Chirurgie
Publié le 14 nov 2006Lecture 7 min
Traitements percutanés de l'insuffisance mitrale
D. HIMBERT et A. VAHANIAN, hôpital Bichat, Paris
Comme dans les autres domaines de la cardiologie, l’évolution du traitement des valvulopathies s’est faite au cours des dernières décennies vers le développement d’une approche percutanée de plus en plus interventionnelle, conjointement à celui d’une chirurgie de moins en moins invasive. Cette évolution est justifiée par le fait que la mortalité de la chirurgie, qui reste le « gold standard », est élevée chez une proportion non négligeable des patients opérés à un âge avancé et présentant des comorbidités (près de 20 % dans l’étude EuroHeart Survey), et que près de 30 % des patients ayant une valvulopathie sévèrement symptomatique ne sont pas adressés en chirurgie en raison d’un risque jugé prohibitif, à tort ou à raison.
Les techniques
Deux principales techniques de traitement percutané de l’insuffisance mitrale (IM) sont en cours d’évaluation :
• la réparation bord à bord des feuillets mitraux,
• l’annuloplastie percutanée.
La réparation « bord à bord »
Cette technique vise à reproduire l’intervention chirurgicale développée par Alfieri, consistant à créer un double orifice mitral au moyen d’une suture des feuillets mitraux dans leur partie médiane et réalisant à terme un pont tissulaire entre les valves (figure 1). L’expérience chirurgicale porte sur un millier de cas et suggère son efficacité à moyen terme dans l’IM dégénérative. Son approche percutanée, expérimentale puis clinique, a été développée au cours des dernières années. Elle repose sur un abord transseptal de l’oreillette gauche sous contrôle par fluoroscopie et échographie transœsophagienne. Il s’agit d’une technique difficile, nécessitant une équipe entraînée au cathétérisme transseptal et imposant une longue courbe d’apprentissage, ce qui limitera sa diffusion.
Figure 1. Intervention d’Alfieri : suture « bord à bord » des feuillets mitraux.
• L’étude EVEREST I (EndoVascular Valve Edge-to-Edge REpair STudy) est la première étude de faisabilité. Elle a porté sur 50 patients, tous candidats potentiels à la chirurgie, dont la plupart avaient une IM par prolapsus valvulaire. La figure 2 (haut) montre le clip utilisé (E-valve). Il n’y a pas eu de complication majeure de l’intervention. À court terme, près de 70 % des patients avaient une IM résiduelle de grade ≤ 2/4. Il ne semble pas y avoir eu de détérioration du résultat entre 6 mois et un an.
Figure 2. Dispositifs de réparation mitrale percutanée bord à bord. En haut : Clip (étude EVEREST) ; en bas : Cathéter de suture (étude MILANO).
• Sur ces données jugées encourageantes, l’étude EVEREST II, en cours, compare ce dispositif avec une réparation chirurgicale conventionnelle par une randomisation 2 :1.
• Une autre technique de réparation bord à bord consiste à réaliser une ou plusieurs sutures au moyen d’un cathéter équipé de trous latéraux (figure 2 bas), positionné successivement devant chaque feuillet mitral sous guidage par ETO. Lorsque la position paraît correcte, une aspiration est réalisée pour capturer la valve et permettre sa suture au moyen d’une aiguille transfixiante. Les fils de suture sont ensuite réunis et fixés par un clip. Ce dispositif est utilisé dans l’étude MILANO II, qui s’adresse à des patients ayant une IM sévère symptomatique par prolapsus de P2, sans dilatation annulaire importante (figures 3 et 4).
Figure 3. Aspect échographique par voie transthoracique et transœsophagienne après suture bord à bord. Noter le double orifice mitral avec l’aspect en « 8 » caractéristique en coupe transgastrique.
Figure 4. Évaluation quantitative de l’insuffisance mitrale avant et après suture bord à bord. VR = volume régurgité ; SOR = surface de l’orifice régurgitant.
L’annuloplastie percutanée
La mise en place d’un anneau prothétique est une composante essentielle de toute chirurgie conservatrice de l’IM, car la dilatation annulaire est constante dans l’IM chronique et participe à son autoaggravation. L’annuloplastie percutanée consiste à insérer par voie veineuse jugulaire un anneau prothétique dans le sinus coronaire, de façon à pincer l’anneau mitral, situé à proximité, et réduire ses diamètres.
Cette technique est beaucoup plus facile que la réparation bord à bord, mais soulève certaines réserves de principe :
• la proximité du sinus coronaire par rapport à l’anneau mitral est relative, car il se situe en position intraatriale, en moyenne à 1 cm de l’anneau et parfois jusqu’à 2 cm (figure 5) ;
• alors que les anneaux mitraux insérés chirurgicalement sont circonférentiels et solidement ancrés dans le squelette fibreux de l’anneau mitral, les prothèses percutanées ne couvrent que les deux tiers postérieurs de l’anneau et exercent une traction indirecte, sur le mur auriculaire gauche, pour diminuer le diamètre annulaire ;
• il existe, au moins en théorie, un risque de compression du réseau circonflexe latéral ou diagonal par la prothèse (figure 5).
Figure 5. Rapports anatomiques du sinus coronaire. Noter la distance entre le sinus coronaire et l’anneau mitral (entre 1 et 2 cm) et son croisement avec l’artère circonflexe.
• Les données actuelles sont principalement expérimentales, sur des modèles d’IM fonctionnelle ou ischémique. Elles ont montré la faisabilité de la méthode et son efficacité à court terme avec une diminution effective des diamètres annulaires et une réduction du volume de l’IM. De nombreux types de prothèses ont été utilisés. Tous comportent deux points de fixation, proximal et distal, reliés par un pont suffisamment solide pour permettre la diminution nécessaire du diamètre de l’anneau (figure 6).
