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Cardiomyopathies

Publié le 05 juin 2007Lecture 7 min

La cardiomyopathie de stress

D. PAVIN, Département de cardiologie et maladies vasculaires, CHU de Rennes

La cardiomyopathie de stress est une affection cardiaque aiguë particulière, caractérisée par la survenue brutale d’une dysfonction ventriculaire dans les suites immédiates d’un événement stressant. Elle est plus récemment connue sous le terme de « Tako-Tsubo cardiomyopathy », en référence à la description par les auteurs japonais de l’aspect particulier de ballonisation apicale ventriculaire gauche (VG), ressemblant à la forme d’un vase japonais utilisé pour piéger les poulpes.

Historique En fait, les premières descriptions des éléments du syndrome sont plus anciennes. En particulier les anomalies ECG avaient déjà été mises en évidence par Mainzer et Krause dans le British Heart Journal en 1940. Depuis, la maladie avait été « oubliée », car probablement peu fréquente et surtout méconnue. Nos deux premières observations ont été rapportées en 1997 dans Heart, décrivant alors les éléments d’un syndrome très particulier survenant immédiatement après un stress émotionnel intense, que nous avions appelé cardiomyopathie humaine de stress. Depuis le début des années 2000, des séries européennes, américaines et surtout japonaises ont été publiées, ces dernières comportant les effectifs les plus importants. Néanmoins, les séries japonaises et notamment celle du registre multicentrique japonais (88 patients) incluent les patients à partir de l’aspect particulier de ballonisation apicale VG, et non pas relativement à un événement ou facteur stressant. Ainsi, les formes survenant secondairement à un stress émotionnel ne représentent qu’environ le quart des observations japonaises, le facteur causal le plus habituel étant un stress physique variable ou l’expression d’une maladie systémique, avec des causes finalement très variées : épilepsie, accident vasculaire cérébral, pneumonie, état de mal asthmatique, coma diabétique, hémorragie, procédures interventionnelles (endoscopies, etc.) ou chirurgicales, etc. Dans un certain nombre de cas même, il n’existe aucun facteur causal ni stress identifié. Les formes japonaises incluent donc des pathologies diverses, ne réalisant pas les formes « pures » survenant après une émotion intense, même si les caractéristiques des anomalies VG, de l’ECG et l’évolution sont assez semblables.   Présentation clinique Les éléments du syndrome sont assez stéréotypés, et la description des aspects de la maladie peut être effectuée à partir de notre série personnelle. Entre 1993 et 2003, nous avons inclus les patients hospitalisés pour cardiomyopathie aiguë, dans les suites d’un stress émotionnel intense. Aucun de ces patients n’avait de cardiopathie préexistante, et aucune autre cause n’a été retrouvée : coronarographie normale chez tous, test au méthergin ne déclenchant pas de spasme chez 6 patients, absence d’arguments cliniques ou biologiques pour une myocardite aiguë et absence de phéochromocytome (dosage secondaire des catécholamines urinaires, tomodensitométrie). Au total, 10 patients avaient été inclus, toutes étant des femmes, dont l’âge médian était de 52 ans. Cette prédominance féminine est d’ailleurs retrouvée dans toutes les séries de la littérature, quasi-exclusive dans les formes liées à un stress émotionnel, un peu moins marquée dans les formes japonaises. Il existe une prédilection pour la femme ménopausée, l’âge de survenue étant généralement vers la soixantaine, mais elle peut se rencontrer également chez des jeunes femmes. Le stress émotionnel est variable, comme la mort subite d’un proche, de violentes querelles, ou d’autres circonstances variées mais qui sont toujours à l’origine d’un stress intense. Les symptômes et signes Le début des symptômes est précoce, généralement dans l’heure qui suit le stress déclenchant. Le symptôme principal et constant est la douleur thoracique, parfois associée à une dyspnée, une syncope ou des troubles digestifs (nausées, vomissements). À l’admission, la plupart des patients (7/10) sont en état de choc hémodynamique et ont un œdème pulmonaire. L’œdème pulmonaire est probablement mixte, cardiogénique en rapport avec la dysfonction VG, mais également lésionnel, les catécholamines accroissant la perméabilité capillaire pulmonaire et augmentant la pression hydrostatique veineuse. L’ECG est très particulier, bien qu’il puisse mimer un syndrome coronaire aigu (figure 1). Initialement (premières heures), les anomalies concernent les complexes QRS (diminution d’amplitude des ondes R, voire ondes Q, surtout mais pas exclusivement dans les dérivations précordiales droites) et le segment ST. Ce dernier est le plus souvent sus-décalé, de façon généralement discrète (1 à 2 mV), et plus rarement sous-décalé. Figure 1. Modifications ECG au cours d’une cardiomyopathie de stress. À l’admission (J0), il apparaît des ondes Q assez fines, en particulier dans les dérivations D1-aVL, D2-aVF et V6, associées à un discret sus-décalage de ST. Au 2e jour, les modifications caractéristiques avec ondes T négatives, amples, diffuses et associées à un allongement de QT sont évidentes. Les anomalies s’atténuent ensuite et ne sont plus visibles à la fin de la 1re semaine. Les anomalies sont évolutives ; il apparaît rapidement (24-48 premières heures) une inversion des ondes T, généralement profonde, diffuse, associée à un allongement important de l’intervalle QT ; ces éléments constituent une marque caractéristique de l’affection. Le taux des enzymes cardiaques est généralement