Publié le 18 sep 2007Lecture 11 min
La prévention du diabète par les médicaments : où en sommes-nous ?
B. CHARBONNEL, clinique d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, Hôtel-Dieu, Nantes
Il est important de prévenir le diabète de type 2 chez les sujets à risque de le devenir, pour avant tout leur éviter toutes les complications et contraintes de la maladie. Une bonne hygiène de vie et un exercice physique régulier sont au cœur de cette démarche de prévention, mais avec les difficultés d’observance qu'on leur connaît : d'où l'intérêt potentiel d'une prévention pharmacologique du diabète de type 2.
Quels sont les sujets à risque de devenir diabétique, auxquels il conviendrait de prescrire des médicaments : syndrome métabolique ou dysglycémie ?
L’obésité abdominale et le syndrome métabolique —dont la figure 1 schématise une méta-analyse qui montre que la présence d’un syndrome métabolique (définition NCEP : associant obésité abdominale, hypertension artérielle, dyslipidémie et dysglycémie) multiplie ce risque par trois — sont des prédicteurs du risque de survenue d’un diabète.
Quand on approfondit les études, on s’aperçoit que dans le syndrome métabolique, c’est en fait la composante « hyperglycémie modérée » qui est le prédicteur essentiel. La valeur ajoutée des autres composantes du syndrome (tour de taille, dyslipidémie, hypertension artérielle) n’est pas nulle mais elle est faible.
Figure 1. Le syndrome métabolique (définition NCEP) prédit le diabète (Diabetes Care 2005, 28, 1769).
Autrement dit :
- Un sujet avec une hyperglycémie modérée, entre 1,10 et 1,26 g/l, est à haut risque de devenir diabétique, qu’il présente ou non les autres traits du syndrome métabolique (un peu plus néanmoins s’il les présente, en particulier l’obésité abdominale).
- Un sujet avec un syndrome métabolique, par exemple une obésité abdominale et une dyslipidémie, mais dont la glycémie à jeun est normale, < 1 g/l, a sans doute un excès de risque de devenir diabétique, mais très modéré. Pourquoi ? Parce que, face à une insulinorésistance, ce sujet a une bonne capacité d’insulinosécrétion, dont témoigne la normalité de la glycémie, et qu’il faut les deux anomalies, à la fois résistance à l’insuline et déficit de l’insulinosécrétion, pour devenir diabétique.
Une dysglycémie est un risque accru de diabète
Les vrais sujets à risque de diabète sont donc ceux qui présentent déjà des anomalies modérées de la glycémie, ce qu’on appelle une dysglycémie :
- soit une IFG (impaired fasting glucose), à savoir une glycémie à jeun comprise entre 1,10 et 1,26 g/l,
- soit une IGT (impaired glucose tolerance), à savoir une glycémie 2 h après une charge en glucose comprise entre 1,40 et 2 g/l. Mais la charge en glucose ou hyperglycémie provoquée par voie orale, n’est guère utilisée que dans les études cliniques, elle n’est plus effectuée en pratique et il n’est d’ailleurs ni souhaitable ni réaliste de la ressusciter.
La dysglycémie se résume donc pour le praticien à une hyperglycémie à jeun modérée entre 1,10 et 1,26 g/l.
La dysglycémie, quelques définitions
L’IFG (impaired fasting glucose), l’anomalie de la glycémie à jeun, est la seule utilisée en pratique. Il y a en fait un continuum : le risque de devenir diabétique augmente progressivement entre 0,50 et 1,26 g/l.
Le plafond de 1,26 g/l ou 7 mmol/l est évident, c’est celui qui définit le diabète, car c’est le seuil au-dessus duquel apparaît le risque de rétinopathie.
En-dessous, tout seuil est arbitraire et les experts hésitent entre 1 g et 1,10 g/l. Disons que ce dernier chiffre est réaliste. En- dessous, le risque, en valeur absolue, est faible.
