Cardiologie générale
Publié le 24 juin 2008Lecture 11 min
Vieillissement cardiovasculaire : physiologique ou pathologique ?
B. SWYNGHEDAUW, hôpital Lariboisière, Paris
Physiologiques ou pathologiques, le vieillissement, l’hypertrophie cardiaque ? Pour l’hypertrophie, la réponse est simple, ce qui n’empêche pas que la question soit souvent posée : ce sont les causes qui sont physiologiques ou pathologiques, ce n’est pas, ou très rarement, l’hypertrophie en soi. Mais pour le vieillissement ? Il se trouve toujours, lorsque le débat est ouvert, un physiologiste intransigeant et féru de sémantique pour dire qu’il y a une physiologie du sujet âgé comme il existe une physiologie de l’enfant. Foin de sémantique ! Ce qui définit le pathologique, c’est qu’il y a approche thérapeutique, et, de fait, on ne traite jamais, ou rarement, une hypertrophie en soi, on en traite la cause ou les défaillances, car l’hypertrophie est d’abord compensatrice.
Le système cardiovasculaire du sujet âgé
Il est caractérisé par : une augmentation de l’impédance caractéristique des gros vaisseaux, sans hypertension ; un index cardiaque inchangé au repos et à l’effort, même si la VO2max est diminuée ; un dysfonctionnement diastolique avec gêne au remplissage rapide initial (onde E à l’écho) et augmentation du remplissage d’origine auriculaire (onde A) ; des arythmies bénignes dont la fréquence croît avec l’âge ; une réserve coronaire réduite et une sensibilité plus grande aux effets de l’ischémie ; enfin, la sensibilité aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion reste normale, malgré les modifications du système rénine-angiotensine.
Le cardiologue doit-il envisager de traiter le vieillissement ?
La réponse n’est pas simple pour deux raisons étroitement associées :
• l’âge est un risque, c’est même un facteur de risque majeur, et de risque cardiovasculaire ; en particulier, le risque lié à l’âge est tellement élevé qu’il masque des risques aussi connus que le tabagisme par exemple. Trois affections CV sont plus particulièrement associées à l’âge :
- la fibrillation auriculaire
- l’insuffisance cardiaque,
- et les manifestations cliniques de l’athérosclérose ;
• le vieillissement s’accompagne de nombreuses modifications relativement spécifiques, délétères, vasculaires et myocardiques qui facilitent le développement de maladies CV et qui toutes sont ou peuvent être des cibles thérapeutiques. Ces manifestations font en quelque sorte le lit de la pathologie CV véritable du sujet âgé.
Le vieillissement : un phénomène récent
Nous vivons de plus en plus longtemps, mais l’augmentation de la durée de vie est récente, et surtout elle est extrêmement variable d’un bout à l’autre de la planète. L’espérance de vie est passée par exemple de 46 ans en 1950, à 66 ans en 1998. Les causes majeures de mortalité étaient autrefois les maladies infectieuses et la dénutrition, ce sont maintenant les maladies cardiovasculaires, le cancer et le diabète, mais cette transition épidémiologique est variable selon le pays, voire la région :
– dénutrition et infections prédominent et la durée de vie est très courte en Afrique subsaharienne ;
– quand les problèmes infectieux commencent à régresser, les problèmes CV commencent à devenir préoccupants, c’est le cas de la Chine contemporaine ;
– l’espérance de vie continuant à augmenter, on en vient au stade où les problèmes CV deviennent majeurs, c’était notre cas il y a 50 ans, c’est celui de l’Inde urbaine contemporaine ;
– chez nous (en Europe, aux EU), en ce moment, du fait des campagnes préventives intensives contre le tabac ou la sédentarité, les maladies CV commencent à régresser et la durée de vie continue à augmenter ;
– mais il est des pays, comme la Russie, qui retrouvent une espérance de vie faible, du fait de la récurrence des maladies infectieuses. Les différences entre pays ou régions sont énormes, la mortalité CV en Ukraine est par exemple 10 fois plus élevée qu’au Japon. Ces différences reflètent un ensemble complexe de facteurs culturels ou socio-économiques.
