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Cardiologie générale

Publié le 27 juin 2006Lecture 8 min

Traitement de l’hypertendu : faut-il privilégier un médicament ?

J. CHAPSAL, d'après G. Chatellier, HEGP (Paris)

Cette controverse mériterait de tels développements qu’un livre serait nécessaire. L’auteur, pourtant un fervent de l’ « evidence-based medicine », a donc choisi de faire prévaloir son opinion, même si, dans certains cas, cette opinion manque encore de preuves pour l’étayer. De même, les références choisies n’ont ni la prétention d’être les plus pertinentes, ni a fortiori d’être définitives. Certaines d’entre elles sont anciennes, un choix volontaire cherchant à souligner que, malgré plus de 30 ans d’efforts, certains problèmes n’ont toujours pas trouvé de solution.
Pour répondre au problème posé, nous aborderons quatre sous-questions dont une seule a trait au choix du traitement, et trois à d’autres thèmes très importants dans la prise en charge des hypertendus modérés.

Le choix du traitement n'est pas le plus important G. CHATELLIER, hôpital européen Georges Pompidou, Paris Un médicament est-il meilleur qu’un autre pour un patient donné ? L’information nécessaire à cette question ne peut être trouvée que dans les essais contrôlés et randomisés de grande taille, ayant comme critères de jugement la mortalité et la morbidité liée à l’élévation de la pression artérielle. Ces essais sont aujourd’hui très nombreux, et parfois contradictoires, si bien qu’il est préférable d’utiliser les métaanalyses pour se faire une opinion. Malheureusement, celles-ci sont maintenant si nombreuses qu’il serait nécessaire de faire une méta-méta-analyse pour s’y retrouver ! Nous éviterons donc cet exercice passionnant, qui permettrait de montrer qu’à partir d’un ensemble fini et connu de travaux scientifiques (il n’y a pas de biais de publication dans cette catégorie d’essais), un choix subtil des critères d’inclusion, des critères de regroupement des essais et des critères de jugement, permet d’arriver à des conclusions différentes. Cette controverse sur le « meilleur traitement antihypertenseur » ne date pas d’hier ! Le premier essai de grande taille opposant deux approches pharmacologiques a été le MRC 1 publié en 1985. Ce travail concluait que la réduction du taux d’accident vasculaire cérébral était plus grande avec le bendrofluazide qu’avec le propranolol, qu’il était réduit chez des fumeurs et chez les non-fumeurs prenant le bendrofluazide mais seulement parmi les non-fumeurs prenant le propranolol. La version moderne de ce travail est la métaanalyse de Lindholm et al. montrant que les bêtabloqueurs, comparés au placebo ou à l’absence de traitement, réduisent le risque relatif d’accident vasculaire cérébral de 19 % (IC95 % : 7-29 %), soit la moitié de ce que l’on pourrait escompter en théorie. Cependant, si le niveau de preuve soulignant l’efficacité des inhibiteurs du système rénine angiotensine et des antagonistes calciques, comme celle des diurétiques et des bêtabloquants, comparés au placebo, le niveau de preuve est plus faible en ce qui concerne les différences interclasses, ou entre différentes doses de médicament, comme le montrent certaines discordances entre des métaanalyses bien réalisées. Peu de choses ont été faites dans le cadre de la prévention secondaire : une association vérapamil + trandolapril était comparable à une association aténolol + hydrochlorothiazide chez des hypertendus coronariens.   Faut-il donc arrêter la prescription de certains médicaments ? Pas si simple ! Outre l’efficacité contre placebo de tous les médicaments antihypertenseurs, dont les bêtabloquants, soulignons que certaines études largement médiatisées ont été réalisées (par hasard ?) avec comme comparateur un bêtabloqueur – l’une des classes contestées. L’effet bénéfique de certaines classes ne se retrouverait donc sans doute pas avec un autre comparateur. Par ailleurs, il est pratique de disposer d’un médicament dont on connaît la sécurité dans des situations d’échec thérapeutique, si fréquentes dans la prise en charge de l’hypertendu.   