publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Thérapeutique

Publié le 29 juin 2010Lecture 8 min

Place des bêtabloquants en périopératoire

E. MARRET, Hôpital Tenon, Paris

Les bêtabloquants diminuent le risque d’infarctus du myocarde périopératoire chez les patients à risque et opérés d’une chirurgie non cardiaque. Une introduction des bêtabloquants juste avant une chirurgie augmente le risque d’hypotension et de bradycardie périopératoire ainsi que celui d’accident vasculaire cérébral. Une introduction des bêtabloquants plusieurs semaines avant la chirurgie et à dose titrée apparaît comme une attitude plus raisonnable. Le bisoprolol semble être la molécule de choix pour prévenir les complications cardiaques périopératoires chez les patients à risque. L’objectif est d’obtenir une fréquence au repos entre 50 et 70 bpm.

Les complications cardiaques après une chirurgie non cardiaque ont de nombreuses causes mais elles sont principalement secondaires au stress lié à la chirurgie qui est responsable d’une augmentation du travail myocardique. Les bêtabloquants ont pour objectif d’améliorer la balance entre les apports et la consommation en oxygène du myocarde, principalement en diminuant la fréquence cardiaque. Dans ce contexte, un arrêt des bêtabloquants avant une chirurgie majore le risque de complications cardiaques. En revanche, l’administration des bêtabloquants en périopératoire, en diminuant le risque d’ischémie myocardique, paraît justifiée.   Des résultats initialement très encourageants Les premières études, publiées dans le New England Journal of Medicine, sur l’intérêt des bêtabloquants pour diminuer les complications cardiaques ischémiques après une chirurgie non cardiaque avaient montré des résultats très encourageants. En 1996, D. Mangano et coll. ont publié les résultats de 200 patients présentant des facteurs de risque cliniques de complications cardiaques périopératoires(1). Ces patients ont reçu de l’aténolol intraveineux en préopératoire, à dose titrée en fonction de la fréquence cardiaque (objectif entre 55 et 65 bpm). Cette étude n’a pas montré de différence significative sur la morbi-mortalité intrahospitalière. Cependant, une diminution significative des complications à distance a été observée, soit à 6 mois, 12 mois et 24 mois, en faveur du traitement par bêtabloquants. La deuxième étude a été publiée par D. Poldermans et coll. en 1999[2]. Les auteurs ont sélectionné, parmi une population de 1 351 patients programmés pour une chirurgie vasculaire, 112 patients qui présentaient des critères d’ischémie myocardique lors d’un examen de stress myocardique (échocardiographie à la dobutamine). Les patients du groupe bêtabloquant ont bénéficié d’un traitement par bisoprolol per os, administré plusieurs semaines avant la chirurgie avec un objectif de fréquence cardiaque < 60 bpm en préopératoire. Cette étude a montré une diminution significative de la morbi-mortalité périopératoire extrêmement importante, puisque celle-ci était diminuée par un facteur 10 (de 34 % à 3,4 %). Ce résultat très important s’expliquait par la sélection d’une population qui présentait un risque cardiaque périopératoire majeur (morbi-mortalité de 34 % dans le groupe placebo), et qui était donc susceptible de bénéficier fortement d’un traitement cardioprotecteur, puisque la plupart de ces patients auraient dû être traités par des bêtabloquants, indépendamment de l’intervention chirurgicale. Ces études ont été critiquées ultérieurement, car elles comportaient plusieurs biais. Dans l’étude de Mangano et coll., la morbi-mortalité intrahospitalière n’était pas incluse dans l’analyse finale. De plus, dans cette étude, les bêtabloquants prescrits au long cours ont été arrêtés pour inclure les patients, ce qui a pu expliquer une aggravation de la symptomatologie dans le groupe placebo liée à un syndrome de sevrage. Au sein du groupe contrôle, 32 % des patients étaient diabétiques et le nombre de patients ayant