Pendant longtemps on a recherché une cause simple, unique à l’origine du vieillissement, un gène de longévité ou le déclin d’une fonction essentielle et unique ; cette manière de voir est erronée.
Le vieillissement est un processus multifactoriel
Il y a maintenant un consensus pour penser que le vieillissement n’est pas programmé et que, même s’il existe des gènes affectant la longévité, cette composante héréditaire influence finalement peu la durée de vie humaine moyenne.
Ce que l’on appelle la sénescence réplicative est le fait que, in vivo, certaines cellules perdent leur capacité de se diviser, mais, d’une part, il est des tissus dont les cellules ne peuvent se diviser à l’âge adulte, ces tissus vieillissent quand même ; mais il est d’autres formes de vieillissement cellulaire, comme la fibrose, qui n’ont rien à voir avec la perte de cette seule propriété.
On ne peut en 2005 réduire le vieillissement à un seul processus, voire à une seule théorie et définir le vieillissement est aussi difficile et hasardeux que de définir la vie. Il existe un grand nombre de théories du vieillissement, aucune ne rend compte de la globalité du processus, chaque théorie ne rend compte que de l’un des aspects de ce processus très complexe, mais chacun de ces aspects est réel ; en d’autres termes, chacune de ces théories repose sur une donnée exacte, mais aucune ne rend compte de tous les aspects du vieillissement.
L’une des difficultés pour appliquer ces données expérimentales à l’homme est que, chez l’homme, la situation est d’une grande hétérogénéité, l’hétérogénéité ayant tendance à croître avec l’âge. De plus, les deux seules « thérapies » validées du vieillissement sont, tous les cardiologues le savent, la restriction calorique et l’exercice physique. Le message passe, et cela accroît l’hétérogénéité.
Le vieillissement cardiovasculaire dans son ensemble
Du vieillissement CV, les différents aspects sont résumés dans l’encadré 1.
Le vieillissement cardiovasculaire n’est que l’expression régionale d’un processus biologique général irréversible qui touche tous les tissus. Le cœur sénescent reflète à la fois ce processus général, le vieillissement endocrinien et le vieillissement du système artériel. Le processus général du vieillissement en soi diminue les compliances artérielles et ventriculaires gauches, essentiellement du fait du développement d’une fibrose qui compense la perte des cardiocytes ; de plus, il modifie la structure de la paroi artérielle essentiellement par glycation, et la rend plus vulnérable aux facteurs de risque d’athérosclérose (encadré 2).
L’insuffisance coronarienne, l’insuffisance cardiaque, les accidents vasculaires cérébraux sont des maladies du sujet âgé ; l’âge facilite l’émergence d’affections génétiques à pénétrance faible ; l’âge prolonge le contact avec des facteurs de risque comme le tabac, la surnutrition, le diabète, l’hypertension artérielle, le cholestérol et la pollution atmosphérique ; l’âge enfin est associé à la sédentarité, l’isolement psychologique et la pauvreté qui sont des facteurs de risque indépendants. Rares sont les études, comme la Baltimore Longitudinal Study of Aging réalisée par le Ed. Lakatta et son épouse au NIH, chez des sujets âgés sans antécédents coronariens, avec un ECG au repos et à l’effort et une épreuve au thallium normaux. Elles seules permettent d’éliminer, autant que faire se peut (car la sensibilité à l’ischémie augmente avec l’âge), les insuffisances coronariennes latentes. Il y a maintenant un grand nombre d’arguments cliniques et expérimentaux qui permettent d’affirmer qu’avec l’âge, et en dehors de cette pathologie, la fonction cardiaque est modifiée.
