Valvulopathies
Publié le 04 oct 2005Lecture 8 min
Sur quels critères opérer une insuffisance mitrale ?
G. HANANIA, Nogent-sur-Marne
Les progrès de la chirurgie mitrale, en particulier conservatrice, et la qualité de ses résultats ont élargi depuis plusieurs années les indications opératoires dans les insuffisances mitrales volumineuses et mal tolérées. Les critères d’opérabilité en sont maintenant bien codifiés à travers des recommandations émises par plusieurs sociétés savantes. Elles concernent tout d’abord les IM organiques chroniques mais aussi les IM aiguës, les IM fonctionnelles, ischémiques ou pas, et les IM par dysfonction de prothèse. Elles reposent sur l’analyse détaillée dans chaque cas de l’étiologie et du mécanisme de la fuite, des éventuels symptômes, de l’importance de la régurgitation, de la fonction ventriculaire gauche (VG) et de la faisabilité d’une réparation mitrale. Outre l’étude clinique, les décisions sont actuellement largement guidées par les résultats de l’écho-Doppler.
Les critères
L’importance de la fuite
Les caractéristiques auscultatoires classiques des fuites mitrales importantes (souffle holosystolique, troisième bruit, roulement de débit) sont des éléments d’orientation à rechercher mais la quantification de la fuite repose sur l’échographie Doppler à travers la détermination au repos de différents critères parmi lesquels sont considérés comme les plus précis, ceux dérivés de l’étude de la zone de convergence (PISA) : la surface de l’orifice régurgitant (SOR) et le volume régurgité par battement cardiaque (VR).
Il est habituel de distinguer quatre degrés dans l’importance de la fuite (par analogie avec les grades angiographiques classiques qui sont eux, beaucoup moins précis) :
• les fuites massives (IV) avec SOR > 40 mm2 et VR > 60 ml/battement ;
• les fuites volumineuses (III) avec 40 mm2 > SOR > 30 mm2 et 60 ml > VR > 45 ml ;
• les fuites moyennes (II) avec 30 mm2 >SOR > 20 et 45 ml > VR > 30 ml ;
• les fuites discrètes (I) avec SOR < 20 mm2 et VR < 30 ml.
Parmi les IM organiques chroniques
Les indications opératoires concernent les fuites volumineuses mal tolérées en fonction de critères détaillés ci-après.
Pour certains auteurs, le caractère massif de la fuite (grade IV) peut être à lui seul un critère d’indication opératoire malgré l’absence de signe de mauvaise tolérance (patient asymptomatique, en rythme sinusal, à fonction VG conservée) si une plastie est envisageable avec un risque opératoire très faible. Bien que cette attitude interventionniste n’entraîne pas pour l’instant le consensus unanime des experts, la tendance est plutôt en faveur de ce type d’indication, en raison des excellents résultats lointains des plasties mitrales en matière de préservation de la fonction VG.
Pour les IM fonctionnelles ischémiques
Des travaux récents ont démontré que le pronostic était péjoratif aussi pour les fuites moyennes et même quel que soit le degré de l’IM au repos, en cas d’augmentation de la SOR à l’effort de plus de 13 mm2.
La tolérance
Son appréciation repose essentiellement sur l’analyse de la symptomatologie et de la fonction VG, mais aussi sur la recherche de troubles du rythme supraventriculaires et la détermination des pressions pulmonaires au Doppler.
Symptomatologie
L’existence de signes fonctionnels débutants (stade II de la NYHA) ou invalidants (stade III ou IV), de signes d’insuffisance ventriculaire gauche ou globale, en rapport avec l’importance de la régurgitation, témoignent d’un stade évolutif qu’il n’est plus justifié d’attendre pour poser une indication opératoire sur une IM. Mais quand un patient est pris en charge à ce stade, l’indication est formelle, si l’IM est volumineuse, en l’absence de contre-indication extracardiaque absolue menaçant le pronostic vital à court terme. Selon les conditions anatomiques, l’intervention sera une plastie mitrale ou un remplacement valvulaire.
