Publié le 09 oct 2007Lecture 12 min
L'échographie de l'HTAP précapillaire
T. FOURME, CH de Rambouillet, CHU Antoine Béclère, Clamart
Le diagnostic d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) précapillaire est réalisé par cathétérisme cardiaque droit. L’écho-Doppler cardiaque permet de décrire l’adaptation physiopathologique du cœur et de la circulation pulmonaire secondaire à l’élévation permanente et progressive des résistances vasculaires pulmonaires. Plutôt que de parler de critères diagnostiques, on parle de tableau compatible avec une HTAP précapillaire.
Définition et généralités
L’HTAP est définie, selon la classification de Venise (tableau), comme un groupe de pathologies caractérisées par une augmentation progressive des pressions artérielles et des résistances vasculaires pulmonaires, entraînant in fine une défaillance cardiaque droite et le décès. Les conséquences sur la géométrie et la fonction ventriculaire contribuent largement à la morbi-mortalité de la maladie.
Diagnostic
Le diagnostic d’hypertension artérielle pulmonaire précapillaire inclut une pression artérielle moyenne supérieure à 25 mmHg au repos ou 30 mmHg à l’effort avec une pression capillaire inférieure à 12 mmHg mesurée par cathétérisme cardiaque droit.
L’écho-Doppler cardiaque permet de décrire qualitativement et semi-quantitativement cette surcharge en pression ventriculaire droite et ses conséquences : hypertrophie ventriculaire droite comme mécanisme d’adaptation, augmentation du résidu télésystolique VD, dilatation des cavités droites, hypokinésie et ischémie VD, gêne au remplissage ventriculaire gauche, augmentation de la durée de contraction VD et diminution du temps d’éjection, diminution du retour veineux et du débit cardiaque, augmentation de l’onde pulmonaire réfléchie qui intervient plus précocement en systole majorant la postcharge. La vélocité du sang éjecté par le VD augmente jusqu’à ce que la capacité du lit vasculaire pulmonaire résulte d’un cross over entre le dp/dt VD et AP, suivi de la disparition de l’onde de pression motrice. Du fait de l’inertie, le VD continue à éjecter mais la vélocité du sang décroît.
Ainsi, plutôt que d’estimer d’emblée les pressions pulmonaires, potentiellement erronées, l’examen non invasif doit décrire une situation physiopathologique et rechercher, en croisant les paramètres, les arguments concourant au diagnostic ou au pronostic d’HTAP précapillaire. On peut rappeler l’absence de valeur pronostique des pressions pulmonaires et leur peu d’utilité dans le suivi, au contraire de la pression auriculaire droite (POD) et de l’index cardiaque (Ic).
La description de l’adaptation physiopathologique du cœur et de la circulation est fondamentale à la classification d’une HTAP. Elle doit contenir des informations sur la géométrie et les fonctions droite et gauche mais aussi sur le couplage ventriculo-artériel (VD-AP).
Gêne à l’éjection VD par l’HTAP. A: Coupe apicale 4C : caractéristque d’HTAP précapillaire chronique. Description et quantification d’une dilatation des cavités droites, de la fonction systolique VD, de l’index de remodelage VD, du rapport de surface VD/VG. B : coupe parasternale petit axe : index d’excentricité (Ryan:D2/D1), valeur pronostique dans l’HTAP de type I. C:appréhension semi-quantitative del’opposition qu’exerce la circulation pulmonaire à l’éjection VD. C : flux éjectionnel VD : aspect très suggestif d’une HTAP précapillaire chronique. Temps d’accélération court (ACT), écélération méso-systolique (TD), diminution du temps d’éjection (TEJ).
Géométrie
Morphologie du cœur droit et des vaisseaux
L’augmentation de la postcharge majore les pressions intracavitaires et s’accompagne précocement d’une dilatation VD télédiastolique.
On recherche, décrit et quantifie des signes indirects de surcharge barométrique du VD par les éléments suivants :
Dilatation du VD
– Diamètre télédiastolique du VD en TM (N < 26 mm).
– Surface télédiastolique et télésystolique du VD en apicale 4C (respectivement normale < 9 ± 2,6 cm2/m2 et 4,3 ± 1,6 cm2/m2).
Le color kinesis, la détection automatique des contours et le Doppler tissulaire peuvent aider mais n’ont jamais fait l’objet d’études sur des populations homogènes d’HTAP. La taille du VD est un élément important, avec une assez bonne valeur prédictive négative, mais non discriminative, seule, de l’origine pré- ou postcapillaire. Le rapport de surface VD/VG apparaît plus robuste, à fortiori dans le suivi.
