Publié le 21 fév 2006Lecture 6 min
L'hypertension artérielle avec une insuffisance rénale modérée
M. BEAUFILS, hôpital Tenon, Paris
Prenons le cas d’un patient présentant une insuffisance rénale modérée, définie comme suit.
Observation
Prenons le cas d’un patient présentant une insuffisance rénale modérée, définie comme suit. Il s’agit d’une créatinine plasmatique comprise entre 100 et 200 µmol/l ou, selon l’ANAES, une clairance calculée entre 60 et 30 ml/min. Une clairance plus basse témoignerait d’une insuffisance rénale « sévère », une clairance plus élevée serait de signification douteuse entre 60 et 80 ml/min, et normale au-dessus de 80 ml/min.
Si tant est qu’une ordonnance-type soit une démarche médicale sensée, ce qui est un autre débat, la mienne pour un tel patient serait la suivante.
Ordonnance
• Co-(ARA II + hydrochlorothiazide) sartan : 1 cp par jour.
• Faire pratiquer dans une semaine un dosage de la créatinine (avec calcul de sa clairance) et du potassium.
Néanmoins une telle ordonnance ne saurait être rédigée avant une analyse minimale de la situation néphrologique.
Commentaires
Quelle est la signification de cette insuffisance rénale ?
Elle n’est en aucun cas univoque, et « insuffisance rénale modérée » ne saurait tenir lieu de diagnostic. Cette donnée biologique peut être le témoin de situations pathologiques fort différentes. Pour cette raison, « l’ordonnance-type » ne saurait être un automatisme, ni dispenser d’une recherche étiologique. Le premier terme de celle-ci est une évaluation échographique de la taille des reins, de leur contour et de la liberté des voies excrétrices. Une analyse Doppler des artères rénales, pratiquée dans de bonnes conditions techniques, doit lui être associée.
L’essentiel dans le cas présent est de ne pas méconnaître une sténose artérielle rénale bilatérale ; en effet, dans ce cas, on risque, en inhibant le système rénine-angiotensine, de provoquer une insuffisance rénale aiguë menaçante. De plus, une action spécifique sur les artères rénales permettrait dans ce cas de sauvegarder, voire de normaliser la fonction rénale, tout en facilitant le traitement médical de l’hypertension. L’association hypertension + insuffisance rénale doit donc toujours conduire à lever cette hypothèse. Il sera nécessaire d’être d’autant plus vigilant sur un terrain prédisposé, tel que celui d’un homme âgé de 50 à 65 ans, athéromateux, fumeur…
Une néphropathie parenchymateuse est la seconde hypothèse. Elle peut avoir le tableau urinaire riche des néphropathies glomérulaires, avec protéinurie abondante et/ou hématurie microscopique. À l’inverse, le syndrome urinaire des néphropathies interstitielles est pauvre, mais le contour des reins est souvent irrégulier. Enfin, une hypertension ancienne et mal traitée, peut conduire au tableau de la « néphroangiosclérose » bénigne, avec insuffisance rénale modérée et très lentement progressive, syndrome urinaire pauvre ou absent, et reins diminués de taille de manière homogène et régulière.
Une insuffisance rénale à composante fonctionnelle, dans le cadre par exemple d’une insuffisance cardiaque, peut également être responsable d’un tableau de ce type. Elle ne contre-indique ni l’inhibition du système rénine-angiotensine ni le traitement diurétique tant qu’il n’existe pas de déshydratation extracellulaire ou d’hypovolémie patente.
Pourquoi cette prescription ?
La prescription d’un ARA II (ou d’un IEC) dans cette circonstance est inscrite dans la recommandation de la HAS récemment publiée (www.has-sante.fr ou www.sfhta.org). Ce sont, en effet, ces produits qui protègent le mieux l’hémodynamique rénale comme nous allons le voir. Par ailleurs l’hypertension est le plus souvent difficile à maîtriser chez les patients de ce type, et il est habituel que l’adjonction d’un diurétique s’impose. Comme toujours en matière d’hypertension, le premier choix se porte sur un diurétique thiazidique, qui sera remplacé par un diurétique de l’anse si l’insuffisance rénale est plus sévère.