Le vieillissement myocardique
Débit cardiaque au repos et à l’effort
Le myocarde du sujet âgé n’est normal ni au plan physiologique, ni aux plans biologique et moléculaire, si l’on considère que la norme est le jeune adulte, mais pendant très longtemps la plupart des anomalies sont compensées à la fois au repos par la contraction de l’oreillette gauche et, à l’effort, par la mise en jeu de la loi de Starling. Le débit cardiaque au repos des personnes âgées est normal, à condition d’être mesuré comme cela a été fait dans l’étude de référence précitée. L’âge réduit, bien évidemment, les performances à l’effort et en particulier la VO2max (de 5 à 10 % par décade entre 25 et 75 ans), mais ce paramètre ne dépend pas du seul débit cardiaque ; il dépend aussi de la fonction pulmonaire et de la fraction d’oxygène extraite par le muscle. Les innombrables travaux consacrés à ce sujet ont montré que le myocarde n’était pas le premier coupable. En revanche, les sujets âgés ont une réponse aux catécholamines réduites et, à l’effort, ils augmentent leur débit non pas en accélérant leur fréquence cardiaque, mais en jouant sur la loi de Starling, c’est-à-dire essentiellement en augmentant leur volume d’éjection (figures 1 A et B).
Figure 1. Les composants du débit cardiaque chez l’homme jeune ou âgé. Il s’agit d’une représentation schématique des résultats de l’étude de Baltimore. A. Le débit cardiaque est le produit de la fréquence cardiaque par le volume d’éjection. À l’effort, le sujet jeune augmente son débit essentiellement du fait de la tachycardie. Avec l’âge, la réponse sympathique est atténuée, la tachycardie à l’effort est réduite, mais le sujet âgé arrive à maintenir un débit cardiaque dans les limites de la normale en augmentant son volume télédiastolique, c’est-à-dire en jouant sur la loi de Starling. B. En haut : en effet, chez le sujet jeune, le volume télédiastolique a tendance à diminuer à l’effort et le facteur majeur responsable de l’élévation du débit cardiaque est la tachycardie. Au contraire, chez le sujet âgé, pour un même débit cardiaque, la participation du volume s’accroît. B. En bas : pour une même augmentation du débit cardiaque, le volume télésystolique est plus élevé chez le sujet âgé que chez le sujet jeune.
La fonction diastolique
La compliance ventriculaire et la vitesse de remplissage diastolique précoce du ventricule diminuent progressivement avec l’âge pour trois raisons, une augmentation de la fibrose due au processus général du vieillissement, une altération de la captation du calcium par le reticulum sarcoplasmique due à la surcharge d’impédance du ventricule gauche et une diminution de la réserve coronarienne. Cette diminution rend compte des modifications de l’onde E à l’échocardiographie ; elle est compensée par une augmentation du remplissage due à la contraction des oreillettes, laquelle se traduit par une augmentation de l’onde A. Les études faites sur des oreillettes ont montré que leur structure moléculaire était modifiée en vue d’assurer une meilleure économie de la contraction auriculaire. Le dysfonctionnement diastolique est une des caractéristiques majeures du cœur sénescent.
L’hypertrophie ventriculaire gauche compensée
L’impédance caractéristique de l’aorte est la vraie charge du ventricule gauche. Elle dépend de la rigidité du vaisseau, des résistances périphériques, de la viscosité du sang et des ondes en retour. Les modifications de l’impédance aortique au cours du vieillissement entraînent une véritable surcharge d’impédance qui est cause d’hypertrophie ventriculaire gauche. L’hypertrophie n’existe pas à droite parce que l’impédance de l’artère pulmonaire est à l’état basal faible et les modifications qui peuvent survenir sont insuffisantes pour modifier la charge du VD. Expérimentalement, on peut démontrer que cette surcharge d’impédance est longtemps compensée par les mécanismes classiques de compensation qui existent dans toute surcharge ventriculaire de pression (comme les modifications de la densité en récepteurs membranaires, les récepteurs à l’angiotensine II en particulier), et que l’économie du système, au sens thermodynamique de ce terme, est maintenue.