Figure 6. Prothèse d’annuloplastie mitrale percutanée. Gauche : ouverte ; Droite : déployée en place dans le sinus coronaire.
• La seule expérience publiée chez l’homme a porté sur 5 patients ayant une IM ischémique chronique. Elle a montré la faisabilité de la technique et des résultats encourageants, quoique très hétérogènes, avec une réduction moyenne du grade de l’IM de 3,0 ± 0,7 à 1,6 ± 1,1. Il n’y a pas eu de complication liée au dispositif, mais une fracture de la prothèse a été observée à moyen terme chez 3 patients, entraînant une réaggravation de l’IM.
• L’étude EVOLUTION, en cours, est un registre international multicentrique portant sur des patients ayant une IM chronique ischémique ou fonctionnelle, modérée à sévère, et une anatomie du sinus coronaire propice à l’implantation de la prothèse. L’anatomie du sinus est, en effet, très variable et doit être soigneusement évaluée par scanner avant l’intervention puis par angiographie sélective juste avant l’implantation (figure 7).
Figure 7. Imagerie du sinus coronaire. Gauche : scanner ; Droite : angiographie sélective.
Les autres techniques de réparation mitrale percutanée sont au stade expérimental
Le raccourcissement du sinus dans son axe septo-latéral. Cette nouvelle technique utilise un système original (PS3 : percutaneous septal sinus shortening) permettant la réalisation d’un pont entre deux points de fixation installés dans la grande veine coronaire et le septum interauriculaire. Une mise en tension progressive de ce pont permet d’obtenir le raccourcissement optimal de l’anneau mitral dans son axe septo-latéral (figure 8). Les données expérimentales portent sur un modèle ovin d’IM fonctionnelle. Elles suggèrent une efficacité durable sur le diamètre annulaire, le volume de l’IM et son retentissement hémodynamique.
La contraction annulaire thermique, l’annuloplastie mitrale directe ou la section de cordages sont d’autres techniques qui ont été imaginées.
Figure 8. Procédure d’implantation du Système PS3 (Percutaneous Septal Sinus Shortening)
A. Introduction de deux cathéters, l’un par voie transseptale dans l’oreillette gauche et l’autre par voie veineuse jugulaire dans la grande veine coronaire ; B. Accolement magnétique des deux cathéters ; C. Passage du guide-boucle du cathéter auriculaire gauche dans le cathéter veineux coronaire ; D. Système en place avant mise en tension ; E. Système en tension, raccourcissement de l’anneau et correction de la fuite mitrale ; F. Vue supérieure du système, montrant le pont situé entre ses deux points d’ancrage et son orientation antéropostérieure.
Le système Coapsis
Il est utilisé en chirurgie et a été expérimenté chez l’animal par voie percutanée. On peut le rapprocher des précédentes interventions, car il autorise une approche transpéricardique, ne nécessitant ni auriculotomie ni circulation extracorporelle. Il consiste à implanter deux palettes épicardiques antérieure et postérieure, reliées par une tige transventriculaire. Son mécanisme d’action passe par :
• l’amélioration de la coaptation des feuillets valvulaires liée à la diminution du diamètre antéropostérieur de l’anneau et à la reposition des muscles papillaires,
• et son interférence avec le remodelage ventriculaire gauche.
Les indications potentielles
L’IM fonctionnelle et ischémique
Celle-ci relève de l’annuloplastie prothétique. Cependant, les résultats la chirurgie mitrale dans ce contexte sont moins bons que dans les autres étiologies. Par ailleurs, l’annuloplastie percutanée risque d’être moins complète et moins efficace que l’annuloplastie chirurgicale qui est en règle sous-dimensionnée, circonférentielle et peut être associée à des techniques de remodelage ventriculaire gauche.
L’IM dégénérative
Elle relève de la réparation bord à bord, mais l’expérience suggère qu’une annuloplastie devra en règle y être associée pour obtenir un résultat satisfaisant.
L’IM modérée
Elle pourrait être une indication intéressante, pour interférer précocement avec l’histoire de la maladie et retarder l’heure de la chirurgie. Cette option pourrait être particulièrement attractive chez les sujets ayant une IM modérée associée à une coronaropathie accessible à une revascularisation percutanée.
Les questions
Elles sont aujourd’hui nombreuses.
Les données sur la faisabilité, l’efficacité et la sécurité de ces techniques percutanées ainsi que sur la pérennité de leurs résultats manquent encore. De même, la question des possibilités de réintervention, percutanée ou chirurgicale, après une annuloplastie percutanée ou une réparation bord à bord reste posée.
La première phase de leur évaluation concerne des sujets ayant une contre-indication ou un risque chirurgical élevé. Elle devrait permettre de préciser leur faisabilité, leur sécurité, et leurs résultats immédiats.
Ultérieurement, pour apprécier leurs résultats à long terme, il faudra impliquer une population plus large, candidate à la chirurgie. Cette phase pourrait poser de difficiles problèmes éthiques. Il faudra alors définir, précisément et a priori, de quel degré de performance on accepte de se priver par rapport à la chirurgie, et quel risque on accepte de prendre par rapport au traitement médical.
Au total
Toutes ces questions justifient la réalisation d’une évaluation rigoureuse de ces nouvelles méthodes en comparaison avec la chirurgie et/ou le traitement médical optimal.
Cette évaluation nécessitera une collaboration étroite entre cardiologues interventionnels, chirurgiens, échographistes et ingénieurs, nécessaire au succès de cette recherche qui devrait profondément changer la prise en charge des valvulopathies dans les prochaines décennies.
Article rédigé en collaboration avec E. Brochet, D. Messika-Zeitoun, J.-M. Juliard et B. Iung, hôpital Bichat, Paris.
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