Publié le 13 jan 2009Lecture 6 min
La cardiologie en 2030 : la vie en rose…
S. WEBER, Hôpital Cochin, Paris
Le format « compact » de cet article ne me permet pas d’envisager 2 scenarii alternatifs, le pessimiste et l’optimiste. Contentons-nous donc de l’optimiste ! L’échéance arbitrairement choisie de 2030 est bien commode : suffisamment lointaine pour pouvoir « délirer » sans risquer d’être rapidement démentie et suffisamment proche pour être concrète puisqu’à cette échéance, une partie non négligeable des lecteurs de cet article seront encore en train de pratiquer la cardiologie.
Une démographie pacifiée et rationalisée
Pour avoir vécu les pics et les creux de la démographie médicale en général et cardiologique en particulier avec ses effets pernicieux sur la qualité de vie des collègues et sur la qualité des soins dispensés, on ne peut bien sûr que souhaiter, à l’hôpital comme en ville, des conditions de travail optimisées et stabilisées. Reconnaissons qu’en la matière, les intérêts des divers professionnels peuvent être contradictoires, les enseignants souhaitant avoir plus d’élèves et plus d’internes et les praticiens installés moins de concurrents ! La solution qui devrait, espérons-le, prévaloir dans le futur n’est pas l’élaboration d’une équation miracle qui déterminerait chaque année, à l’unité près, le nombre de cardiologues devant être formés, mais une redéfinition, paisible mais volontariste, du rôle du cardiologue, non pas comme homme (ou de plus en plus femme) à tout faire de ses propres mains, yeux et oreilles, mais plutôt meneur d’une petite équipe de professionnels hautement qualifiés.
En France, notre retard en la matière est énorme, nous ne disposons, en dehors de formations « maison » non validées et non reconnues, d’aucune formation paramédicale réellement spécialisée et performante. Qu’il s’agisse de l’aide à la réalisation des techniques non invasives et invasives ou de la prise en charge thérapeutique du patient, le manque est criant.
La réalisation solitaire par le praticien des examens complémentaires est un énorme gaspillage de temps médical spécialisé et coûteux : ce problème ne peut être résolu que par la formation de techniciens de haut niveau.
De même, tous les beaux discours sur l’éducation thérapeutique ne resteront que « des paroles verbales » en l’absence d’infirmiers spécialisés proches des patients, en consultation ou à leur domicile, seuls capables de passer de la théorie à la pratique. La création, malheureusement quasi ex nihilo en France, de ce corps intermédiaire de professionnels de santé ne représente en rien des pertes potentielles, ni de pouvoir, ni de revenu pour le cardiologue qui restera responsable de la formation de ces nouveaux professionnels et gardera, bien sûr, la maîtrise et la responsabilité des actes, qu’il s’agisse d’investigations ou de prescriptions. En 2030, le cardiologue sera donc un professionnel serein, efficace et bien épaulé par d’autres professionnels de santé dont il guidera et supervisera l’activité.
Une population de malades vieillissante, mais bien « cadrée »
En 2030, l’espérance de vie de nos patients aura continué à augmenter et, par conséquent, la proportion d’octogénaires et probablement de nonagénaires dans nos « clientèles » aura encore progressé. Cela ne nous posera cependant plus les problèmes décisionnels et éthiques qui nous taraudent actuellement (ou tout du moins devraient nous tarauder, tant le gouffre de notre ignorance est actuellement béant). En effet, nous aurons à cette époque, les renseignements démographiques, épidémiologiques et sociologiques qui nous manquent aujourd’hui cruellement sur cette frange de la population dont chacun sait qu’elle est en forte croissance, qu’elle représente de plus en plus la majorité de notre champ d’action, mais dont pour l’instant nous ignorons tout ou presque. On peut espérer que dans ces deux décennies, les aspects biologiques mais également sociologiques du vieillissement auront été étudiés et tout du moins partiellement compris, que les sociétés « avancées » se seront organisées pour que les gains quantitatifs d’espérance de vie se convertissent réellement en gains qualitatifs. Des essais thérapeutiques honnêtes, spécifiquement centrés sur les patients âgés, voire très âgés, auront été effectués. Tout cela nous permettra, ou permettra à nos successeurs, de prendre en toute sérénité les bonnes décisions thérapeutiques, en matière de médicament comme de chirurgie, de rythmologie et de geste interventionnel, afin de procurer aux seniors et « super seniors » un bénéfice symptomatique et plus encore un réel gain en matière de survie de bonne qualité.