Rythme cardiaque
Le sujet âgé est souvent en arythmie ; ceci se retrouve également chez l’animal, les troubles du rythme les plus fréquents étant les extrasystoles supraventriculaires ou ventriculaires isolées ou groupées, et les blocs de conduction. Ces arythmies apparaissent à l’effort, même au cours des épreuves d’effort courtes. Cette prévalence a été confirmée dans l’étude de Framingham. La fréquence cardiaque et sa variabilité diminuent avec l’âge, ce qui est également vrai après dénervation pharmacologique. La diminution de la variabilité du rythme est également une des caractéristiques de l’âge ; elle porte sur les deux types d’oscillations identifiées par analyse spectrale (oscillations de basse fréquence d’origine surtout sympathique, oscillations de fréquence élevée d’origine respiratoire et vagale).
Existe-t-il une insuffisance cardiaque propre au sujet âgé à coronaires normales ?
La réponse est difficile en clinique humaine pour les raisons précitées, et il est toujours difficile d’éliminer formellement une insuffisance coronarienne latente, surtout chez des sujets très âgés. Un récent travail expérimental de l’équipe de S. Besse (Rozenberg 2006) apporte sur cette importante question un éclairage nouveau. Le rat ne fait jamais d’athérosclérose, cette particularité est connue depuis longtemps ; il faut pour créer de l’athérosclérose dans cette espèce animale lui faire subir un régime alimentaire compliqué enrichi en hormones, qui n’a rien de naturel. Un rat adulte a environ 8 à 14 mois, un rat de 24 mois est l’équivalent d’un homme de 65 ans et un rat de 28 mois l’équivalent d’un homme de 85 ans. Dans ce travail difficile, les auteurs retrouvent, à 28 mois, une dépression sévère de la fonction contractile avec un quasi-doublement de la pression télédiastolique. La mortalité spontanée de ces animaux est d’environ 50 %. Cela peut-il être appliqué à l’homme ?
Le vieillissement artériel
Il est difficile d’isoler la physiologie vasculaire lorsque l’on parle de sénescence cardiaque. Au cours du vieillissement, le diamètre et la longueur des artères augmentent, l’intima et la média de la paroi s’épaississent, les artères deviennent plus rigides mais les résistances périphériques ne sont pas modifiées par l’âge. L’âge est également associé à un dysfonctionnement endothélial. L’hypertension reste une maladie et doit être traitée comme telle chez les sujets âgés, mais l’une des caractéristiques majeures de l’âge, c’est l’abaissement de la pression diastolique et surtout une élévation de la pression pulsée.
L’impédance caractéristique de l’aorte augmente avec l’âge (l’impédance est aux pressions et débits pulsatiles ce que la résistance est à un écoulement continu). Les mêmes altérations se retrouvent au niveau des coronaires, elles rendent compte à la fois de la diminution de la réserve coronaire et de l’augmentation de la sensibilité du myocarde à l’ischémie qui sont toutes deux des constantes du cœur sénescent, chez l’homme et chez l’animal. Enfin, fait important, les changements de l’impédance artérielle sont réversibles ; plusieurs travaux ont montré en particulier les effets protecteurs d’une activité physique régulière.
En pratique
L’impédance caractéristique de l’aorte est augmentée.
De ce fait le ventricule gauche est soumis à une surcharge d’impédance, et il y a hypertrophie compensée gauche (au niveau des cardiocytes).
La réserve coronaire est diminuée et le cœur âgé est plus sensible aux effets délétères de l’ischémie.
Le contenu en collagène du myocarde croit avec l’âge et rend compte à la fois d’une dysfonction diastolique latente mais compensée.
Les troubles du rythme bénins ou moins bénins (fibrillation auriculaire) sont presque la règle à un certain âge.
Le meilleur marqueur artériel, ce n’est pas la pression systolique, mais la pression différentielle qui augmente avec l’âge.
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