des antécédents cardiovasculaires était aussi plus important. Dans l’étude de D. Poldermans et coll., seulement 8 % des patients sélectionnés initialement éligibles sur des critères cliniques ont été inclus. Cette étude n’a pas été réalisée en double aveugle et n’a pas été menée à son terme en raison des résultats intermédiaires très en faveur des bêtabloquants (diminution du risque de 90 %), ce qui ne permettait pas éthiquement de poursuivre l’étude. Finalement, ces deux études comportaient un effectif restreint et avaient été réalisées en monocentrique. Les bêtabloquants devaient donc passer par l’évaluation d’études de grande envergure avant de généraliser leur utilisation en périopératoire.   Des études de grande taille aux résultats divergents Plusieurs études multicentriques incluant un nombre important de patients ont été réalisées dans le but de confirmer les résultats. L’étude DIPOM (Diabetic Post Operative Mortality and Morbidity) a inclus 921 patients diabétiques, randomisés pour prendre ou non du métoprolol, administré de J-1 à J7(3). Cette étude n’a pas montré de différence de morbi-mortalité d’origine cardiaque à court et à long termes chez ces patients diabétiques, mais elle a objectivé une augmentation du risque d’hypotension et de bradycardie. L’étude MaVS (Metoprolol after Vascular Surgery) concernait des patients de chirurgie vasculaire(4). Il s’agissait d’une étude contrôlée en double aveugle qui a évalué l’effet du métoprolol chez 997 patients. Il n’a pas été retrouvé de différence de morbi-mortalité entre les deux groupes. Les auteurs ont cependant observé davantage d’épisodes d’hypotension et de bradycardie dans le groupe métoprolol. L’étude POBBLE (Perioperative Beta-Blockade) concernait des patients à bas risque de complications après chirurgie vasculaire(5). Cent patients ont été randomisés avec ou sans métoprolol et il n’a pas été mis en évidence de différence de morbi-mortalité, mais un surcroît d’effets indésirables liés à l’utilisation du métroprolol. À la différence des études publiées par Managano et Poldermans, ces trois derniers essais (DIPOM, MaVS, POBBLE) utilisaient le métroprolol, bêtabloquant qui possède une demi-vie courte et qui peut donc entraîner un effet rebond avec une dose fixe non titrée sur la fréquence cardiaque. De plus, elles montraient que l’administration de bêtabloquant, débuté le jour de la chirurgie, a des répercussions significatives en termes d’hémodynamique. In fine, ces études n’ont pas montré de bénéfice à utiliser les bêtabloquants mais que les bêtabloquants ne sont pas dénués d’effets secondaires. L’étude POISE (Perioperative Ischemic Evaluation) est la plus grande étude randomisée ayant évalué l’intérêt des bêtabloquants en périopératoire en ayant inclus plus de 8 000 patients(6). Les critères d’inclusion étaient assez larges et les patients étaient randomisés en deux groupes pour recevoir, soit du métoprolol (100 mg débuté 2 à 4 h avant l’intervention chirurgicale et poursuivi à dose fixe de 200 mg, non titrée en fonction de la fréquence cardiaque, jusqu’à 30 jours après la chirurgie), soit un placebo. Cet essai a montré l’efficacité des bêtabloquants pour diminuer le risque d’infarctus du myocarde périopératoire (RR = 0,73 [IC95 % : 0,60-0,89] ; p = 0,0017) mais au prix d’une augmentation de la mortalité postopératoire (RR = 1,3 [IC : 0,9–1,8]), mortalité principalement en rapport avec des complications non cardiaques, et du risque d’accident vasculaire cérébral (RR = 2,2 [IC : 1,2-3,7]). Une hypotension artérielle est survenue plus fréquemment dans le groupe bêtabloquant, ainsi que chez les patients ayant présenté un AVC ou chez les patients décédés. Plusieurs commentaires ont cependant été apportés : la relation entre AVC et bêtabloquant n’est pas nouvelle, aucune information sur la prise en charge périopératoire de ces hypotensions n’apparaîit dans les résultats de l’étude et la posologie de bêtabloquants n’était pas titrée mais donnée