Autrement dit :
Le risque de devenir diabétique augmente de façon linéaire avec la glycémie à jeun, entre 0,50 et 1,26 g/l. Ce risque ne devient significatif en risque absolu que pour la « fourchette » 1,10-1,26 g/l qui définit la dysglycémie.
L’IGT (impaired glucose tolerance) n’est pas utilisée en pratique. Le seuil supérieur de 2 g/l à la 2e heure après une charge en glucose est celui qui définit le diabète (seuil de rétinopathie), le seuil inférieur de 1,40 g/l est un compromis d’experts.
L’IGF et l’IGT diffèrent de par :
- leur épidémiologie est différente, comme le montre la figure 2 ;
- leur physiopathologie : l’IFG traduit une insulinorésistance hépatique et un déficit modéré de la sécrétion d’insuline, l’IGT traduit une insulinorésistance musculaire et un déficit plus marqué de la sécrétion d’insuline.
C’est pourquoi, dans les études cliniques de prévention du diabète par les médicaments, les deux critères d'inclusion sont généralement retenus, la glycémie à jeun et l’hyperglycémie provoquée par voie orale mais nous avons vu pourquoi, en pratique, on se contente de la glycémie à jeun.
Figure 2. Dans cet échantillon NHANES représentatif de la population américaine, les sujets à risque de devenir diabétiques peuvent être soit des IFG isolés, soit des IGT isolés (à glycémie à jeun normale), soit une combinaison des deux anomalies.
La prévention du diabète par les médicaments : lesquels ?
En pratique
Les praticiens doivent prêter attention à une hyperglycémie à jeun modérément élevée : entre 1,10 et 1,26 g/l. C’est une indication formelle de régime et d’exercice physique pour éviter l’apparition d’un diabète patent. Les autres facteurs prédicteurs de diabète ont peu d’utilité. C'est dans ce cas qu'il faut éventuellement se poser la question d'une prévention du diabète par des médicaments.
Il y a plus de 25 études consacrées à cette question dans la littérature, les deux classes thérapeutiques les plus étudiées ayant été les antidiabétiques et les antihypertenseurs. Pour résumer ces études :
- seuls certains antidiabétiques (la metformine, l'acarbose, et les glitazones) et un médicament de l’obésité (l'orlistat) ont démontré, dans des études dessinées dans ce but, un effet de prévention du diabète comparés à un placebo. Par contre, le ramipril a été évalué dans une étude dessinée à cet effet et n'a pas montré d'action préventive du diabète ;
- le niveau de preuves pour les autres molécules, statines, fibrates, agents antihypertenseurs, estrogènes est faible, car issu d'études d'observation ou d'analyses de sous-groupes dans des études qui n'étaient pas destinées à la prévention du diabète.
Les 3 études principales de la littérature
Le Diabetes Prevention Program (DPP)
Il s'agit d'une étude qui a inclus 3 234 personnes non diabétiques mais présentant une dysglycémie et qui a comparé « régime et exercice physique intense », metformine et placebo.
Le résultat est présenté sur la figure 3 : réduction à 4 ans de l'incidence de nouveaux cas de diabète de 58 % par les mesures non pharmacologiques et de 31 % par la metformine. Il s'agissait de sujets à très haut risque puisque, en 4 ans, près de 40 % des personnes sous placebo sont devenues diabétiques. À noter que le régime était efficace chez tous les patients, la metformine plus efficace chez les sujet jeunes et chez ceux en surcharge pondérale.
Figure 3. Les résultats de l'étude DPP chez des sujets dysglycémiques.
Dans le DPP, il y avait au départ, en 1996, un quatrième groupe, la troglitazone, cette glitazone qui a été retirée du marché en 1998 en raison d'une toxicité hépatique. Les résultats « du bras troglitazone du DPP », entre 1996 et 1998 ont été publiés et ont montré une réduction de plus de 60 % des nouveaux cas de diabète sous troglitazone, supérieure à celle observée sous metformine et même à celle observée sous « régime et exercice physique ». Ce résultat spectaculaire a été à l'origine de l'étude DREAM avec la rosiglitazone.