Index de remodelage VD
Ce rapport entre les plus grandes hauteur et largeur VD peut être utilisé dans le suivi.
Hypertrophie ventriculaire droite
Quantifiable en sous-costal, par mesure TM de la paroi antérieure du VD (pathologique au-delà de 5 mm), elle permet d’évoquer le caractère chronique de l’élévation des pressions mais n’a pas de valeur pronostique et dépend beaucoup du type d’HTAP.
Épanchement péricardique
D’étiologie équivoque, vraisemblablement lié à l’élévation chronique de la POD, probablement l’indice pronostique le plus robuste.
Dilatation de l’oreillette droite (OD)
En apical 4S, planimétrie normale < 14 cm2. Une dilatation OD est assez suspecte d’HTAP précapillaire où elle a une bonne valeur pronostique.
Dilatation de la veine cave inférieure VCI (et des VSH)
Très dépendante de la pression auriculaire droite, elle en permet l’appréciation indirecte. Un diamètre normal n’élimine pas une HTAP, ne peut la classer mais peut traduire un état clinique stable. Cette étude s’avère très appréciable pour le suivi, cruciale pour l’estimation des pressions.
Dilatation du tronc de l’artère pulmonaire
En parasternale, norme < 30 mm. Diamètre très utile dans le dépistage ou l’orientation diagnostique vers telle ou telle classe d’HTAP. Les valeurs les plus élevées sont rencontrées dans les types 1.
Enfin, on complète systématiquement par la recherche d’une malformation et une épreuve de contraste. Ces mesures simples et réalisables par n’importe quel échographe sont très utiles au dépistage, au diagnostic, au suivi mais aussi au pronostic pour certaines d’entre elles.
Morphologie du cœur gauche
D’étude simple, la géométrie VG est le reflet des différents types d’interactions biventriculaires et permet souvent de discriminer le caractère précapillaire d’une HTAP.
L’oreillette gauche est de taille normale, ce qui est un argument indirect de valeur contre une HTAP postcapillaire.
Modifications de la cinétique septale
Appréciées au mieux en apical 4C ou en parasternale grand et petit axe, témoins des modifications du gradient transseptal, ces modifications vont du discret mouvement en drapeau, à l’aplatissement et à l’inversion de courbure. Elles se mesurent par l’index d’excentricité (Ryan) en petit axe, en systole et en diastole, valeur pronostique dans l’HTAP de type 1, et validé dans le suivi. Un index > 1 est un bon argument contre un type 2.
Mesure de la taille du VG en TM parasternale ou par planimétrie en apical 4C. La diminution de la taille du VG, du fait de l’interaction en série (le remplissage VG dépend du volume éjecté par le VD) et de l’interaction diastolique directe (l’augmentation de volume du VD peut limiter le remplissage du VG), a pour traduction la diminution du volume d’éjection. De plus, si la fraction d’éjection VG est normale, on assiste à une diminution de la contribution du VG à la contraction du VD (diminution de l’interaction systolique).
Le rapport de surface en apical 4C, VD/VG est simple, robuste et utile au suivi (figure 1).
Étude de la fonction VD
La fonction VD, très rapidement altérée car corrélée de façon inverse à la pression artérielle pulmonaire moyenne, est approchée avant tout par des indices anciens mais validés dans des populations homogènes. D’autres, plus récents, sont permis par l’évolution technologique, mais non validés dans le suivi ou le pronostic sur des populations d’HTAP précapillaire, notamment de type 1. L’utilisation de plusieurs indices permet cependant d’affiner l’approche qualitative et quantitative. En aucun cas, l’un d’entre eux, pris isolément, n’est un critère d’HTAP précapillaire, la fonction VD étant retrouvée altérée dans l’insuffisance cardiaque gauche (où elle constitue un facteur pronostique important), l’infarctus VD, les cardiomyopathies restrictives ou les dysplasies VD.
La fraction de raccourcissement en surface
Assez bien corrélée à la valeur mesurée par isotopes ou IRM, facilitée par la détection automatique des contours, utilisée dans les principaux travaux sur l’HTAP précapillaire, elle souffre cependant d’un déficit de reproductibilité (intra- et extraobservateur) : norme 46 ± 7 %. L’échographie 3D temps réel devrait permettre d’affiner cette mesure.
L’amplitude de l’excursion systolique du plan de l’anneau (TAPSE)
Mesuré en TM, cet indice ancien connaît un regain d’intérêt, en raison de sa valeur pronostique retrouvée récemment dans l’HTAP (seuil à 18 mm). À noter que le seuil pronostique dans les cardiopathies gauches est de 14 mm. Une valeur > 25 mm est en faveur d’une fonction systolique VD normale avec une très bonne valeur prédictive négative (VPN).