Seule une fraction d’éjection (FE) effondrée sous 30 % pourrait faire discuter de l’opportunité de l’intervention à un stade aussi tardif, à laquelle il serait plus sage de renoncer si l’on n’a pas la quasi-certitude de pouvoir réaliser une plastie. Le risque d’un remplacement valvulaire pour IM organique chronique devient en effet prohibitif à ce stade de dysfonction VG qu’atteignent peu de malades heureusement actuellement quand il n’existe pas une dysfonction d’autre étiologie ischémique en particulier.
Fonction ventriculaire gauche
Chez les patients vraiment asymptomatiques (une épreuve d’effort aura éliminé les faux asymptomatiques), ayant une fuite volumineuse, il est maintenant démontré qu’une intervention effectuée dès l’apparition des premiers critères de dysfonction VG améliore le pronostic à long terme. En cas d’IM, les critères de dysfonction VG sont définis dès que la FE < 60 % et/ou un diamètre télésystolique (DTS) ventriculaire gauche > 45 mm. Chez ces patients, l’indication est, elle aussi, formelle, même si elle ne peut être conservatrice et doit conduire à un remplacement valvulaire.
Fibrillation auriculaire
Chez les patients asymptomatiques, ayant une IM volumineuse et une fonction VG conservée, la survenue de troubles du rythme supraventriculaires à type de fibrillation auriculaire permanente ou paroxystique peut faire envisager une intervention à condition que la réalisation d’une plastie paraisse hautement probable en préopératoire d’après les données de l’échographie. En revanche, si le geste devait être un remplacement valvulaire, l’indication opératoire dans cette situation est plus discutée. Il faut rapprocher de la fibrillation auriculaire, la valeur pronostique de la dilatation auriculaire gauche au-dessus de 50 mm qui lui est fréquemment associée.
Hypertension artérielle pulmonaire
La mise en évidence au Doppler cardiaque chez des patients a- ou paucisymptomatiques, en rythme sinusal, à fonction VG préservée, d’une hypertension artérielle pulmonaire de repos > 50 mmHg, peut représenter une indication opératoire si une plastie mitrale paraît hautement probable sur les données échographiques préopératoires.
Faisabilité d’une plastie mitrale
La réalisation d’une plastie mitrale est devenue le mode préférentiel de correction des IM. Ses résultats immédiats sont excellents en termes de mortalité opératoire (très faible) et de correction de la fuite quand les conditions anatomiques sont favorables. Ses résultats lointains sont eux aussi très favorables en termes de conservation de la fonction VG, permettant aux patients opérés précocement de bénéficier d’une espérance de vie comparable à celle d’une population de même âge.
Si les IM volumineuses à fonction VG altérée sont des indications opératoires formelles que ce soit par plastie ou par remplacement valvulaire, pour de nombreuses indications envisagées plus précocement, la cure chirurgicale de la fuite n’est indiquée que si elle peut être effectuée par plastie.
Ce sont les échographies transthoracique et transœsophagienne qui apporteront les précisions anatomiques indispensables pour confirmer ou infirmer la forte probabilité de réalisation d’une plastie mitrale. Celle-ci trouve ses meilleures indications en cas de prolapsus localisé du feuillet postérieur, mais actuellement les équipes entraînées réparent couramment les prolapsus antérieurs ou bivalvulaires. Ces lésions s’observent dans les IM dégénératives qui représentent les formes les plus fréquentes des fuites organiques chroniques observées en France et en Europe. En revanche, les formes restrictives observées dans les IM rhumatismales se prêtent moins bien à la réparation.
Risque opératoire
Il est actuellement très faible pour les plasties (entre 0 et 2 %), à peine plus élevé pour les remplacements chez les patients en bon état général n’ayant pas d’autre problème que leur valvulopathie. En revanche, en cas de comorbidités type insuffisance respiratoire chronique sévère et chez les sujets > 75 ans, les indications seront plus restrictives et décidées au cas par cas en fonction de l’évolutivité de la fuite et de son retentissement ainsi que des souhaits du patient.
Cas particuliers
Insuffisances mitrales fonctionnelles (IMF)
Elles posent des problèmes d’indications opératoires encore imparfaitement résolus et les critères d’opérabilité ne font pas encore l’objet de consensus. Quelques orientations se dégagent néanmoins.
