Échocardiographie
Publié le 14 juin 2005Lecture 7 min
L'échocardiographie dans l'endocardite infectieuse : une des clés du pronostic
R. ROUDAUT, hôpital cardiologique, CHU de Bordeaux
L’endocardite infectieuse reste de nos jours une pathologie fréquente et grave avec 31 cas par million d’habitants et une mortalité hospitalière 16 % dans l’enquête française de 1999. On assiste cependant à une continuelle évolution du profil épidémiologique : diminution de la proportion d’endocardites sur valve native anormale, augmentation de la proportion d’endocardites sur prothèse valvulaire et sur valve native sans facteur anatomique prédisposant, augmentation de la proportion d’endocardites à streptocoques du groupe D et à staphylocoques, recours plus fréquent au traitement chirurgical (49,7 %).
L'échocardiographie est un examen clé du diagnostic d’endocardite sur les critères bien connus (végétations, lésions ulcéromutilantes, abcès) et fait classiquement appel à l’échocardiographie transthoracique complétée au moindre doute par l’ETO.
La place de l’échocardiographie est également essentielle dans la stratification du risque, comme le soulignent les différents articles publiés sur ce sujet ces dix dernières années.
Selon Erbel, les critères de gravité sont cliniques ou échocardiographiques.
Sur le plan clinique, sont considérés comme péjoratifs :
• un âge > 60 ans,
• un retard de diagnostic,
• une infection à staphylocoque,
• une atteinte de la valve aortique,
• une infection sur prothèse,
• une insuffisance cardiaque,
• des embolies périphériques,
• une complication neurologique.
Sur le plan échocardiographique, sont considérées comme péjoratives :
• une végétation volumineuse, pédiculée, mobile, en particulier mitrale ;
• une régurgitation valvulaire importante ;
• une lésion des structures sous-aortiques : abcès, fistule.
Nous serons donc amenés à discuter successivement des tableaux suivants :
• lésions ulcéromutilantes sévères à haut risque d’insuffisance cardiaque ;
• volumineuse végétation mobile, caractérisée par un risque embolique majeur ;
• abcès du cœur qui posent avant tout des problèmes septiques ;
• endocardite sur prothèse à risque d’insuffisance cardiaque, d’embolie, d’infection persistante.
Lésions destructrices sévères
Les lésions ulcéromutilantes sévères sont bien reconnues par l’échocardiographie qui en précise le mécanisme (déchirure de valve, capotage, perforation) et les conséquences à type de régurgitation volumineuse à l’origine d’insuffisance cardiaque et de mortalité accrue en l’absence de chirurgie précoce.
Rappelons l’importance dans ce contexte de rechercher :
• en cas d’IM, un reflux dans les veines pulmonaires avec HTAP ;
• en cas d’IA, une fermeture prématurée de la mitrale, une IM diastolique, un temps de décélération de l’IA court (figure 1).
Figure 1. Endocardite de l’orifice aortique sur valve native : IA majeure par délabrement de la valve, présence d’un abcès de la paroi postérieure du manchon : parasternal grand axe (A), apicale 4 cavités (B), apicale 4 cavités (C), Doppler continu (D).
Ces dernières anomalies sont caractéristiques des endocardites aiguës de l’orifice aortique, dont on sait qu’elles sont plus fréquentes de nos jours, qu’elles interviennent souvent sur cœur sain, qu’elles sont liées à des germes agressifs et dont la mortalité est fréquente à 45 %. Cette atteinte est à haut risque d’insuffisance cardiaque galopante et nécessite une surveillance hémodynamique de tous les instants.
Les endocardites de l’orifice aortique sont parfois associées à une atteinte des structures para-aortiques : trigone fibreux aorto-mitral, base de la valve mitrale antérieure avec possible formation d’abcès, d’anévrisme mycotique, de perforation conduisant à des atteintes plurivalvulaires graves en termes hémodynamiques.
Les volumineuses végétations mobiles
Elles sont essentiellement caractérisées par un risque embolique.
Une embolie systémique est retrouvée dans 30 % des endocardites et 20 % sont silencieuses. Ces embolies sont souvent précoces, inaugurales. L’incidence des embolies sous traitement tombe à 10 % environ. Rappelons l’intérêt de la réalisation d’un scanner corps entier à la recherche d’un foyer embolique qui peut être silencieux cliniquement.
Certains germes sont à plus haut risque emboligène : les staphylocoques, l’hémophilus.
Une végétation volumineuse. Le risque d’embolie est d’autant plus grand que la végétation est en position mitrale (figure 2), qu’elle est volumineuse (> 10 mm dans son grand axe), qu’elle est pédiculée et mobile, qu’elle augmente de taille sous traitement, ou qu’elle a déjà embolisé.
Figure 2. Très volumineuse végétation mobile (27 mm) sur la face auriculaire des feuillets mitraux.
Les résultats de nombreux travaux de la littérature ayant analysé les relations entre la taille de la végétation et les embolies sont très variables. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces divergences : l’ancienneté de certaines publications n’incluant pas l’ETO, le nombre souvent faible de patients étudiés, l’absence de standardisation des critères diagnostiques utilisés pour le diagnostic d’endocardite, l’inclusion ou non d’embolies silencieuses.
