Publié le 31 mai 2005Lecture 7 min
Tout diabétique est-il un coronarien qui s'ignore ?
Y. COTTIN, Dijon
Le diabète est une pathologie fréquente, touchant au moins 3 % de la population française. Ce sont les complications, cardio-vasculaires en particulier, qui en font toute la gravité ; en effet, environ 60 % d’entre eux décéderont d’un accident coronarien. Aujourd’hui, de plus en plus d’auteurs considèrent le diabète comme une affection vasculaire à part entière plus qu’un facteur de risque.
Rechercher un diabète chez le coronarien
Si les recommandations actuelles de la Société Française de Cardiologie et de l’ALFEDIAM ont stratifié le dépistage de la coronaropathie chez le diabétique, le cardiologue, dans sa pratique quotidienne, doit également rechercher un diabète ou une hyperglycémie à jeun non-diabétique (HGND) chez son coronarien.
Les nouvelles définitions françaises (ALFEDIAM) et américaines (ADA) du diabète reposent sur :
• une glycémie à jeun > 1,26 g/l (7,0 mmol/l), à au moins 2 rprises,
• ou une glycémie > 2,0 g/l (11,1 mmol/l), 2 heures après 75 g de glucose per os.
En revanche, l’hyperglycémie à jeun non-diabétique (HGND) est un état métabolique défini par :
• une glycémie à jeun > 1,10 g/l (6,1 mmol/l) et < 1,26 g/l (7,0 mmol/l) pour l’ALFEDIAM,
• et une glycémie à jeun > 1,00 g/l (5,5 mmol/l) et < 1,26 g/l (7,0 mmol/l) pour les recommandations américaines.
Le diagnostic et le dépistage de cette dernière entité sont majeurs car l’HGND est associée, comme le diabète, à un risque accru de maladies cardio-vasculaires. De plus, pour les experts, une consultation de diabétologie doit être instituée pour en préciser la stratégie initiale et future.
Une progression constante
En France, le diabète est en constante progression, et les projections prévoient un doublement d'ici 2025. Dans notre pays, la population diabétique est évaluée à 2 millions et demi de patients, dont 90 % de type 2. Le nombre de diabétiques non-dépistés est estimé entre 300 et 600 000 personnes ; pour la majorité, ces patients présentent déjà des complications macro- et microvasculaires. Il faut également souligner que les patients présentant une obésité abdominale excessive (tour de taille > 102 cm pour les hommes et 88 cm pour les femmes), sont les plus propices à développer un diabète de type 2 ou une HGND, et ils sont considérés aux alentours de 10 millions en France.
La découverte du diabète par le cardiologue n'est donc plus une situation exceptionnelle et impose donc une prise en charge multidisciplinaire pour préciser et optimiser le traitement.
L'athérosclérose chez le diabétique
La physiopathologie de la maladie vasculaire du patient diabétique fait intervenir les anomalies des cellules endothéliales et des cellules musculaires lisses. Ce sont les anomalies métaboliques, comme l'hyperglycémie et l'accumulation des produits de glycation avancée des protéines (ACE [Advanced glycated end products]) qui contribuent à la dysfonction endothéliale et à l'augmentation de la réponse inflammatoire au niveau vasculaire.
Une maladie inflammatoire
Toutes les études expérimentales récentes ont démontré que l'athérosclérose est une maladie inflammatoire chronique. Si le LDL-cholestérol est probablement l'agent initial de l'agression pariétale, l'inflammation intervient à différents stades :
• l'activation de l'endothélium et le recrutement de monocytes et lymphocytes ;
• la production locale de cytokines pro-inflammatoires ;
• la production de protéases conduisant à la dégradation des protéines de la chape fibreuse et donc à une plaque plus instable ;
• l'induction de l'apoptose des cellules de la plaque.
Le diabète est un puissant inducteur et amplificateur de chacune de ces étapes.
Une maladie vasculaire diffuse
Les cellules endothéliales ont un rôle majeur dans le contrôle de la perméabilité aux macromolécules et constituent l'interface active entre le sang et la paroi vasculaire. Ces cellules endothéliales modulent le tonus vasculaire, par le biais de l'oxyde nitrique (NO) qu'elles synthétisent. Le NO possède d'autres propriétés ; en particulier, il diminue l'activation des plaquettes, limite l'inflammation et diminue la prolifération et la migration des cellules musculaires lisses. Chez le diabétique, même sans anomalie angiographique, la vasodilatation endothélium-dépendante est altérée, mais surtout les épisodes d'hyperglycémie diminuent encore la production de NO. Ainsi, l'évaluation par les techniques conventionnelles actuelles sous-estime la présence de la coronaropathie du diabétique.
L’athérothrombose
De plus, les plaques d'athérosclérose des patients diabétiques sont plus inflammatoires que les plaques des patients non diabétiques, avec une accumulation de macrophages et de lymphocytes T, et surtout un nombre plus élevé de cellules en apoptose. L'ensemble de ces éléments rend la plaque plus instable et donc plus vulnérable.
Enfin, la maladie vasculaire s'intègre aujourd'hui dans la maladie athérothrombotique. Les maladies structurelles mais également fonctionnelles endothéliales s'associent, chez le diabétique, à des dysfonctionnements plaquettaires associés à une augmentation de production de facteurs prothrombotiques.