L’index de performance myocardique ou TEI index
Il traduit la diminution du temps d’éjection VD, l’augmentation du temps de contraction et du temps de relaxation isovolumique. Une valeur > 0,88 à une bonne valeur pronostique dans l’HTAP de type 1 ; une valeur < 0,3 est normale.
Le calcul du dP/Dt sur le flux d’IT est peu employé.
Étude du flux tricuspide antérograde
Qualifier la fonction diastolique VD par cet indice n’est plus réalisé, même si le temps de décélération de l’onde E a été proposé comme pronostic.
L’étude Doppler tissulaire du mouvement annulaire tricuspide
Elle semble intéressante mais n’a pas fait l’objet d’études longitudinales dans l’HTAP précapillaire. On peut en mesurer le pic de vélocité systolique, Sa (N = 15,5 ± 2,6 cm/s, discriminante pour une FEVD < 45 % pour 11,5 cm/s dans une population de défaillance cardiaque gauche, pronostic < 10,8 cm/s), la vélocité protodiastolique (pronostic < 8,9 cm/s), l’accélération durant la contraction isovolumique (pronostic > 2,52 m/s) et la vélocité maximale de cette onde. Ces deux derniers paramètres semblent corrélés aux résistances dans l’HTAP.
La mesure du pic de strain reste confidentielle (valeur seuil de 15 %).
La capacitance vasculaire pulmonaire, indice de travail VD, estimée par le volume d’éjection systolique VG divisé par la pression pulsée pulmonaire, est décrite comme étant un indice pronostique dans une étude récente.
L’aspect hémodynamique
Le flux éjectionnel ventriculaire droit
Nécessitant une technique parfaite afin d’être analysable et reproductible, son analyse permet vraisemblablement d’approcher l’opposition qu’exerce la circulation pulmonaire à l’éjection VD, soit l’impédance. En effet, il contient des informations relatives à la pression moyenne, aux résistances vasculaires pulmonaires, à la compliance de l’arbre artériel, à l’inertie du sang accéléré durant l’éjection. Il permet d’objectiver, semi-quantitativement, la réflexion des ondes pulsées de débit et de pression dans l’AP, résultat de la collision entre onde incidente et onde réfléchie.
Le temps d’accélération (ACT) et le temps de décélération mésosystolique sont reliés à la véritable postcharge VD car ils incluent l’onde réfléchie vasculaire pulmonaire. La durée de contraction augmente avec la charge, le temps d’éjection diminue (norme : TEJ > 300 ms). De façon à s’affranchir de la fréquence, on étudie le rapport ACT/TEJ (N > 0,3). Un aspect d’ACT court (< 100 ms) avec notch mésosystolique est très évocateur d’HTAP précapillaire devant des pressions pulmonaires élevées. Un ACT court à pressions normales est évocateur d’une pathologie aiguë.
Le remplissage ventriculaire gauche
Il est avant tout compromis par la diminution du débit VD : interaction en série. De plus, il est perturbé par l’augmentation du volume diastolique VD : interaction diastolique directe. Le TRIV augmente, l’onde E décroît de même que le temps de décélération, le rapport E/A s’inverse, la VTI mitrale diminue.
Il permet, de façon simple et robuste, de classer une HTAP. En outre, il se révèle utile, reproductible dans le suivi longitudinal et participe, étant débit-dépendant, à la stratification pronostique.
Le Doppler tissulaire à l’anneau mitral, TM couleur et flux veineux pulmonaire, normaux concourent à classer l’HTAP.
• Index d’excentricité > 1
• Temps d’accélération du flux éjectionnel VD court
• Onde E mitrale de faible vélocité avec E < A
Ces trois paramètres simples permettent de façon fiable d’estimer le caractère précapillaire d’une HTAP.
Estimation des pressions pulmonaires
Cette estimation est classiquement réalisée de façon directe par l’obtention de la vélocité de l’IT ou de l’IP ; les pressions pulmonaires augmentent modestement, notamment avec l’âge au repos, de façon plus prononcée à l’effort, notamment du fait de la dépendance entre capillaire et débit après 40 ans. Principale source de confusion dans le diagnostic, elle se révèle peu utile dans le suivi longitudinal. Selon les travaux publiés et les populations étudiées, la corrélation par rapport à la méthode invasive varie entre 0,57 et 0,95, cachant souvent une franche erreur sur l’estimation. L’absence d’IT (ou d’IP) n’élimine pas une HTAP. L’importance de l’IT n’a pas de valeur pronostique.
