Valvulopathies
Publié le 09 fév 2010Lecture 11 min
L'insuffisance mitrale ischémique : de nouvelles modalités d'exploration échographique
E. MESSAS(1), C. SZYMANSKI (1,2), C. TRIBOUILLOY(2), A. HAGEGE(1), 1Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris 2CHU Amiens Sud
L’insuffisance mitrale ischémique (IMI) fonctionnelle est définie comme une régurgitation mitrale sur valve structurellement normale dont le mécanisme est directement lié au remodelage ventriculaire du postinfarctus. Souvent sous-estimée (plus de 20 % des patients), elle constitue un marqueur de mauvais pronostic avec un doublement de la mortalité tardive. L’avènement de nouvelles modalités d’échocardiographie a permis une meilleure précision diagnostique et une amélioration de la compréhension des mécanismes physiopathologiques de cette fuite. Si l’écho-2D permet le diagnostic positif et la quantification de la fuite mitrale, le développement de nouvelles technologies 3D a révolutionné la compréhension des mécanismes de cette fuite remettant en cause le principe même de « fuite sur valve normale ». Le nouvel intérêt de l’écho de stress (effort sur bicyclette inclinée) dans l’évaluation des valvulopathies a permis, dans le cas de l’IMI, d’identifier un sous-groupe à haut risque de complications cardiovasculaires nécessitant une surveillance rapprochée. Ainsi, grâce à ses différentes modalités échographiques, l’IMI peut être mieux comprise et quantifiée permettant ainsi d’assurer une meilleure prise en charge clinique.
La détection d’une insuffisance mitrale ischémique (IMI) doit être un des buts des praticiens ayant en charge le suivi chronique des patients en postinfarctus (IDM). Un des symptômes recherché sera la présence d’une dyspnée d’effort non expliquée par l’extension de l’ischémie myocardique. Or, cette fuite est rarement audible à l’auscultation car elle est souvent initialement modérée et associée à un bas débit cardiaque secondaire à la dysfonction VG post-IDM. Dans ce contexte, la recherche et l’évaluation de cette fuite par échocardiographie 2D est donc indispensable. Le développement de l’écho 3D a permis d’expliquer le caractère central du remodelage VG dans la genèse de cette fuite longtemps attribuée à la dysfonction de pilier (figure 1). Si les études convergent pour considérer l’IMI comme facteur de mauvais pronostic, les différentes études menées par écho de stress ont permis de mieux évaluer l’impact de cette fuite sur le devenir de ces patients.
Figure 1. Mécanismes physiopathologiques de l’IMI. Gauche : Coaptation normale avec position normale des piliers et équilibre entre les forces de traction (distance pilier-anneau mitral) et les forces de fermeture (pression VG systolique). Droite : Aspect de « fermeture incomplète des feuillets mitraux en systole » secondaire au remodelage ventriculaire gauche post-infarctus qui déplace les piliers loin de l’anneau mitral, entraînant une traction apicale des feuillets mitraux. VG = Ventricule Gauche, IM = Insuffisance Mitrale, OG = Oreillette Gauche, AO = Aorte.
Échocardiographie tridimensionnelle
L’écho 3D a permis une avancée déterminante dans la compréhension physiopathologique de cette fuite en remettant en cause trois dogmes qui ont longtemps circulé dans la littérature :
Depuis sa première description par Burch et De Pasquale en 1963, l’IMI a été rattachée à la dysfonction des piliers mitraux qui, en modifiant la position géométrique du point d’ancrage valvulaire, entraînerait la fuite(1). Ce concept était déjà remis en cause par des études expérimentales princeps démontrant que la dysfonction isolée d’un pilier mitral (par injection d’alcool) n’entraîne jamais de fuite mitrale (Tsakiris, 1970). Dans une étude expérimentale personnelle récente utilisant l’échocardiographie tridimensionnelle pour localiser spatialement sur les trois dimensions les piliers mitraux, on a pu démontrer qu’en cas d’infarctus postéro-latéral isolé avec fuite mitrale ischémique, l’adjonction d’une dysfonction de pilier en ligaturant une deuxième marginale n’aggrave pas la fuite mais la corrige par diminution des forces de tractions exercées sur le feuillets mitraux. En effet, le pilier ischémique s’allonge et se rapproche donc du plan de l’anneau mitral (figure 2).