peu élevé, le pic de troponine Ic se situant entre 4 et 11,6 ng/ml (médiane : 2,6) dans notre série. Fonction VG Cela contraste avec l’importance de l’atteinte de la fonction VG (médiane : 22 %) avec l’aspect de ballonisation apicale VG (figure 2). Tous les segments (distaux et souvent médians) périapicaux sont a- ou dyskinétiques, seuls les segments basaux étant hypercontractiles. Cela est visible à l’angiographie comme à l’échographie. Figure 2. Angiographies VG en incidence OAD (systole à gauche et diastole à droite) montrant la ballonisation apicale VG. L’évolution est rapidement favorable, malgré la sévérité du tableau clinique initial, mais un traitement « de support » assez lourd peut être nécessaire initialement, avec le recours à la ventilation assistée ou à un support hémodynamique (amines vasopressives, contrepulsion par ballon intra-aortique). La récupération clinique est assez rapide, en 24 à 48 heures. La dysfonction VG se corrige rapidement, la contractilité VG étant normalisée dès la fin de la 1re semaine ou au plus tard dans le 1er mois. L’évolution sur le plan ECG se fait également vers la normalisation : les anomalies des complexes QRS, du segment ST et l’allongement de l’intervalle QT se corrigent en 1 semaine à 10 jours. L’inversion des ondes T est plus lente à disparaître, en règle généralement dans le 1er mois, mais certaines patientes peuvent garder des anomalies plus persistantes mais atténuées (aplatissement ou inversion faible/localisée des ondes T). Les complications hospitalières sont donc exceptionnelles (si l’on excepte l’état de choc et l’œdème pulmonaire initial). Il a été décrit des cas de thrombus apical ventriculaire gauche et de rupture pariétale. Des troubles du rythme ont également été rapportés, en particulier des fibrillations ventriculaires, et il n’est pas exclu que cette complication soit sous-estimée, car survenant essentiellement à la phase toute initiale, expliquant également l’incidence accrue de morts subites à l’occasion de catastrophes naturelles importantes comme les tremblements de terre d’Athènes en 1981 et de Los Angeles en 1994. Par contre, on sait désormais que les récurrences sont possibles, au moins dans les formes secondaires à une émotion intense, avec un 2e épisode survenant à la suite d’une nouvelle émotion. Ces récurrences sont retrouvées dans environ 10 % des cas, sur un suivi moyen de 1 à 3 ans. Cela pose la question d’un traitement préventif à long terme et de sa nature (bêta- ou alphabloquants, anticalciques ?).   Étiopathogénie Le mécanisme catécholergique ne fait aucun doute et les arguments sont nombreux pour retenir l’effet des catécholamines : - la survenue immédiate après un événement stressant ; - les similitudes du tableau clinique, incluant les modifications ECG et même le type de dysfonction VG, avec ce qui a déjà été décrit dans les crises de phéochromocytome aiguës, à l’occasion de la libération massive de catécholamines comme dans les ruptures hémorragiques de la tumeur ; - la constatation sur des biopsies endomyocardiques ou à l’autopsie de lésions de dégénérescence myofibrillaire et de contraction des sarcomères (« contraction band necrosis » des auteurs anglo-saxons) semblables également aux lésions décrites dans le phéochromocytome ; - l’élévation importante du taux de catécholamines plasmatiques et de neuropeptides liés au stress, à un niveau plus important que ne le voudraient l’état clinique et hémodynamique des patients. En fait, les cardiomyopathies de stress semblent reproduire à l’exactitude une crise de phéochromocytome aiguë. L’élément nouveau est de savoir qu’une émotion (ou un autre stress) puisse en elle-même générer une sécrétion endogène de catécholamines, à un niveau équivalent à une sécrétion tumorale excessive. Il existe une sidération myocardique, mais pas de nécrose significative comme le démontrent l’absence d’élévation significative des enzymes cardiaques, les études par IRM et surtout la réversibilité complète des anomalies. Les mécanismes en aval expliquant cette sidération ne sont pas connus précisément. Il pourrait s’agir de phénomènes ischémiques (rôle éventuel d’un spasme diffus des gros troncs coronaires ou d’un spasme microvasculaire) et/ou d’une atteinte directe myocytaire (en rapport avec la surcharge calcique intracellulaire, la production de radicaux libres, etc.). Ne sont pas non plus expliquées la prédominance féminine et l’atteinte ventriculaire gauche périapicale, malgré diverses hypothèses (densité des récepteurs, différence d’architecture musculaire, charge tensionnelle initiale, etc.).   Conclusion   La cardiomyopathie de stress est une entité très particulière, faisant intervenir l’effet des catécholamines en réponse à un stress émotionnel ou physique. Son tableau est assez stéréotypé : - prédominance féminine et survenue plutôt à la soixantaine ; - début immédiatement après un stress ; - présentation clinique initiale associant douleur thoracique, souvent état de choc et œdème pulmonaire ; - ECG mimant un syndrome coronaire aigu avec des anomalies des complexes QRS et de la repolarisation, et rapidement l’inversion profonde et diffuse des ondes T associée à un allongement de l’intervalle QT ; - une ballonisation apicale ventriculaire gauche ; - l’absence d’élévation (ou modeste) des enzymes cardiaques ; - une récupération clinique, ECG et morphologique complète et rapide. Bien que rare, elle mérite d’être reconnue, pour ne pas la confondre en particulier avec des syndromes coronaires aigus, et savoir que son pronostic (en phase hospitalière) est bon.

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