DREAM (Diabetes REduction Assessment with ramipril and rosiglitazone Medication)
Il s'agit d'une grande étude publiée en 2006 et qui a inclus 5 269 sujets dysglycémiques, d'un âge moyen de 55 ans, avec un IMC moyen de 31 et dont le risque cardiovasculaire était faible, 0,7 % par an d'événements dans le bras placebo. Il s'agissait d'une étude en plan factoriel qui répondait à la double question :
- la rosiglitazone 8 mg prévient-elle le diabète ?
- le ramipril 15 mg prévient-il le diabète ?
La réponse à la première question est positive, comme le montre la figure 4 : la rosiglitazone réduit les nouveaux cas de diabète de 60 % à 4 ans. Cet effet de prévention est d'autant plus marqué qu'il existe une obésité. Comme l'obésité est elle-même un facteur de risque de survenue du diabète, il s'avère que la rosiglitazone élimine le surcroît de risque de devenir diabétique lié à l'augmentation du poids.
La réponse à la deuxième question est négative, comme le montre la figure 5 : le ramipril réduit de manière non significative de 9 % les nouveaux cas de diabète à 4 ans.
Figure 4. Les résultats de l'étude DREAM avec la rosiglitazone 8 mg comparée à un placebo chez des sujets dysglycémiques.
Figure 5. Les résultats de l'étude DREAM avec le ramipril 15 mg comparé à un placebo chez des sujets dysglycémiques.
L’étude DREAM apporte une conclusion négative à toute une littérature qui suggérait que les inhibiteurs du système rénine-angiotensine présentent un effet de prévention des nouveaux cas de diabète. À vrai dire, cet effet de prévention était surtout net, de l'ordre de 25 %, qu'il s'agisse des IEC ou des ARAII, lorsque ces médicaments étaient comparés à un bêtabloquant (étude LIFE par exemple) ou à un diurétique, médicaments dont la littérature suggère par ailleurs qu'ils puissent être diabétogènes. Lorsque les inhibiteurs du système rénine-angiotensine ont été comparés à un placebo, l'effet de prévention a été généralement moindre, de l'ordre de 15 %, et donc finalement compatible avec le chiffre de 9 % observé dans DREAM. Il existe d'ailleurs un certain effet hypoglycémiant du ramipril dans DREAM, sur les glycémies postprandiales, mais cette action n'est pas suffisante pour entraîner une prévention du diabète de type 2 et il est vraisemblable que le résultat, modeste mais significatif, des études précédentes était lié à des problèmes méthodologiques, mauvaise définition des critères de diabète dans ces études, analyse de sous-groupes dans des études dont la prévention du diabète n'était pas le end-point principal...
STOP-NIDDM (STudy TO Prevent Non Insulin Dependent Diabets Mellitus)
Cette étude a montré, chez 1 429 sujets dysglycémiques, que l'acarbose prévenait de 25 % la survenue de nouveaux cas de diabète à 4 ans. Elle a également suggéré un effet de protection cardiovasculaire de l'acarbose, mais sur un nombre d'événements très faible et avec une différence entre les deux groupes sur les chiffres de pression artérielle.
En pratique
Depuis les résultats de l’étude DREAM, l'objectif de prévention du diabète chez des sujets hypertendus non diabétiques ne peut plus être considéré comme un argument validé de choix des inhibiteurs du système rénine-angiotensine. Il n'en reste pas moins que ces derniers gardent un avantage validé, en termes de glycorégulation, sur les bêtabloquants et les diurétiques.
Prévenir, retarder ou masquer ?
Dans la mesure où les principaux résultats positifs ont été observés avec des hypoglycémiants, la question de savoir s’il s'agit réellement d'une prévention est une question majeure. Ne s'agit-il pas simplement d'un effet masquant ?
