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Études

Publié le 02 nov 2010Lecture 6 min

L’étude SHIFT - L’effet délétère d’une fréquence cardiaque élevée chez l’insuffisant cardiaque par dysfonction systolique

G. JONDEAU, Hôpital Bichat, Paris

Les Journées françaises de l'insuffisance cardiaque
L’étude SHIFT vient de représenter un des événements majeurs du congrès de l’ESC (cf. Cardiologie Pratique n° 941). Cette étude a testé l’intérêt de l’ivabradine (Procoralan®) chez des patients insuffisants cardiaques par dysfonction systolique sévère (FE ≤35 %), d’origine ischémique ou non, en rythme sinusal, symptomatiques (classe II-IV de la NYHA) déjà sous un traitement maximal, comprenant notamment les bêtabloquants lorsqu’ils étaient tolérés(1). Le schéma d’administration de l’ivabradine était de débuter à 5 mg x 2/j, et d’augmenter les doses à 7,5 mg x 2/j si la fréquence cardiaque (FC) après 15 jours était supérieure à 60/min, et de la diminuer à 2,5 mg x 2/j si la fréquence était inférieure à 50/min.

Critères de sélection des patients Le seul effet cardiovasculaire de l’ivabradine étant la baisse de la fréquence cardiaque (par modification du courant If, responsable de la dépolarisation de la cellule sinusale, et donc déterminant de la FC), les caractéristiques des patients en ce qui concerne la FC sont fondamentales. La FC à l’entrée devait être ≥70/min dans SHIFT. Ce dernier point notamment différencie l’étude SHIFT de l’étude BEAUTIFUL(2) qui avait inclus des patients dont la FC était ≥60/min. Nombre de sujets Nécessaires Le nombre de patients à inclure dans SHIFT avait été estimé pour obtenir un nombre d’évènements (décès cardiovasculaire ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque) suffisant (1 600), ceci compte tenu d’un taux annuel anticipé du critère composé primaire (mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour aggravation de l’insuffisance cardiaque) de 14 %, d’une diminution de 15 % de ce critère considérée comme significative avec une puissance de 90 % (chance de la mettre en évidence si cette différence existe) et un risque alpha de 5 % (risque de conclure à tort à cette différence liée en fait au hasard). Le suivi prévu de 2,25 ans impliquait l’inclusion de 6 500 patients. Population incluse(3)  Un total de 6 558 patients a effectivement été inclus et randomisé pour recevoir soit l’ivabradine (3 268 patients) soit un placebo (3 290 patients). La durée médiane de suivi était de 22,9 mois. Les patients inclus ici correspondent aux essais portant sur l’insuffisance cardiaque par dysfonction systolique : surtout des hommes (76 %), âgés en moyenne de 60 ans, pour les deux tiers, présentant une insuffisance cardiaque d’origine ischémique, les 2/3 hypertendus. Les bêtabloquants faisaient partie du traitement chez 90 % des patients, et à une dose d’au moins 50 % des doses recommandées chez 56 % et aux doses recommandées chez 26 %. Les raisons invoquées pour la nonprescription du bêtabloquant étaient surtout BPCO (37 %) et hypotension (20 %), l’asthme ne représentant que 10 % ; les raisons invoquées pour ne pas avoir atteint les doses recommandées étaient surtout l’hypotension (44 %) et la fatigue (32 %). Résultats obtenus La baisse de FC attendue s’est produite (-11 bpm par rapport au groupe placebo) et s’est maintenue tout au long de l’étude (figure 1). Le critère primaire de l’étude combinait mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour aggravation de l’insuffisance cardiaque. Ce critère combiné a été amélioré de façon significative (-18 % ; p < 0,0001, figure 2), confortant l’hypothèse selon laquelle la tachycardie est délétère chez les patients insuffisants cardiaques, ce qui est en accord avec une riche littérature physiopathologique qui manquait de preuves. Figure 1. Baisse de la fréquence cardiaque. Figure 2. Critère primaire composé. La diminution du critère combiné reflète surtout la baisse du nombre des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (-26 %) (figure 3), alors qu’il n’y a pas eu d’effet significatif sur la mortalité cardiovasculaire (diminution de 9 %, p = 0,128) (figure 4). Parmi les différents types de décès, seuls les décès rapportés à l’insuffisance cardiaque sont diminués de façon statistiquement significative (-26 %, p = 0,014), si bien que la mortalité totale n’est pas affectée significativement (-10 %, p = 0,09). De même le