Diabétique connu, mais coronarien non connu
Si les données physiopathologiques fournissent des explications sur la maladie vasculaire du patient diabétique, la justification de la question « tout diabétique qui s'ignore » est liée aux données épidémiologiques des années 1990.
L'équipe finlandaise de Haffner a été la première à souligner ce point et concluait qu'un diabétique sans antécédent cardio-vasculaire avait le même pronostic qu'un patient non-diabétique ayant présenté un infarctus du myocarde (IDM). Pour ces auteurs, le patient diabétique, et particulièrement de type 2, a une prévalence élevée de la maladie coronaire (figure 1) et une mortalité multipliée par 2 ou 3 comparativement au patient non-diabétique.
Figure 1. Lésions coronaires multiples.
Ces données ont été confirmées mais pondérées par l'équipe américaine de Lee. Dans ce travail avec un suivi de 9 ans, le patient non-diabétique ayant présenté un IDM a un risque x 1,8 comparativement au diabétique sans IDM.
D'autres études ont appréhendé ces données, et il est donc aujourd'hui clairement établi que l'homme diabétique a un meilleur pronostic que le non-diabétique avec antécédents cardio-vasculaires. En revanche, le risque élevé de la femme diabétique est à souligner ; en effet, la femme diabétique sans antécédent a le même pronostic que celui d'une femme non-diabétique avec antécédents cardio-vasculaires.
À côté de ces études épidémiologiques, de nombreux travaux ont montré le pronostic sévère chez les patients diabétiques présentant une ischémie silencieuse, avec un risque 3 fois plus élevé d'accidents cardio-vasculaires que les patients diabétiques sans ischémie silencieuse. Ainsi, 40 % des diabétiques asymptomatiques mais à haut risque présentent une ischémie silencieuse ; cette ischémie silencieuse est 5 fois plus fréquente que dans une population à haut risque mais non-diabétique.
Mais c'est surtout la justification thérapeutique qui pousse à rechercher une coronaropathie chez le patient diabétique. Ainsi, la prise en charge agressive et optimale des facteurs de risque et/ou un traitement anti-ischémique améliorent de manière significative le pronostic de ces patients.
Patient diabétique et risque cardio-vasculaire
Le patient diabétique est donc exposé à un risque cardio-vasculaire accru, mais s’il est asymptomatique, le dépistage ne doit être réalisé que chez les patients à haut risque. En effet, les travaux de Stamler du groupe MRFIT (Multiple Risk Factor Intervention Trial), sur un suivi de 10 ans de plus de 5 000 pa-tients diabétiques, ont établi que le risque cardio-vasculaire devient majeur en présence de deux facteurs de risque (figure 2) mais également en l'absence de contrôle de la pression artérielle (figure 3).
Figure 2. Impact du diabétique sur la mortalité cardio-vasculaire MRFIT.
Figure 3. PAS et mortalité cardio-vasculaire.
Les recommandations de la SFC et de l'ALFEDIAM ont récemment clairement stratifié les patients à haut risque cardio-vasculaire, et donc ceux chez qui il existe une forte probabilité d'ischémie myocardique silencieuse. Ces patients devraient tirer un bénéfice des mesures préventives et curatives.
Les patients diabétiques à haut risque peuvent ainsi être classés en 5 groupes :
• diabétique de type 2, âgé de plus de 60 ans ou diabétique depuis plus de 10 ans avec au moins 2 facteurs de risque,
• diabétique de type 1, âgé de plus de 45 ans et traité depuis plus de 15 ans et ayant 2 facteurs de risque,
• diabétique avec une microalbuminurie et au moins 2 facteurs de risque,
• diabétique avec une artériopathie des membres inférieurs et/ou un athérome carotidien,
• diabétique avec une protéinurie.
Les patients asymptomatiques et définis à haut risque sur la seule évaluation clinique doivent bénéficier de la recherche d'une ischémie myocardique. Mais la prise en charge de nos patients ne doit pas être statique, et la recherche soigneuse de symptômes à chaque consultation d'un diabétique doit être systématique chez les diabétiques. Si le risque est faible, le suivi clinique sera annuel, chez les patients à haut risque une nouvelle évaluation est conseillée à 2 ans.
L'application de ces nouvelles recommandations, associée à une correction optimale des facteurs de risque devrait permettre une diminution de la mortalité cardio-vasculaire chez le patient diabétique, d'origine coronarienne mais surtout vasculaire au sens large.
En pratique
Le diabète est une maladie vasculaire, et la gravité des complications impose la recherche d'une coronaropathie et la prise en charge de l'ischémie silencieuse. Cependant, les techniques d'évaluation actuelles sous-estiment la présence de la coronaropathie ; en effet, la dysfonction endothéliale est présente avant même les lésions coronariennes angiographiques. C'est donc le contrôle des facteurs de risque qui devrait permettre de ralentir l'évolution de ces patients. Mais le cardiologue doit aussi évoquer et rechercher un diabète chez tout coronarien.
« Tout coronarien est-il un diabétique qui s'ignore ? »
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