Publié le 27 oct 2009Lecture 4 min
Le tabagisme, au cœur du risque cardiovasculaire et métabolique
M. DEKER
Le tabagisme est la première cause évitable de mortalité cardiovasculaire. On estime qu’il est responsable de plus d’un million et demi de décès par maladie cardiovasculaire dans les pays industrialisés. Une revue très complète réalisée par le Professeur Ivan Berlin* rapporte les éléments de preuve qui font du tabagisme un facteur de risque cardiovasculaire, en favorisant la survenue d’un diabète de type 2, d’une insulinorésistance et d’une obésité abdominale, autant d’anomalies métaboliques qui sous-tendent le risque cardiovasculaire.
Perturbations du métabolisme lipidique et effet pro-inflammatoire
Il est admis que le tabagisme est directement associé à la formation de l’athérosclérose et favorise la survenue d’anévrismes de l’aorte, d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) et coronariens. Ces effets sont sous-tendus par des modifications délétères du métabolisme. En effet, on observe chez les fumeurs une augmentation du cholestérol total et des triglycérides et une diminution du HDL-cholestérol, comparativement aux non-fumeurs. Le tabagisme perturbe le métabolisme des lipoprotéines, diminue la distensibilité des parois vasculaires et induit un état prothrombotique et proinflammatoire. Les concentrations de protéine C-réactive (CRP), de fibrinogène et d’homocystéine sont significativement plus élevées chez les fumeurs comparativement aux anciens fumeurs ; ces trois paramètres sont bien corrélés au risque d’AVC et maladie coronaire. Le tabagisme augmente aussi la peroxydation des lipides et la dégradation des protéines de la matrice extracellulaire, et favorise l’apoptose cellulaire, ce qui contribue à endommager les tissus. On sait aussi que le tabac induit une hypoxémie et inhibe la réparation tissulaire.
A contrario, l’arrêt du tabac permet de diminuer le risque de mortalité de toutes causes chez les coronariens de plus de 30 %. Ce bénéfice s’accompagne d’une diminution des marqueurs de l’inflammation, plus lente toutefois que celle des paramètres lipidiques.
Le tabac favorise le diabète et l’obésité
Les liens entre le diabète de type 2 (DT2), et le tabagisme sont étayés par un grand nombre d’études cliniques, les plus récentes ayant montré que le tabagisme est lié au diabète de manière dose-dépendante.
Fumer au moins 20 cigarettes/jour double le risque de DT2. Le tabagisme actif et passif altère la tolérance au glucose : dans l’étude prospective CARDIA, le risque d’intolérance au glucose était plus élevé chez les fumeurs actifs et passifs comparativement aux sujets non fumeurs ou non exposés à la fumée du tabac, et équivalent à ces derniers chez les anciens fumeurs. Une étude française réalisée sur un grand échantillon représentatif a montré que le risque de DT2 était augmenté de 49 et 31 % chez les fumeurs et anciens fumeurs, respectivement ; le risque le plus élevé était observé chez les hommes âgés de 40 à 69 ans et il était significativement augmenté chez les femmes de la même tranche d’âge. Ces données sont confortées par une étude prospective de cohorte américaine ayant montré une augmentation dose-dépendante du risque de DT à partir d’un paquet de cigarettes/jour.
Chez les diabétiques, le tabagisme est un facteur de risque cardiovasculaire indépendant. Il majore la dyslipidémie particulière à cette maladie en augmentant l’activité lipase hépatique, ce qui entraîne la production des particules LDL petites et denses, impliquées dans le processus d’athérogenèse.
Il existe des arguments physiologiques très forts pour expliquer l’association entre le tabagisme et les troubles de la glycorégulation. Chez un sujet qui fume une cigarette par heure pendant 6 heures, la sensibilité à l’insuline diminue en raison d’une baisse de l’utilisation périphérique du glucose. Chez le fumeur, la glycémie est plus élevée après une épreuve de charge en glucose et la sensibilité à l’insuline diminue. Les fumeurs sont également plus résistants que les non-fumeurs à l’utilisation du glucose médiée par l’insuline et répondent à une charge en glucose par une production encore plus élevée d’insuline que les non-fumeurs. L’insulinorésistance associée au tabagisme peut expliquer en partie les perturbations lipidiques observées chez le fumeur et par conséquent l’augmentation du risque cardiovasculaire. Par ailleurs, la vasoconstriction liée au tabac peut contribuer à l’insulinorésistance en diminuant l’apport sanguin aux muscles squelettiques. À ces effets pervers occasionnés par le tabagisme pourraient s’ajouter des effets toxiques directs exercés par les composants de la
fumée sur les cellules pancréatiques et les récepteurs à l’insuline.
Tous les ingrédients biologiques conduisant au syndrome métabolique et au diabète sont donc réunis chez le fumeur. Cliniquement, un autre effet du tabagisme a été mis en évidence sur l’obésité abdominale, facteur de risque de DT2, maladies cardio et cérébrovasculaires et de mortalité, indépendant du poids. Bien que les fumeurs soient volontiers plus minces et aient un indice de masse corporelle (IMC) légèrement plus faible que les non-fumeurs, leur rapport taille/hanche (RTH) est plus élevé. Le lien entre le tabagisme et l’obésité abdominale est conforté par la mise en évidence d’une relation dose-dépendante, le RTH augmentant avec le nombre de cigarettes fumées alors que l’IMC diminue. À l’arrêt du tabagisme, le retour à la normale est très lent.
L’exposition foetale au tabagisme maternel peut s’accompagner d’un retard de croissance intra-utérin, lequel est associé à un risque de diminution de la sensibilité à l’insuline. Les enfants ainsi exposés in utero sont à risque accru de développer un surpoids dès leur prime enfance.
À l’arrêt du tabac, la prise de poids est presque inévitablement la règle mais l’IMC tend en fait à rattraper les valeurs que l’on aurait observé chez le même patient non-fumeur. Les effets de cette prise de poids sur le risque métabolique n’ont pas été clairement explorés. Il est toutefois peu probable qu’ils atténuent de beaucoup les effets bénéfiques de l’arrêt du tabac sur les paramètres métaboliques du risque cardiovasculaire.
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