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Explorations-Imagerie

Publié le 06 avr 2010Lecture 7 min

À l'origine : Framingham

F. DIEVART, Dunkerque

Il a fallu plus de 20 ans pour que l’idée d’une étude épidémiologique d’une conception particulière qu’avait eue un médecin écossais, puisse enfin être réalisée, dans la région de Boston aux États-Unis. Et il aura ensuite fallu moins de 20 ans pour que, de cette étude, naisse la cardiologie actuelle.

Transition épidémiologique et hypothèses À la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle a eu lieu, dans les pays les plus industrialisés, ce qui est dénommée la transition épidémiologique (encadré). Ce terme rend compte que les courbes des causes relatives des décès dans une population se sont croisées. Ainsi, en quelques années, les morts par maladie infectieuse, qui étaient les premières causes de décès, sont devenues progressivement une cause mineure de décès et des maladies alors dénommées dégénératives (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux et cancers) sont devenues les premières causes de décès. L’origine de ces maladies dégénératives n’était pas connue et faisait l’objet d’hypothèses assez diverses. Des médecins avaient alors remarqué que, chez des patients ayant une maladie rénale ou cardiaque, la pression artérielle était plus élevée que chez ceux n’ayant pas ces maladies. Cette observation a généré trois grandes hypothèses : - l’élévation de la pression artérielle est un mécanisme d’adaptation à la maladie. En d’autres termes, sa finalité est d’assurer un débit de perfusion suffisant à l’organe malade. Il faut donc ne pas diminuer la pression artérielle, voire l’augmenter chez certains patients ; - l’élévation de la pression artérielle est la cause de la maladie. En d’autres termes elle est préexistante à la maladie. Il faut donc diminuer la pression artérielle afin de prévenir les maladies cardiaques et rénales ; - l’élévation de la pression artérielle est une conséquence de la maladie, un facteur associé, sans lien de cause à effet. Mettre en évidence une élévation de pression artérielle doit donc aider au diagnostic d’une maladie cardiaque ou rénale ; elle est donc un marqueur de la maladie. La transition épidémiologique La transition épidémiologique ou transition sanitaire définit une période pendant laquelle une diminution de mortalité accompagne une transition démographique. Elle s’accompagne d’une amélioration de l’hygiène, de l’alimentation et de l’organisation des services de santé et d’une transformation des causes de décès. Les maladies infectieuses diminuent progressivement comme cause principale des décès et les maladies chroniques et dégénératives (cancers et maladies cardiovasculaires) ainsi que les accidents deviennent les principales causes de décès (figures 1 et 2). Figure 1. Le modèle de la transition démographique. Figure 2. Transition épidémiologique. Exemple récent de la Corée du Sud : entre 1960 et 1980, il y a eu une inversion complète des causes relatives de décès. Avant 1960, les causes dominantes étaient les maladies infectieuses et respiratoires. Depuis 1980, la cause dominante est devenue les maladies cardiovasculaires. La difficile naissance de l’étude de Framingham Au début des années 20, John Mackenzie, précurseur d’une nouvelle méthode d’épidémiologie causale, élabora un protocole d’étude clinique qu’il comptait entreprendre en écosse. Il s’agissait d’une étude prospective de population où divers paramètres seraient enregistrés au début d’une période d’observation. Les patients recrutés seraient suivis régulièrement et l’outil statistique évaluerait les liens potentiels entre le pronostic et les éléments pris en compte au départ. Il s’agissait d’une étude de corrélation de variables. MacKenzie décéda en 1925 avant d’avoir pu mettre en œuvre son projet. Un de ses élèves, Paul Dudley White, émigra peu après à Boston et emporta avec lui ces idées avec l’intention de les mettre en application aux états-Unis. L’entreprise fut retardée par la seconde guerre mondiale qui mobilisa alors les énergies et les crédits. Et ce n’est qu’après la guerre que l’étude put être entreprise avec le soutien logistique et financier de l’Institut national de la santé (NIH) et du Congrès américain. Dans ce contexte, c’est à Boston, avec comme chef de projet Thomas Dawber, que fut élaboré le protocole de l’étude. Son objectif était d’évaluer les différences potentielles entre les sujets qui auront une maladie cardiovasculaire et ceux qui en resteront indemnes, afin de détecter d’éventuels facteurs favorisants dans un domaine où il n’existait aucune donnée fiable. Ce projet avait plusieurs caractéristiques. Une association de compétences intellectuelles, logistiques et financières a permis de le mener à bien. Sa caractéristique principale était d’évaluer des patients par une méthode qui permettrait d’avoir la certitude que les éventuels facteurs favorisants de la maladie seraient bien antérieurs au développement de celle-ci. La méthode de travail reposait sur la possibilité d’enrôler dans une population urbaine, un échantillon d’hommes et de femmes âgés de 30 à 59 ans, représentatifs et volontaires, initialement indemnes de maladie cardiovasculaire : - la sélection serait faite à partir des registres administratifs d’une ville moyenne. L’ambition était d’enrôler les deux tiers de la population correspondant aux critères d’inclusion ; - les patients devraient accepter d’effectuer tous les 2 ans une visite