrès sont considérables.
Les techniques ablatives se limitaient, dans les mains des rares équipes expérimentées, à la chirurgie des voies accessoires malignes et de quelques cas de tachycardie ventriculaire réfractaires (Fontaine, Guiraudon). Cependant, l’ablation par cathéter était déjà à la disposition des cliniciens depuis 2 ans (Scheinman et Gallagher, 1982), essentiellement pour interrompre la conduction dans le faisceau de His par un choc à haute énergie (fulguration) afin de mieux contrôler la fréquence ventriculaire (au moyen d’un pacemaker) des fibrillations auriculaires réfractaires mal tolérées. C’est en 1984 que nous avons interrompu par fulguration notre première voie accessoire.
Le chemin parcouru en 20 ans est considérable ; il est essentiellement jalonné par le développement de l’ablation par courant de radiofréquence, la mise au point de nouveaux cathéters d’ablation (large surface, irrigation...) et surtout la conception de techniques de cartographie très précises (Carto, Localisa...).
Désormais, 20 ans après, aucun domaine des troubles du rythme cardiaque n’échappe aux techniques ablatives. Sans vouloir faire un point exhaustif, quelques éléments phares doivent être soulignés.
L’ablation
En première intention dans le traitement des tachycardies jonctionnelles
Qu’il y ait ou non une voie accessoire, que celle-ci soit patente ou non, l’efficacité de l’ablation est remarquable (> 90 %) ; le faible taux des complications (< 5 %) et l’excellente qualité de vie des patients ont fait de l’ablation par radiofréquence la technique de première intention dans le traitement des tachycardies jonctionnelles et des voies accessoires à conduction rapide, que le malade soit symptomatique ou asymptomatique. Même certaines formes rares de localisation de voies accessoires (midseptal…) peuvent, dans des mains certaines, être également traitées radicalement par les techniques ablatives.
Figure 1. Ablation d’une voie accessoire (WPW) : 99 % de succès (mortalité ≤ 0,1 %).
Très largement indiquée dans le flutter auriculaire commun
La technique consiste ici à bloquer l’isthme cavo-tricuspidien de Cosio, la voie finale commune de tous les flutters auriculaires droits. Les techniques ablatives sont, en général, proposées dès la première crise ou la première récidive en fonction du terrain, de la gêne fonctionnelle et de l’expertise de l’équipe qui réalise l’ablation. Les résultats sont remarquables avec des taux de succès supérieurs à 90 %. Les critères d’efficacité sont bien établis (blocage complet bidirectionnel de l’isthme de Cosio).
La question sibylline consistant à savoir si l’ablation favorise la survenue ultérieure de fibrillation auriculaire ou s’il s’agit de deux pathologies indépendantes coexistant chez le même patient ne doit pas faire reculer la mise en œuvre de l’ablation du flutter auriculaire commun, qui est anodine et extrêmement efficace. Par contre, la prise en charge des flutters rares : cicatriciels, flutters gauches, etc. reste de réalisation complexe, nécessitant une cartographie précise et la grande expertise des équipes les plus spécialisées.
La chute d’une forteresse : l’ablation de la fibrillation…
Figure 2. L’ablation du flutter auriculaire : 99 % de succès.
...auriculaire
La fibrillation auriculaire est devenue un véritable problème de santé publique puisque sa prévalence est estimée à 5 % de la population de plus de 65 ans. Sa survenue multiplie par 2 la mortalité de la population atteinte.
En 20 ans, nous sommes passés du traitement fonctionnel, ralentisseur de la cadence ventriculaire, par ablation de la jonction auriculo-ventriculaire, au traitement curatif de la fibrillation auriculaire par ablation directe du tissu auriculaire afin d’éradiquer les foyers de déclenchement qui sont habituellement situés dans les veines pulmonaires et de modifier le substrat atrial par la création de lignes de bloc au niveau de l’oreillette droite et au niveau de l’oreillette gauche.
Même si, après l’étude AFFIRM, il est hors de question de proposer les techniques ablatives systématiquement à tous les patients atteints, on peut estimer que plus de 30 % des fibrillations auriculaires seraient susceptibles de pouvoir être définitivement guéries par les techniques ablatives.
Figure 3. L’ablation de la fibrillation auriculaire.
Figure 4. Les bases de l’ablation de la fibrillation ventriculaire.
L’expérience de notre équipe (M. Haissaguerre) montre un taux de succès qui dépasse 70 %, alors qu’il n’est que de 50 % à un an pour les médicaments.
... et ventriculaire
Par ailleurs, la constatation d’un déclenchement de certains cas de fibrillation ventriculaire, FV idiopathique et même certaines FV ischémiques, par des extrasystoles ventriculaires monomorphes naissant dans le tissu de Purkinje, ouvre une ère nouvelle pour les techniques ablatives. Les premiers cas publiés (M. Haissaguerre) montrent des résultats extrêmement encourageants et un rêve se profile : éviter l’implantation de défibrillateurs (prothèses lourdes à porter sur le plan fonctionnel et psychologique) chez des sujets jeunes atteints de fibrillation ventriculaire idiopathique ou sur QT long ou sur syndrome de Brugada…
L’avenir de l’ablation : l’imagerie
Passer de l’électrophysiologie pure, même appuyée sur des techniques de cartographie très précises et très performantes, à l’électroanatomie des arythmies est le rêve de tous les « OS » de l’ablation qui passent chaque jour des heures et des heures à étudier les caractéristiques électrophysiologiques des arythmies qu’ils se proposent d’ablater, sans avoir, au moment de l’ablation alors que les cathéters sont en place, une vision très claire des corrélations anatomo-électriques du geste qu’ils se préparent à accomplir.
Nous sommes dans la situation de ces stratèges qui imaginent des manœuvres éblouissantes sur des cartes d’état-major, manœuvres dont l’efficacité se révèle réduite à néant par les conditions locales, l’état du terrain, au moment de leur exécution. C’est pourquoi les électrophysiologistes voient avec intérêt la mise au point des techniques d’imagerie, notamment radiologiques… (reconstruction tridimensionnelle des cavités cardiaques au moyen d’une simple injection de produit de contraste) qui, jointes aux techniques de guidage magnétique des cathéters d’ablation, permettent d’espérer, à très court terme, une efficacité de plus en plus grande des techniques ablatives, une diminution du temps de manipulation des cathéters et un temps d’exposition aux irradiations ionisantes de plus en plus réduit.
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