Dans cet Eldorado de l’an 2030, la prescription médicamenteuse aura enfin été individualisée. Au tournant de la première décennie du 21e siècle, c’est-à-dire maintenant, la communauté médicale aura enfin pris la mesure de l’impasse dans laquelle nous a mené l’implication automatique et irréfléchie de la fameuse « médecine par les preuves », ne prenant en compte que le résultat d’essais thérapeutiques contrôlés, quasi exclusivement supportés par l’industrie pharmaceutique à l’occasion de l’enregistrement des nouvelles molécules. Ce système, ayant bien sûr en son temps représenté une avancée majeure, a trouvé ses limites en déposant sur nos rivages des strates successives de médicaments « obligatoires », rendant de plus en plus lourdes les ordonnances conformes à la ligne du Comité Central du Parti (excusez-moi… Je voulais dire aux sacro-saintes recommandations), plus coûteuses, potentiellement dangereuses, impraticables pour le malade et rendant de surcroît de plus en plus difficile la poursuite de la recherche pharmacologique. La nécessité de valider une nouvelle molécule « par dessus » le socle des médicaments déjà validés aboutit à des protocoles sélectionnant des malades de plus en plus artificiels, non représentatifs de ce que nous voyons en pratique quotidienne et imposant des coûts de développement devenus rédhibitoires, même pour les laboratoires pharmaceutiques les plus puissants. L’abandon par Pfizer, l’une des plus grandes firmes mondiales, de la recherche cardiovasculaire, devrait nous faire pour le moins méditer.
Conscients de cette impasse, les régulateurs, les pharmacologues, les cardiologues de 2010 se seront enfin décidés à repenser la recherche clinique et l’innovation thérapeutique en cherchant non plus à rajouter une ou deux couches supplémentaires à ce gigantesque mille-feuilles collectif, mais au contraire à refaire de la physiopathologie et de la médecine, c’est-à-dire à chercher quel traitement s’adapte, non pas à un coronarien virtuel, à un coronarien statistique censé représenter l’ensemble d’une population de plusieurs dizaines de millions de patients à l’échelon mondial, mais bien aux Monsieur Dupont, Monsieur Smith, Monsieur Muller, Monsieur I Peng ou Monsieur Fuji Yama que nous avons devant nous et qui demandent non pas un traitement collectif, mais la prise en charge individualisée de leur propre pathologie.
Pour clore ce rêve éveillé, je ne résiste pas à la tentation de passer de la généralité de la cardiologie au cas particulier le plus important quantitativement : la pathologie coronaire. Espérons qu’à cet horizon 2030, nous aurons enfin compris que l’essentiel, dans la guerre moderne, n’est peut-être pas de raffiner de plus en plus les performances techniques du missile, mais de bien définir la cible vers laquelle on souhaite le diriger ! Boris Vian, bien que non cardiologue, l’avait déjà bien compris dans les années 50, dans sa fameuse Java des bombes atomiques Par missile, j’entendais bien entendu « stent endocoronaire ». Il est clair, depuis l’invention il y a 40 ans de la chirurgie de pontage aorto-coronaire et depuis 30 ans de l’angioplastie, que chez le coronarien stable, seuls les patients à haut risque anatomique ou les patients réfractaires au traitement médical, bénéficient de la revascularisation. En dehors de ces patients très graves, l’implantation d’un stent (missile) aussi luxueux soit-il n’apporte, bien souvent, guère de bénéfice, ni en termes de réduction de mortalité, ni même sur la longue durée en termes de réduction des symptômes ; l’étude COURAGE n’a fait que confirmer de façon éclatante cette vérité transparaissant déjà de nombreuses publications antérieures. En effet, il est tout aussi évident que, chez ces coronariens stables, malgré les médicaments, malgré les stents, des événements graves – mort subite, infarctus, défaillance cardiaque – continuent à survenir, conséquence de rupture de plaques ayant souvent une fâcheuse tendance à survenir quelques centimètres au-dessus ou au-dessous des régions luxueusement stentées !
La prévision des ruptures de plaques, la définition de la cible plutôt que le raffinement du missile, auront donc été entrepris au tournant de cette fameuse première décennie du XXIe siècle (c’est-à-dire demain) et auront été couronnées de succès. Il s’agit d’une recherche difficile car les facteurs de risque de rupture de plaques sont probablement pluriels, locaux et systémiques, que l’ambition thérapeutique est donc exigeante, mais néanmoins incontournable si nous souhaitons significativement améliorer la qualité du service rendu.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :
Articles sur le même thème
publicité
publicité