Pour répondre à cette question, on arrête l'hypoglycémiant (période de wash-out) et il y a schématiquement trois scénarios possibles :
- le scénario de prévention c'est-à-dire de modification durable de l'histoire naturelle de la maladie, si l'effet observé sous traitement continue d'être observé après l'arrêt du traitement,
- le scénario d’un effet simplement masquant, si l'effet observé sous traitement s'annule rapidement dès qu'on l'arrête (il s'est alors agi simplement d'un traitement précoce du diabète, qui n'en modifie pas l'histoire naturelle, l'efficacité hypoglycémiante cesse dès que l’on arrête le traitement),
- enfin, un scénario intermédiaire dans lequel on modifie l'histoire naturelle de la maladie, mais de manière peu importante ou transitoire, scénario que l’on peut appeler de retardement qui se rapproche d'une prévention si cette modification est longue, qui se rapproche d'un simple traitement précoce si cette modification est brève.
Dans le DPP et dans STOP-NIDDM, l'essentiel de l'effet observé sous metformine ou sous acarbose avait disparu après simplement 15 jours de wash-out. On considère donc habituellement que ces deux médicaments ont simplement eu un effet masquant. Dans DREAM, après deux mois de wash-out, un effet positif continuait d'être observé mais il n'était plus que de 45 % (contre 60 % deux mois avant sous traitement) : on considère donc qu'il s'agit sans doute d'un effet de retardement mais une nouvelle analyse, un an après l'arrêt de la rosiglitazone, doit être publiée fin 2007, pour permettre d'y voir plus clair.
En conclusion, prévenir le diabète par des médicaments, quelle utilité ?
Ce n’est pas la prévention-même du diabète, définie par un seuil de 1,26 g/l à éviter et plus ou moins arbitraire que la prévention des complications qui importe. Ce qui compte évidemment, c'est la prévention des complications, et non pas éviter un seuil biologique plus ou moins arbitraire. À vrai dire, ce seuil de 1,26 n'est pas réellement arbitraire car il est celui à partir duquel s'observent les complications microvasculaires, et notamment rétiniennes de la maladie. Mais ce seuil est arbitraire dans le domaine cardiovasculaire : les complications cardiovasculaires du diabète sont multifactorielles, l'hyperglycémie n'est qu'un facteur de risque parmi d'autres et il s'agit d'une variable continue, sans seuil inférieur en-dessous duquel le risque cardiovasculaire n'existerait pas.
La réduction du risque CV par un traitement pharmacologique chez des patients dysglycémiques
La vraie démonstration qui reste à faire est donc de montrer une réduction du risque cardiovasculaire par un traitement pharmacologique chez des patients dysglycémiques. Pour l'instant, le niveau de preuve dans ce domaine est extrêmement faible. Il n'y a eu aucun bénéfice cardiovasculaire du traitement pharmacologique dans le DPP, ni dans DREAM, alors même que la metformine ou la rosiglitazone étaient efficaces pour la prévention du diabète. Il y a eu un bénéfice cardiovasculaire dans STOP-NIDDM avec l'acarbose, mais avec les réserves méthodologiques majeures que nous avons soulignées. Il est vrai que toutes ces études ont été dessinées pour la prévention du diabète, pas du tout pour la prévention cardiovasculaire, et que les populations étaient des populations dont le risque cardiovasculaire absolu était faible, d'où une puissance tout à fait insuffisante de ces études pour conclure à ce niveau.
• La dysglycémie : une hyperglycémie modérée entre 1,10 et 1,26 g/l (ce dernier seuil définit le diabète).
• La dysglycémie est le seul vrai prédicteur d’un risque important de devenir diabétique.
• Les autres prédicteurs de diabète (obésité, hypertension artérielle, lipides, antécédents familiaux…) n’ont guère d’utilité si la glycémie à jeun est < 1 g/l.
Différentes études sont actuellement en cours (NAVIGATOR avec un glinide et un sartan, ORIGIN avec l'insuline Lantus, CRESCENDO avec le rimonabant…) qui permettront peut-être de répondre à la question dans les années qui viennent.
L’auteur n’ a pas déclaré de conflit d’intérêt.
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