Figure 2. Progression parallèle de l’IM ischémique et de la distance 3D pilier – anneau mitral [d’après(2)].
Cette étude a permis de comprendre que ce n’est pas la dysfonction de pilier qui est en jeu dans l’IMI mais plutôt le déplacement des piliers et leurs positions tridimensionnelles relatives à l’anneau mitral.
Des études expérimentales récentes in vitro réalisées sur banc hydraulique dans le laboratoire de Yoganathan à Atlanta ont pu démontrer qu’une dilatation isolée de l’anneau mitral ne produisait une fuite qu’après une dilatation de plus de 70 % de sa surface alors qu’associée à un déplacement de pilier, une augmentation de 30 % était suffisante. L’équipe de Levine (Boston) a étudié ce concept en favorisant une approche expérimentale car, en pratique clinique, il est impossible de séparer la dysfonction ventriculaire de la dilatation cavitaire post-IDM. Dans un modèle animal d’IM ischémique chronique, la fuite mitrale apparaît progressivement (8 semaines) avec le remodelage du ventricule gauche, alors que la fraction d’éjection reste constante. Sur ce même modèle, une étude par échographie tridimensionnelle démontre que la progression de la fuite mitrale est parallèle au déplacement des piliers mitraux à distance de l’anneau. En analyse multivariée, la distance pilier-anneau mitral est la plus fortement corrélée au développement de la fuite mitrale alors que l’augmentation de surface de l’anneau mitral n’est pas corrélée à la progression de la fuite(2,3).
« L’IMI survient sur feuillets mitraux normaux non modifiés par le processus ischémique. »
L’hypothèse physiopathologique de l’IM ischémique est qu’elle serait le résultat d’un déséquilibre entre les forces agissant sur les feuillets mitraux en systole : augmentation des forces de traction avec restriction des mouvements des feuillets mitraux causée par les modifications de position des piliers, diminution des forces ventriculaires gauches permettant de fermer la valve mitrale (dysfonction VG) (figure 1).
Ce concept prend comme prérequis une surface des feuillets mitraux normale et constante aux cours du cycle cardiaque. Or, grâce à une nouvelle technologie 3D développée par Marc Handschumacher dans le laboratoire d’échocardiographie de Robert Levine, on peut évaluer la surface 3D feuillets mitraux en systole et en diastole (en l’absence de stretch mécanique). Dans une étude récente utilisant ce type de logiciel, on a observé une augmentation de la surface des feuillets de 35 % chez des patients avec fuite mitrale ischémique vs patients avec dysfonction VG sans fuite vs sujets normaux. Cette observation souligne le rôle potentiel de l’adaptation de la surface des feuillets dans la genèse de cette fuite. Des modèles expérimentaux sont en cours d’élaboration afin de mieux comprendre l’implication mécanistique et thérapeutique de cette observation.
Échocardiographie bidimensionnelle
L’écho 2D de repos permet de faire le diagnostic et de quantifier la fuite.
En écho 2D coupe parasternale grand axe, on retrouve l’aspect typique en « aile de mouette » ou seagul sign du feuillet antérieur, témoignant de l’augmentation des forces de traction conduisant à une diminution de la surface de coaptation. La surface de tenting est corrélée à l’importance de la fuite mitrale (figure 3). Cette coupe permet aussi d’évaluer la dilatation annulaire qui prédomine sur le diamètre antéro-postérieur de l’anneau mitral lui donnant un aspect sphérique et contrastant avec sa forme ovoïde physiologique.
Figure 3. Vue parasternale gauche grand axe d’un patient avec IMI. Gauche : Surface de traction apicale avec aspect typique en « aile de mouette » avec angulation de la partie moyenne (flèche blanche) du feuillet antérieur donnant un aspect convexe vers le ventricule gauche. Droite : Vue 2D couplée au Doppler couleur avec fuite mitrale modérée à moyenne tapissant le versant auriculaire du feuillet postérieur.
En coupe apicale 4 cavités, on retrouve ce même aspect avec une restriction du mouvement des feuillets mitraux en systole (type IIIb de la classification fonctionnelle de Carpentier)(4).
L’équipe de la Mayo Clinic(5) a démontré, chez des patients avec cardiopathie ischémique, que la surface de tenting était fortement corrélée à l’importance de la fuite et constitue, en analyse multivariée, le plus puissant paramètre prédictif de la sévérité de l’IM.