médicale avec des prélèvements sanguins et ce, pendant au minimum 20 ans. Il convenait donc de trouver une ville pouvant se prêter à cette expérimentation d’un type nouveau. Les paramètres pris en compte pour choisir cette ville furent les suivants : - une ville et non un village : les registres indiquaient que les maladies cardiovasculaires semblaient toucher essentiellement des populations urbaines ; - une ville près de Boston : l’essentiel de la logistique étant coordonné par des chercheurs de Boston, il était intéressant d’effectuer un travail dans un endroit proche ; - une ville dont la population était peu mobile : il était aussi nécessaire que la population choisie ait une relative stabilité géographique afin d’assurer un suivi correct. La ville de Framingham répondait à la plupart de ces critères : une ville moyenne, située entre Boston et New York. Sa population, relativement sédentaire, croît régulièrement mais lentement. Elle était de 28 000 habitants en 1948, elle dépassa les 50 000 habitants en 1998. Cette ville est caractérisée par une mise à jour annuelle de ses registres d’état civil et est desservie par un hôpital unique, utilisé par la majorité des habitants, éléments favorisants le suivi. Après l’installation d’une équipe de travail dans un dispensaire de la ville et l’information de la population, le premier des 5 209 patients constituant la cohorte initiale (tableau 1), fut enrôlé en septembre 1948. Les données analysées furent recueillies par questionnaire (âge, tabagisme, antécédents familiaux), examen clinique (poids, taille, index de masse corporelle, pression artérielle) et examens complémentaires (ECG, radiographie thoracique), notamment de laboratoire (cholestérolémie, triglycéridémie, glycémie). Framingham : une révolution dans l’abord des maladies cardiovasculaires Au fil de 2 000 publications qui débuteront en 1951 (par la publication du protocole), cette étude va décrire l’histoire naturelle de plusieurs maladies cardiovasculaires, établir des corrélations entre plusieurs paramètres et la survenue de ces maladies à l’origine du concept épidémiologique de facteur de risque cardiovasculaire. Les principales et premières dates concernant les découvertes faites par cette étude sont les suivantes : - 1959 : rapport sur la fréquence des infarctus silencieux dans une population générale ; - 1960 : mise en évidence de la relation entre tabagisme et infarctus du myocarde ; - 1961 : mise en évidence de la relation entre cholestérolémie, pression artérielle, anomalies de l’électrocardiogramme et infarctus du myocarde ; - 1967 : mise en évidence de la relation entre inactivité physique, obésité et infarctus du myocarde ; - 1970 : mise en évidence de la relation entre pression artérielle et risque d’AVC ; - 1988 : mise en évidence de la relation entre hypocholestérolémie HDL et infarctus du myocarde… Framingham : les extensions À partir de la fin des années 1970, des algorithmes de prédiction du risque vont être élaborés. En 2010, plusieurs algorithmes de prédiction sont disponibles issus des résultats de cette étude : prédiction du risque coronarien (à 2 ans et à 10 ans), prédiction du risque cardiovasculaire global, prédiction du risque de fibrillation auriculaire, prédiction du risque d’insuffisance cardiaque, prédiction du risque de claudication intermittente, prédiction du risque d’AVC, prédiction du risque d’AVC après fibrillation auriculaire… L’étude a permis d’évaluer l’héritabilité des marqueurs de risque et des maladies cardiovasculaires en incluant progressivement les descendants des patients de la cohorte initiale. Ainsi, en 1976, c’est la deuxième génération, constituée de 5 124 sujets qui sera enrôlée dans l’étude, et en 2002, la troisième génération constituée de 4 095 sujets qui sera enrôlée. L’étude s’est aussi agrandie dans les années 1990-2000. En 2010, elle comprend six cohortes : les trois principales, une cohorte de conjoints (103 sujets enrôlés de 2003 à 2005 ), une cohorte dite OMNI constituée de 506 sujets arrivés progressivement à Framingham et enrôlés en 1994, représentant divers groupes ethniques (Noirs, Asiatiques, Hispaniques, etc.) et enfin une cohorte de 600 sujets ayant accepté à partir de 1997, que soit pratiquée une analyse de leur tissu cérébral à leur décès pour l’étude de la maladie d’Alzheimer, du processus de vieillissement… Les constatations faites dans l’étude de Framingham vont conduire à réaliser plusieurs études de même type dans d’autres populations afin d’évaluer la concordance des résultats au sein de diverses populations. Framingham : les implications La révolution apportée par l’étude de Framingham, dont les données ont été confirmées depuis par de nombreuses autres études, est d’avoir démontré qu’il existe des paramètres corrélés au risque de maladie cardiovasculaire. Les conséquences intellectuelles et pratiques ont été majeures : les maladies cardiovasculaires ont donc des causes et il est possible de prédire le risque de maladie cardiovasculaire. À l’issue des premiers résultats de l’étude de Framingham, il fallait donc évaluer si un moyen agissant sur une des causes identifiées pouvait réduire le risque de maladie cardiovasculaire. Et, dans l’affirmative, il pouvait devenir possible de prévenir les maladies cardiovasculaires. En pratique C’est toute l’histoire et la pratique de la cardiologie des cinquante dernières années qui ont découlé des découvertes faites à Framingham.

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