à une posologie fixe. L’augmentation de l’incidence des hypotensions et des bradycardies suggère clairement un surdosage si la posologie n’est pas adaptée ou si les bêtabloquants sont débutés au moment de la chirurgie. Une adaptation individuelle de la posologie du bêtabloquant, réalisée en dehors de la période périopératoire, semble ainsi nécessaire. De plus, les bêtabloquants ne doivent pas être considérés comme strictement équivalents et n’ont pas les mêmes caractéristiques pharmacologiques. Des arguments en faveur d’une administration des bêtabloquants en préopératoire et titrée chez les patients à risque intermédiaire de complications cardiaques périopératoires ont été apportés par l’étude DECREASE IV publié en 2009. Cet essai randomisé et contrôlé a évalué le bénéfice du bisoprolol (et d’une statine dans le cadre d’un essai plan factoriel 2 x 2) débuté à distance d’une chirurgie non cardiaque chez des patients âgés de plus de 40 ans avec au moins un facteur de risque de complications cardiaques périopératoires (antécédents de coronaropathie, d’AVC, de diabète ou présence d’une insuffisance rénale). Le traitement était débuté idéalement 4 semaines avant l’acte chirurgical à la posologie de 2,5 mg par jour, dose augmentée par palier de 1,25 à 2,5 mg pour obtenir une fréquence cardiaque entre 50 et 70 bpm. La posologie était réadaptée en cas de survenue d’une bradycardie, d’une hypotension ou de tout autre événement suggérant un surdosage en bêtabloquant. Sur les 1 066 patients inclus, 11 patients sur les 533 ayant reçu du bisoprolol ont présenté un infarctus de myocarde ou sont décédés d’une cause cardiaque versus 32 dans le groupe ne recevant pas de bêtabloquant (RR = 0,34 [IC95 %: 0,17 - 0,67] ; p = 0,002). Aucune différence significative n’a été observée en termes d’hypotensions, d’AVC ou de mortalité périopératoire entre les différents groupes. Le bisoprolol à dose titrée semble ainsi actuellement le meilleur choix pour prévenir les complications cardiaques périopératoires chez les patients à risque.   En pratique   L’ischémie myocardique et les infarctus du myocarde périopératoires ne sont plus une fatalité et les bêtabloquants ont démontré leur efficacité pour diminuer ces complications cardiaques. Les dernières recommandations de l’ESC estiment ainsi qu’une large population chirurgicale pourrait bénéficier de ce traitement (tableau 1). Cependant, leur introduction, juste avant l’acte chirurgical, est associée à une augmentation du risque d’autres complications graves (AVC notamment) justifiant une prescription dans une population ciblée et adaptée au patient. Pour bénéficier pleinement de leur intérêt, les bêtabloquants doivent donc être utilisés dans des populations à risque en tenant compte à la fois du risque lié à la chirurgie et du risque lié au patient (score de Lee (tableau 2)). Les malades opérés d’une chirurgie à risque intermédiaire ou majeur et avec un score de Lee > 1 paraissent bénéficier d’une introduction périopératoire des bêtabloquants si ceux-ci ne sont pas déjà prescrits au long cours. Le bisoprolol apparaît actuellement le bêtabloquant de choix avec une introduction débutée idéalement plusieurs semaines avant la chirurgie et une dose ajustée sur la fréquence cardiaque de repos. La diminution de la fréquence cardiaque semble ainsi être un élément important dans la diminution du risque des complications cardiaques périopératoires pour autant que la pression artérielle soit maintenue à des niveaux raisonnables. D’autres molécules, comme l’ivabradine, pourraient alors avoir un intérêt dans ce contexte périopératoire. L’ivabradine (Procoralan) qui ralentit la fréquence cardiaque sans retentissement sur la contractilité et les autres paramètres ’hémodynamiques et sans interférence avec le métabolisme glycémique justifierait des études complémentaires dans cette indication particulière (NDLR).

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 19 sur 46
publicité
publicité