Cette étude humaine confirme ainsi l’importance du remodelage ventriculaire dans la genèse de l’IMI. Cependant, l’évaluation de la surface de tenting est discutée à plusieurs titres :
- En vue 4 cavités, la surface de tenting peut être minimisée par le plan de coupe utilisé.
- La forme de l’anneau mitral en selle de cheval(6) (dont les insertions hautes sont antérieure et postérieure : anneau aortique - mur postérieur ventriculaire ; et les insertions basses médiane et latérale : axe inter-commissural) rend sa relation avec les feuillets variable en fonction du niveau de passage du plan de coupe.
Ainsi, la surface de tenting peut être de petite taille (< 1 cm2) avec des feuillets presque en contact avec l’anneau mitral malgré une fuite mitrale importante. A contrario, un faux aspect de tenting des feuillets peut être observé dans cette même vue chez des sujets normaux, en début et en fin de systole. Néanmoins, en grand axe, le feuillet mitral antérieur apparaît concave vers l’oreillette gauche en cas de fuite mitrale fonctionnelle alors que chez le sujet normal, on retrouve un aspect convexe(4) (figure 4).
Figure 4. Modifications géométriques de l’appareil valvulaire mitral en grand axe. À gauche : le feuillet mitral antérieur apparaît convexe vers l’oreillette gauche, concave vers le ventricule gauche, sans surface de tenting (surface négative), en situation normale. À droite : le feuillet mitral antérieur apparaît concave vers l’oreillette gauche, convexe vers le ventricule gauche, à l’origine d’une surface de « tenting » (surface positive), en cas de fuite mitrale fonctionnelle [d’après(4)].
Cet aspect reflète la modification de la géométrie de l’anatomie de l’appareil valvulaire mitral. Avec le déplacement (latéral et postérieur) des piliers, la traction des cordages s’exerce au niveau de l’extrémité des feuillets par l’intermédiaire des cordages marginaux mais aussi au niveau de l’insertion annulaire des feuillets par l’intermédiaire des cordages basaux créant ainsi une angulation du corps du feuillet antérieur. L’aspect concave vers l’oreillette gauche du feuillet antérieur traduit directement l’excès de traction apicale et la limitation des mouvements des feuillets, entraînant un défaut de coaptation et une fuite mitrale. Cet aspect facilite le diagnostic du mécanisme de la fuite et pourrait guider la technique de réparation valvulaire.
Les patients avec feuillet mitral antérieur concave présentent une fuite mitrale moyenne ou modérée alors que plus de 90 % des patients avec feuillet mitral antérieur convexe vers l’oreillette gauche ont une fuite mitrale non significative ou minime. La surface de tenting ne permet pas de distinguer les patients avec ou sans fuite mitrale et n’est que faiblement corrélée à l’importance de la fuite. L’aspect concave du feuillet mitral antérieur est le facteur prédictif le plus puissant de la présence d’une fuite mitrale. Ainsi, un aspect concave du feuillet antérieur vers l’oreillette gauche en grand axe permet d’identifier rapidement le mécanisme d’une fuite mitrale secondaire à une dysfonction VG globale ou segmentaire. Cet aspect du feuillet semble plus fortement corrélé à la présence de la fuite que la surface de tenting. La visualisation à l’échographie d’un tel aspect doit faire rechercher un trouble de la cinétique segmentaire responsable de cette déformation(7).
Une étude rétrospective a été réalisée sur 80 patients avec fuite mitrale fonctionnelle (40 avec infarctus inférieur et FE > 50 %, 40 avec dysfonction VG globale et FE < 50 % avec et sans fuite mitrale) comparés à 10 patients normaux témoins(4). Les patients avec concavité du feuillet antérieur (n = 37) ont une fuite mitrale significativement plus importante que ceux ne présentant pas cet aspect, quelle que soit la cardiopathie en cause (ischémique ou dilatée).
Magne et coll. ont démontré que la mesure de l’angle d’inclinaison du feuillet postérieur relative à l’anneau mitral (figure 5) apparaît comme un puissant facteur prédictif à 3 ans de persistance de fuite mitrale après annuloplastie mitrale sous-dimensionnée chez les patients avec IM ischémique(9). L’augmentation de cet angle correspondait à une restriction accrue du feuillet postérieur et à une aggravation de la fuite.