La vélocité de l’IT et de l’IP (vélocités proto- et télédiastoliques), ainsi que l’estimation des pressions artérielles pulmonaires systolique (PAPs), moyenne (PAPm) et diastolique (PAPd) doivent être mentionnées afin d’éviter une source d’erreur inhérente à l’estimation de la POD.
La PAPs peut être estimée par le flux d’IP (3 PAPm – 2 PAPd) ; la PAPm peut être mesurée soit directement sur l’IP soit sur l’IT (PAPm = 0,6 PAPs + 2), soit sur l’IT et l’IP (PAPm = (PAPs + 2 PAPd) / 3. La vélocité de l’IT a été proposée dans l’algorithme décisionnel d’ItinérAIR sclérodermie et VIH.
La morphologie de l’IP est normale, sans dip, permettant de différencier les tableaux d’adiastolie.
On rappelle qu’un temps d’accélération normal du flux éjectionnel VD (ACT > 100 ms et ACT/TEJ > 0,3) permet quasiment d’éliminer au repos une HTAP, mais les calculs l’utilisant pour l’estimation des pressions sont erronés.
Estimation de la pression auriculaire droite (POD)
Cette estimation a une valeur pronostique essentielle et fait appel au mieux au cathétérisme.
Classiquement estimée sur la taille de la veine cave et de ses variations respiratoires, cette mesure est semi-quantitative. Une VCI de taille et d’amplitude respiratoire normales n’élimine en aucun cas une HTAP et ne permet pas de classer une HTAP éventuelle. Plus récemment, une estimation utilise le flux tricuspide antérograde et la vitesse de déplacement de l’anneau (E/Ea > 6 témoignant d’une POD > 10 mmHg ou POD = 1,7 x E/Ea + 0,8).
Les variations du diamètre de la VCI s’avèrent fondamentales au suivi.
Estimation de l’index cardiaque
Cet indice pronostique est indispensable. Le débit systémique estimé sur le flux aortique selon (S x VTIao) x fc est robuste dans notre expérience, sur de larges populations d’HTAP de type 1 et IV. Le débit par les volumes (Simpson) est d’estimation difficile dans ces populations. Le débit pulmonaire est souvent erroné.
Résistances vasculaires pulmonaires
Elles sont classiquement obtenues, de façon fiable dans notre expérience chez 70 % des patients souffrant d’HTAP précapillaire, en suivant la formule RPT = PAPm/Ic (UI Wood). Par ailleurs, si l’on considère que la vitesse maximale de l’IT est bien corrélée au paramètre (PAPm – Pcap) et que l’ITV du flux éjectionnel VD reflète le débit, le rapport Vmax IT/ITVpulmonaire permet d’approcher les résistances pulmonaires. Un résultat > 0,2 prédit des résistances élevées (> 2 UI Wood). De façon plus exacte : RPT = 10 (Vmax IT/VTI p) + 0,16. Il ne prédit pas le caractère pré- ou postcapillaire. Le simple rapport Vmax IT/VTIp peut être utile au suivi. Notons que les résistances ne décrivent que l’opposition au débit moyen et par conséquent ne décrivent qu’un des éléments de la postcharge. Elles ne reflètent pas nécessairement les modifications mécaniques ou géométriques du lit vasculaire pulmonaire. L’analyse, certes semi-quantitative, directement accessible au Doppler du flux éjectionnel VD est vraisemblablement plus informative.
Échographie d’effort
En cours d’évaluation, l’étude de l’évolution des pressions à l’effort par l’IT souffre d’un manque de standardisation, avec une réflexion face à une norme de 40 mmHg en systole, probablement à nuancer selon l’âge et le palier notamment. Il est parfois difficile d’affirmer le caractère précapillaire, même si une étude propose d’utiliser un rapport E/Ea < 13 comme seuil de discrimination. Il sera probablement nécessaire de compléter par l’étude du flux éjectionnel VD et la quantification du débit à l’effort.
Conclusion
Examen théoriquement de référence pour le dépistage d’une HTAP, l’écho-Doppler souffre encore de sa difficulté au quotidien à affirmer formellement une élévation des pressions pulmonaires et de sa capacité à en discriminer le caractère pré- ou postcapillaire. Les raisons en sont probablement une propension à ne raisonner que sur des pressions, que le cathétérisme quantifie mieux, et un manque de standardisation face à une HTAP, comme le démontre à ce jour l’existence d’une seule étude randomisée, avec lecture centralisée dans cette indication (BREATHE-1, Bosentan Randomized Trial of Endothelin Receptor Antagonist THErapy). Cela plaide pour la réalisation d’études multicentriques, sur des populations homogènes d’HTAP, afin d’affirmer définitivement l’opportunité et la validité des différents paramètres, en incluant les plus récents, dans le dépistage, le suivi ou le pronostic.
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