bénéfice sur les hospitalisations cardiovasculaires (-15 %), ou toutes causes (-11 %) est moins important que le bénéfice sur les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (-26 %). Figure 3. Hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Figure 4. Mortalité cardiocasculaire. Ces résultats réalisent la première démonstration du rôle délétère de la tachycardie chez les patients insuffisants cardiaques. De multiples mécanismes physiopathologiques explicatifs faisaient fortement soupçonner l’importance de la FC des patients, mais aucune preuve directe n’avait été apportée jusqu’à présent : les relations entre espérance de vie et FC chez les sujets normaux, les patients coronariens et les animaux de différentes espèces n’étaient que des corrélations sans qu’une relation causale puisse en être déduite. Des études de petits effectifs portant sur des patients insuffisants cardiaques dépendants de leur pace-maker, chez lesquels la fréquence de stimulation avait été modifiée, avaient suggéré que la tachycardie est délétère dans cette population. SHIFT est la première étude de démonstration de ce concept. L’étude par sous-groupes, justifiée dans une étude de cette taille et importante pour évaluer la solidité des résultats, n’a pas permis de retrouver un effet différent significativement sur le critère primaire combinant décès cardiovasculaire et hospitalisation pour insuffisance cardiaque en fonction de différents critères, ce qui renforce la valeur du résultat principal (figure 5) : l’âge, le sexe, la présence ou l’absence de bêtabloquant (mais le nombre de patients sans bétabloquant est faible), la classe NYHA, la présence ou l’absence de diabète, la présence ou l’absence d’une hypertension artérielle. La tendance à un effet plus marqué dans les cardiopathies non ischémiques n’est pas significative, et seule la FC de base est associée à une différence d’efficacité : le bénéfice est plus net si la fréquence cardiaque est supérieure à 77/min, et non statistiquement significatif si la fréquence est inférieure à 77/min probablement par manque de puissance. Figure 5. Effets de l’ivabradine dans les sous-groupes pré-spécifiés. L’étude SHIFT proprement dite a été complétée par une étude physiopathologique, publiée dans le même numéro du Lancet(4). Dans cette étude, la relation entre le pronostic d’un patient et la FC mesurée au début de l’étude est de nouveau démontrée, et surtout il est recherché si la FC sous ivabradine a la même valeur pronostique que sans la molécule, autrement dit, l’effet de la molécule s’explique-t-il uniquement par l’effet sur la fréquence cardiaque ? La réponse est qu’effectivement, l’effet sur le pronostic de l’ivabradine passe uniquement par la baisse de la fréquence cardiaque. La tolérance de la molécule a été bonne dans cette étude. Sur le plan cardiologique, les bradycardies symptomatiques, attendues, étaient de 5 % contre 1 % dans le groupe placebo, soit plus rares que dans l’étude BEAUTIFUL qui incluait des patients plus lents (FC ≥ 60/min). Le deuxième effet secondaire attendu était ophtalmologique, car le canal If, bloqué par l’ivabradine, est également présent dans l’oeil. Les phosphènes étaient effectivement plus fréquents, mais rares (3 % vs 1 %), ainsi que la survenue de vision trouble (1 % vs < 1 %). La fréquence des effets secondaires justifiant l’arrêt du traitement était plus rare. La molécule semble donc bien tolérée. Ces résultats amènent beaucoup de questions, et les études ancillaires prévues devraient aider à y répondre : étude échographique qui devrait donner des indications sur l’effet sur les volumes ventriculaires, étude Nt-BNP qui est réalisée dans le même groupe de patients, étude pharmacologique, étude Holter ECG qui précisera l’effet sur le rythme, étude sur la qualité de vie. En pratique L’étude SHIFT confirme l’effet délétère de la tachycardie chez les patients insuffisants cardiaques. Elle établit la place de l’ivabradine chez les patients insuffisants cardiaques par dysfonction systolique, en rythme sinusal, dont la FC demeure élevée sous bêtabloquants. Elle permet chez eux de diminuer les hospitalisations par insuffisance cardiaque et les décès par insuffisance cardiaque. L’ivabradine ne doit cependant pas remplacer les bêtabloquants qui restent associés à une diminution de mortalité globale inégalée.

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