Dans l’IMF d’origine ischémique, la correction est justifiée si elle est volumineuse et reste symptomatique sous traitement médical chez un patient ayant une FE > 35 %. Quand la fuite n’est que moyenne (30 mm2 > SOR > 20 mm2), sa correction n’est envisagée que s’il y a une indication de revascularisation chirurgicale. Si le choix de la revascularisation oscille entre pontage et angioplastie, la présence d’une IM moyenne incitera plutôt à opter pour la chirurgie.
Pour les fuites plus modérées (20 mm2 > SOR > 10 mm2), les publications récentes inciteraient à en proposer aussi la correction par plastie en cas d’indication de pontage, surtout si la SOR augmente significativement à l’effort.
Les IMF volumineuses des cardiomyopathies dilatées (FE < 35 %) sans indication de revascularisation posent les problèmes les plus délicats. Ce n’est qu’après échec patent du traitement médical et de la stimulation multisite qu’une plastie pourrait être envisagée en alternative à une transplantation cardiaque.
Insuffisances mitrales aiguës
Elles surviennent au cours des destructions brutales des structures mitrales telles qu’on les observe dans les endocardites infectieuses (EI) et plus rarement actuellement à titre de complications mécaniques des infarctus du myocarde transmuraux. Ces dernières posent des problèmes particuliers qui ne seront pas envisagés ici.
En cas d’EI, l’indication opératoire doit être portée sans délai quand la tolérance hémodynamique est mauvaise et que le traitement médical n’est pas rapidement efficace, même si le contrôle du syndrome infectieux n’est pas encore obtenu.
On peut, en revanche, temporiser jusqu’à obtention de ce contrôle si les signes hémodynamiques sont très vite régressifs. L’existence de volumineuses végétations (> 15 mm) peut conduire à opérer rapidement s’il y a eu un accident embolique clinique ou révélé par l’imagerie. En l’absence de ces signes, les caractères mobiles et volumineux sont, pour certains à eux seuls, une indication à opérer. Dans tous ces cas, et de plus en plus souvent, une chirurgie conservatrice, parfois complexe, permet d’éviter un remplacement valvulaire.
Les très volumineuses végétations peuvent être une indication opératoire.
Insuffisances mitrales des prothèses
La plupart des dysfonctions de prothèse peuvent se manifester par une régurgitation plus ou moins importante, pure ou associée dans des proportions variables à une sténose hémodynamique. On retrouve dans les critères d’opérabilité ceux déjà cités pour les valvulopathies natives : volume de la fuite, tolérance hémodynamique et risque opératoire avec des particularités liées à chacune des étiologies.
• Les EI sur prothèse ont un pronostic redoutable, en particulier les atteintes postopératoires précoces à staphylocoques.
• Les désinsertions aseptiques peuvent justifier une réintervention malgré une fuite modérée, à cause d’une hémolyse intense.
• Les détériorations de bioprothèses peuvent conduire à une réintervention indépendamment de la tolérance de la fuite quand celle-ci est en rapport avec une déchirure de cuspide dont le potentiel évolutif est imprévisible et parfois d’une grande brutalité.
• Quant aux thromboses de prothèse, elles s’expriment essentiellement par une sténose hémodynamique et le phénomène régurgitation par blocage de l’élément mobile est contingent par rapport au tableau global qu’elles entraînent, souvent dramatique, qui nécessite des réinterventions en urgence ou, en l’absence de possibilités chirurgicales immédiates, le recours à la fibrinolyse.
En pratique
Les indications opératoires dans l’IM sont de mieux en mieux codifiées. Elles sont portées en tenant compte de l’importance de la fuite, de sa tolérance, de la possibilité de réaliser une plastie et du risque opératoire. Il est maintenant démontré qu’une intervention précoce effectuée à faible risque améliore le pronostic à long terme. Les patients ayant une IM organique chronique volumineuse, symptomatique ou pas, doivent être opérés par plastie ou remplacement dès qu’il existe une dysfonction VG attestée par une FE < 60 % et/ou un DTS > 45 mm. Quand l’IM est volumineuse chez un patient asymptomatique à fonction VG préservée, l’indication peut être proposée sous réserve qu’une plastie soit réalisable. Les IMF des cardiopathies ischémiques posent des problèmes d’indication plus débattus mais la tendance actuelle est d’en proposer la réparation, même en cas de fuite moyenne, s’il y a une indication indépendante de pontage aorto-coronaire.
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