L’étude récente de Di Salvo retrouve une relation statistique forte entre la taille des végétations et le risque embolique. En analyse multivariée, les seuls paramètres indépendants et significativement liés à un risque embolique sont la mobilité et la longueur de la végétation. Ce risque apparaît très important au-delà de 15 mm, c’est-à-dire chez 83 % des patients !
Au total, le risque, même difficile à apprécier à titre individuel, apparaît particulièrement réel pour des végétations > 15 mm, a fortiori tant que le patient n’est pas traité.
En pratique, deux situations peuvent être envisagées :
• la végétation menaçante est associée à une autre indication chirurgicale (hémodynamique, embolique, bactériologique) : la décision est facilitée ;
• la végétation menaçante est isolée : la chirurgie doit être discutée au cas par cas.
Selon G. Habib, une chirurgie prophylactique est conseillée en cas de végétation aortique ou mitrale > 15 mm, et très mobile.
L’abcès endocarditique
- Il représente pour le patient un risque septique (difficulté de diffusion d’antibiotiques au sein de l’abcès), et hémodynamique (lésions coexistantes, désinsertion, fistules, etc.).
- Les abcès du cœur touchent électivement la racine de l’aorte (90 %). Ils compliquent 30 % des endocardites sur valve native, 50 % d’endocardites sur prothèse et sont surtout rencontrés avec des germes virulents (staphylocoques dorés). Lorsqu’ils siègent au niveau de la paroi antérieure du manchon aortique, il existe un risque de diffusion vers le septum interventriculaire et de bloc auriculo-ventriculaire. Lorsqu’ils sont localisés au niveau de la paroi postérieure de l’aorte, le risque est l’extension au trigone fibreux aorto-mitral (figure 3).
Figure 3. A. Abcès de la paroi postérieure du manchon aortique avec fuite paraprothétique en ETO (B).
- Le diagnostic de l’abcès du cœur a largement bénéficié de l’échocardiographie dans ses différentes modalités. Si l’ETO a une sensibilité supérieure à l’ETT, en particulier pour les abcès postérieurs, les deux voies d’abord restent indispensables et complémentaires.
- L’étude multicentrique publiée par R. Choussat porte sur 233 abcès, dont 192 au niveau de l’aorte ; la mortalité à 7 mois est de 16 %, la survie à 27 mois de 59 ± 11 %. Les facteurs de risque de mortalité sont un âge > 65 ans, le staphylocoque, la présence d’une fistule.
Il existe un dogme ancien selon lequel tout abcès du cœur doit être opéré ; cependant quelques travaux récents tendent à opposer :
- les abcès « à haut risque » (c’est-à-dire volumineux, communiquants, associés à des lésions valvulaires ou paravalvulaires, ulcères, fistules, extensifs aux contrôles successifs) à opérer (figure 4) ;
- les abcès à bas risque (de plus petite taille [< 2 cm2], respectant le septum interventriculaire, stables aux ETO successives, à germes peu pathogènes) qui peuvent être traités médicalement sous contrôle rigoureux.
Figure 4. Abcès de la croix du cœur avec fistule VG-OD (A et B).
L’endocardite sur prothèse
Elle représente 16 % des endocardites dans l’enquête française de 1999 et est associée à une mortalité plus importante (Ž 20 %).
Soulignons la gravité particulière d’endocardites précoces (survenant dans les 2 premiers mois postopératoires) à germes hospitaliers virulents.
L’ETT et l’ETO sont complémentaires et indispensables au diagnostic précis des lésions en sachant que les végétations peuvent être difficiles à visualiser sur valve mécanique, que les désinsertions compromettent le pronostic hémodynamique et enfin que les abcès sont fréquents (50 % des cas) et souvent délabrants (figure 5).
Figure 5. Végétation de 10 mm mobile sur la face auriculaire d’une prothèse mitrale en ETO.
Elle sera décidée au cas par cas en fonction :
• du contexte (endocardite précoce, à staphylocoque doré à opérer d’emblée) ;
• de la clinique (insuffisance cardiaque, mauvais contrôle de l’infection qui orienterait vers une chirurgie rapide). Dans ce contexte, une embolie cérébrale représente toujours une complication majeure contre-indiquant le plus souvent une chirurgie rapide ;
• de l’échocardiographie :
- volumineuse végétation mobile ou obstructive,
- abcès,
- désinsertion importante.
En pratique
L’échocardiographie joue un rôle essentiel dans :
- la sélection des patients à haut risque (lésions destructrices sévères, volumineuses végétations, abcès) ;
- la surveillance « armée » de ces patients sous traitement médical, afin de décider de la date optimale de la chirurgie ;
- dans ce contexte, une ETO peropératoire est souvent très utile pour contrôler l’efficacité du geste chirurgical sur des tissus très fragiles.
C’est une prise en charge médico-chirurgicale « agressive » qui devrait permettre d’améliorer le pronostic de cette affection très grave. Ainsi, l’enquête française de 1999 montre que près d’un malade sur deux a été opéré précocement, ce qui a permis une diminution de la mortalité à 16 %.
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