Un mot de physiologie
La vulnérabilité du rein à l’hypertension n’est pas seulement fonction du niveau de pression artérielle. Il existe normalement une autorégulation, consistant en une vasoconstriction des artérioles afférentes, qui limite la transmission de la pression systémique aux glomérules. Ce phénomène est d’autant plus critique que la fonction rénale est altérée. Il s’agit largement d’un réflexe myogène. Une vasoconstriction des artérioles efférentes (phénomène largement dépendant de l’angiotensine) augmente, elle, la pression intraglomérulaire et exerce donc un effet délétère.
Les ARA II et les IEC respectent l’autorégulation des artérioles afférentes et lèvent la vasoconstriction des artérioles efférentes. Ces produits abaissent donc la pression intraglomérulaire. Ils ont pour cette raison un pouvoir néphroprotecteur, susceptible de ralentir l’évolution des insuffisances rénales, diabétiques ou non diabétiques. À vrai dire, il faut bien admettre que cet effet se manifeste surtout lorsqu’il existe une protéinurie importante et qu’il devient marginal, voire inexistant, dans les insuffisances rénales non protéinuriques. Néanmoins, l’effet global sur l’hémodynamique rénale et la pression intraglomérulaire est optimal.
Les inhibiteurs calciques (surtout les dihydropyridines), au contraire, ont tendance à abolir l’autorégulation des artérioles afférentes et augmentent donc la transmission de la pression systémique à la circulation glomérulaire en cas d’hyperfiltration, comme c’est le cas dans l’insuffisance rénale modérée. Sauf contrôle parfait de cette pression systémique, ils augmentent donc la pression intraglomérulaire. Un effet délétère sur la fonction rénale a été bien montré en expérimentation animale ; il est moins évident en clinique humaine. Il est clair, en revanche, que les inhibiteurs calciques sont sans effet nocif lorsqu’ils sont ajoutés à un traitement inhibiteur du système rénine-angiotensine.
Par conséquent, les inhibiteurs calciques ne sont pas considérés comme un bon traitement de première intention chez l’insuffisant rénal ; en revanche, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient associés à un inhibiteur de système rénine-angiotensine.
Les bêtabloquants sont en général relativement neutres vis-à-vis de la fonction rénale, mais leur usage en traitement de première intention se réduit de plus en plus. Certains doivent être prescrits à posologie réduite en cas d’insuffisance rénale.
La sécurité
La recommandation de la HAS stipule que la créatinine et le potassium doivent être vérifiés dans la semaine qui suit l’instauration d’un traitement par IEC ou ARA II chez ces sujets. Si cette précaution peut paraître un peu extrême dans le cas général, elle est assurément justifiée chez un insuffisant rénal. Une augmentation de la créatinine ne doit pas, ipso facto, faire renoncer à ce traitement. Bakris a bien montré qu’une élévation modérée n’a aucun caractère péjoratif, au contraire même. Une interruption du traitement ne doit être envisagée que si la créatinine s’élève de plus de 30 % ou si apparaît une hyperkaliémie.
Par la suite, ce contrôle doit être renouvelé à un rythme qui dépend du niveau de fonction rénale. La recommandation de l’HAS propose un délai en mois égal à la clairance divisée par 10. Autrement dit, un sujet ayant une clairance de 40 ml/min devrait bénéficier d’un contrôle biologique tous les 4 mois.
En résumé
Une normalisation de la pression artérielle est indispensable en cas d’insuffisance rénale. Une valeur cible de 130/80 mmHg est proposée par toutes les recommandations.
L’ordonnance, ici comme ailleurs, ne doit pas être un automatisme. Une analyse préalable de la situation est indispensable. En l’absence de pathologie vasculaire rénale, le traitement de premier choix est un IEC ou un ARA II, puis si nécessaire un diurétique, et encore, si nécessaire un inhibiteur calcique.
Cette stratégie doit être évitée dans le seul cas où le maintien d’une filtration glomérulaire minimale repose entièrement sur la vasoconstriction des artérioles efférentes face à une pression d’amont basse, c’est-à-dire en cas de sténose artérielle ou de néphropathie ischémique. En effet, dans ce cas, la levée de cette vasoconstriction effondrerait la filtration glomérulaire.
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