Le contrôle de la pression artérielle est-il obtenu facilement ? La réponse est clairement non ! Le contrôle de l’HTA suppose qu’elle soit dépistée et connue, traitée puis contrôlée par le traitement. Le pourcentage d’HTA connues reste encore insuffisant, plus élevé chez les hommes (50 %) dans une population de salariés que chez les femmes (73 %). La proportion d’hypertendus sous traitement médicamenteux est, en revanche, élevée. Trois hommes sur quatre et presque quatre femmes sur cinq sont ainsi traités dans une population de salariés, au seuil 140/ 90 mmHg, de 50 à 80 % dans la population générale. Défini comme un niveau de PA < 140/90 mmHg, le contrôle thérapeutique sous traitement n’est atteint que chez 34 % des hommes et 52 % des femmes. Selon les régions, dans les enquêtes MONICA (multinational MONItoring of trends and determinants in CArdiovascular disease), ce pourcentage varie, pour un seuil à 160/95 mmHg, de 25 à 41 % chez les hommes et de 43 à 60 % chez les femmes. Le contrôle est en général moins bon chez les hommes que chez les femmes, et moins bon chez les sujets jeunes que chez les sujets âgés, surtout en ce qui concerne la pression artérielle systolique. Si l’on croit à l’importance de la baisse de la pression artérielle, alors le choix de la molécule de première intention devient accessoire, puisque la plupart des patients sont traités par des associations. En revanche, si comme certains on pense que le concept de l’abaissement maximal de la PA n’est pas justifié, l’approche de prise en charge est fondée sur le risque et la recherche de l’optimisation du traitement peut impliquer le choix préférentiel de certaines classes pharmacologiques puisque l’on se limitera plus souvent à une monothérapie.   Comment mesurer la pression artérielle ?   Parler de contrôle amène à s’intéresser à l’outil « de base » de toute décision en hypertension artérielle : la mesure de la pression artérielle par le médecin. Or, il est aujourd’hui clair que cette méthode pose de multiples problèmes : mauvaise qualité de la mesure, effet blouse blanche, absence de répétition des mesures, appareils déficients… Tant la mesure ambulatoire que l’automesure permettent la répétition des mesures, évitent l’effet blouse blanche, et sont techniquement au point. De plus, ces deux méthodes permettent une meilleure prédiction du risque cardiovasculaire que la mesure traditionnelle de la pression artérielle. Il est donc temps de changer ! Les dernières recommandations de la Haute autorité de santé vont dans ce sens et conseillent l’usage de ces méthodes de mesure tant pour la décision de traitement que pour le suivi des patients.   Privilégier la MAPA et l’automesure L’étiquetage correct des patients est une priorité qui devance le choix de la molécule de première intention.   Ne vaut-il pas mieux prendre en charge le risque cardiovasculaire ? L'hypertension n'est pas une maladie mais un facteur de risque parmi d’autres facteurs de risque d’AVC et de maladie coronaire. De plus, il n’existe pas de limite pathologique nette entre « hypertension » et « normotension ». On sait que la prévalence de l’HTA augmente avec l’âge et qu’elle est plus fréquente chez les hommes que chez les femmes. Dans la plupart des pays industrialisés, et également non industrialisés, la prévalence de l’HTA est considérable : de 20 à plus de 40 % de la population, selon les enquêtes, le sexe et l’âge. Un travail de 2005 estime que le poids de l’hypertension dans le monde est énorme. En 2000, on estimait à 972 millions (957–987 million) le nombre d’adultes hypertendus : 333 millions (329–336 millions) dans les régions économiquement développées et 639 millions (625–654 millions) dans les pays en voie de développement. En l’absence d’intervention, le nombre d’adultes hypertendus pourrait atteindre 1,56 milliard ! Un tel chiffre peut rendre la question du choix de l’antihypertenseur ridicule (on est devant une épidémie) ou importante (un faible effet nocif peut concerner des populations entières) : elle souligne en fait la nécessité d’optimiser les approches de prise en charge, en particulier la prévention primaire de l’hypertension et le traitement optimal du risque pour maximiser les bénéfices populationnels et réduire les coûts de prise en charge !   