Figure 5. Méthode de quantification de l’angle d’inclinaison valvulaire postérieur [d’après(9)].
En fonction de la distribution des forces de tractions sur les feuillets mitraux, on peut retrouver différents types de fuite mitrale fonctionnelle. Agricola et coll. ont ainsi distingué deux types de localisation de fuite mitrale fonctionnelle : la forme asymétrique se rencontre en cas de remodelage régional de la paroi inférieure (impliquant dans ce cas préférentiellement l’artère coronaire droite) à l’origine d’une traction et d’une restriction prédominant sur le feuillet postérieur(8). Le jet de régurgitation est excentrique, tapissant la face postérieure de l’oreillette. La forme symétrique se rencontre essentiellement en cas de remodelage global tel que celui des cardiomyopathies dilatées avec sphéricisation ventriculaire. Cette forme touche volontiers les deux piliers, à l’origine d’une traction apicale et d’une restriction des mouvements des deux feuillets. Le jet d’IM apparaît central (figure 6).
Figure 6. Direction du jet de fuite mitrale en fonction du type de remodelage VG = Ventricule Gauche, OG = Oreillette Gauche, AO = Aorte [d’après(8)].
La quantification de l’IMI repose essentiellement sur la méthode de la zone de convergence (PISA) en Doppler couleur. On sait, que chez ces patients la morbi-mortalité cardiovasculaire est augmentée dès que la surface de l’orifice régurgitant au repos excède 20 mm? et que le volume régurgité par battement est > 30 ml. Cette quantification est rendue plus complexe en raison de la variabilité de la sévérité de la fuite mitrale en fonction du traitement médical et des conditions de charge. Ainsi, Hung et al. ont démontré que le rayon de la PISA pouvait varier au cours du cycle cardiaque avec un maximum en proto et télésystole et un nadir en mésosystole là ou les forces de fermeture sont les plus grandes (Vmax de l’IM correspondant au gradient transmitral mésosystolique). C’est pour cette raison, que l’on préconise de faire une moyenne des trois valeurs de rayon de la PISA (proto-, méso- et télésystolique) avant de calculer la surface de l’orifice régurgitant (figure 7). D’autres équipes utilisent le diamètre de la vena contracta en grand axe mais on connaît les difficultés de reproductibilité de ce type de calcul.
Figure 7. Evolution du rayon de la PISA, de la SOR au moment de la systole [d’après(10)].
Échocardiographie de stress
Les variations du degré d’IMI lors de l’exercice ou dans les efforts de la vie courante sont mal prédites par le degré d’IMI au repos. Ainsi, au delà du problème de la récidive ischémique, les patients avec cardiopathie ischémique et IMI qui s’aggravent lors de l’écho d’effort ont un plus mauvais pronostic à long terme(11). En cas de dysfonction de VG et de fuite mitrale, la présence d’une aggravation de cette fuite lors de l’échocardiographie d’effort favorise la survenue d’OAP.
L’équipe de Liège a montré que les patients présentant une augmentation de la surface de l’orifice régurgitant (SOR) ≥ 13 mm2 ont un risque de mortalité à 4 ans, cinq fois supérieur, indépendamment du degré d’IMI de repos(13).
Cette augmentation de la sévérité de l’IM est plus fréquente chez les patients qui interrompent le test pour dyspnée que pour fatigue(14). De plus, dans cette étude la majoration de la SOR ≥ 13 mm2 constitue le facteur prédictif le plus puissant de survenue de décès, de décompensations cardiaques et d’événements cardiovasculaires à distance(15). Dans d’autres cas, certains patients présentent une diminution de la fuite à l’effort. Ils sont caractérisés par la présence d’une réserve contractile des segments postéro-basaux dans un contexte d’antécédent d’infarctus inférieur non transmural. Cette récupération de réserve contractile est associée à un meilleur pronostic.
En pratique
L’échocardiographie, par ses trois modalités (écho 3D, 2D et de stress) permet une meilleure approche physiopathologique, phénotypique et pronostique de la fuite mitrale ischémique.
Cette description précise du mécanisme de la fuite a permis de proposer de nouvelles techniques de réparation mitrale comme la section des cordages ou de nouveaux designs de prothèses annulaires mitrales qui, on l’espère, permettront d’améliorer le pronostic de ces patients.
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