L’intrication des facteurs de risque   Il est aujourd’hui fondamental de comprendre qu’il existe une relation « dose-réponse » entre des variables physiologiques (glycémie, LDL-cholestérol, consommation d’alcool, pression artérielle…). Une fois ce concept accepté, il y a trois notions conséquentes : – en tant que médecins, nous devrions donc communiquer avec nos patients autour d’estimations des risques absolus et relatifs de ces maladies, afin de mieux centrer avis et choix thérapeutiques ; – un changement donné dans le niveau du facteur de risque est accompagné d’une augmentation relative du risque à peu près constante sur l’ensemble des niveaux de facteurs de risque ; – une intervention donnée (antihypertenseur, hypocholestérolémiant, etc.) réduit également le risque de 20 à 50 % selon le médicament et la cible de la prévention (maladie coronarienne ou accident vasculaire cérébral). Au lieu de polémiquer sans espoir de conclusion sur le choix du meilleur antihypertenseur, il vaudrait mieux orienter le choix vers le meilleur traitement du risque. On pourrait alors : – privilégier l’individu, en traitant les sujets à haut risque. Il existe des outils de calcul de risque plus ou moins sophistiqués qui permettent d’estimer le niveau de risque vraisemblable d’un individu : par exemple les équations de Framingham, ou l’équation SCORE proposée par la Société européenne de cardiologie. Disposant de ce risque, il est facile d’appliquer les réductions de risque maintenant précises obtenues avec les différentes approches pharmacologiques. Avec un tel outil, on pourrait très bien calculer que le bénéfice maximal du traitement chez certains hypertendus ayant une élévation modérée de la pression artérielle est obtenu par un hypocholestérolémiant… ; – privilégier le choix des patients : à chacun de traiter son risque ! C’est ce qui se passe au Royaume-Uni où une statine à faible dose a été mise à la disposition du public, sans prescription médicale, avec une information faite par le pharmacien. C’est l’application directe d’une approche populationnelle, maximisant le bénéfice collectif. Cette approche doit être observée de près : il n’est pas sûr que les risques des statines soient mineurs dans ces conditions de prescription. D’après ce que l’on sait de l’influence du niveau d’éducation sur les conduites de prévention, il est également possible que seuls les plus éduqués (les moins à risque) diminuent encore leur risque en adoptant cette approche. Enfin, le coût est entièrement supporté par les patients, ce qui risque encore d’accroître les différences entre catégories sociales favorisées et défavorisées ; – traiter les sujets à haut risque, indépendamment des composantes du risque. C’est le concept de la « polypill » qui part du principe que les meilleurs prédicteurs de risque sont les facteurs de risque que l’on ne peut pas changer (âge, sexe, manifestation de la maladie telles qu’AVC ou infarctus), et que les prédicteurs modifiables doivent l’être au niveau de la population et non chez les seuls sujets qui ont les valeurs les plus élevées.   En guise de conclusion...   L’abaissement de la pression artérielle par les médicaments est globalement bénéfique. Certains médicaments sont néanmoins vraisemblablement meilleurs que d’autres pour la prévention de certaines complications, mais ce bénéfice est à pondérer par la nécessité de prescrire des associations pour obtenir un abaissement suffisant de la pression artérielle. Enfin, en population, on est très loin d’obtenir un bon contrôle de la pression artérielle. Ne nous trompons donc pas de combat : il est avant tout indispensable de bien mesurer le niveau de risque, pour centrer les interventions médicamenteuses sur ceux qui sont les plus susceptibles d’en bénéficier, et optimiser le choix du traitement de première intention chez ces patients. Par ailleurs, il ne faut pas limiter la discussion aux seuls individus traités pharmacologiquement. On oublie trop souvent l’efficacité préventive de la réduction du risque de la population par des approches non pharmacologiques, notamment la réduction du poids et l’augmentation de l’exercice physique dès l’enfance, la lutte contre le tabagisme et la réduction de la consommation de sel. Enfin, n’oublions pas les déterminants comportementaux de la santé : en France comme dans la plupart des pays occidentaux, les catégories sociales les plus défavorisées sont à plus haut risque cardiovasculaire, et l’éducation pour la santé comme l’analyse des déterminants de l’observance sont deux éléments essentiels du succès de toute approche thérapeutique.

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