Publié le 30 sep 2011Lecture 7 min
La fistule atrio-œsophagienne dans l’ablation de la fibrillation atriale
B. GUY-MOYAT, F. TRÉGUER, É. MARIJON, S. FAZAA, J.-P. ALBENQUE, N. COMBES, S. COMBES, M. LAPEYRE*, S. BOVEDA, département de rythmologie et service de radiologie*, Clinique Pasteur, Toulouse
La fistule atrio-œsophagienne est une complication classique mais heureusement exceptionnelle de l’ablation par radiofréquence de la fibrillation auriculaire. Son incidence est de 0,03 %, mais elle est gravissime avec une létalité de 71 à 83 %. La prévention de cette complication est donc essentielle. En cas de symptôme évocateur, la prise en charge diagnostique et thérapeutique, le plus souvent par voie chirurgicale, est urgente afin d’éviter une évolution le plus souvent rapidement fatale.
L’ablation de la fibrillation atriale (FA) est devenue ces dernières années le traitement de choix pour les patients restant symptomatiques sous traitement médicamenteux. En effet, cette procédure permet de guérir 70 à 80 % des patients atteints de FA paroxystique au prix de 3 % de complications et d’une mortalité de 0,01 %.
La fistule atrio-œsophagienne (FAO) en est une complication exceptionnelle dont l’incidence est de 0,03 %(1), mais gravissime avec une létalité de 71 à 83 %(2). Après la tamponnade, elle représente la 2e cause de mortalité, soit 15,6 % des décès attribuables à cette procédure ablative.
Physiopathologie
Initialement, les premiers cas de FAO ont été observés après réalisation de lignes de radiofréquence (RF) sur le versant endocardique de l’oreillette gauche (OG) au cours de chirurgie à cœur ouvert(3). Cette complication a été rapportée ultérieurement après des procédures percutanées avec les cathéters de radiofréquence de 8 mm(4).
Sur le plan anatomique, la paroi antérieure de l’œsophage est en contact direct avec le mur postérieur de l’OG(5). Le trajet de l’œsophage est oblique vers le bas, la gauche et en arrière, et ses rapports avec l’OG se modifient en fonction de la position du sujet (orthostatisme/décubitus), si bien que la zone la plus proche de la paroi postérieure de l’OG varie d’un patient à l’autre et chez un même patient(6). Sur des études scannographiques, la zone de contact entre ces structures s’étend sur 15 mm de large et 24 mm de hauteur en moyenne. Habituellement, l’œsophage est plus proche des veines pulmonaires gauches que des droites(7) (figure).
L’épaisseur de tissu qui sépare la paroi antérieure de l’œsophage du mur postérieur de l’OG est très variable d’un sujet à un autre, notamment en fonction de la répartition du tissu adipeux et des « fat pads » (coussinets graisseux renfermant les ganglions parasympathiques) : sur des images de TDM thoraciques, on observe un fat pad entre l’OG et l’œsophage chez 65 % à 98 % des patients, dont l’épaisseur moyenne est de 1 mm, mais pouvant varier de 0,4 à 2,8 mm(7,8).
Lors de l’application d’un courant de radiofréquence à la surface d’un tissu, l’énergie est transmise par échauffement résistif sur une très courte distance (énergie proportionnelle à 1/d4 où d représente la distance de l’électrode) puis par conduction. Si l’énergie transférée au tissu diminue rapidement en s’éloignant de l’électrode délivrant le courant de radiofréquence, l’application d’une énergie trop importante induit un transfert d’énergie calorique par conduction aux tissus adjacents avec possibilité d’induire des lésions thermiques indésirables et des dommages collatéraux aux structures immédiatement en contact : artère coronaire, nerf phrénique, médiastin, œsophage, etc. En attestent les modifications de l’aspect échographique du médiastin que l’on peut observer chez 27 % de patients ayant bénéficié d’une isolation linéaire des veines pulmonaires par RF(9).
Ces considérations anatomiques et physiques expliquent que des lésions de RF puissent être profondes et atteindre la paroi œsophagienne. Les lésions thermiques de l’œsophage observées par endoscopie vont de l’érythème de la muqueuse à l’ulcération nécrotique. À un stade ultime, des ulcérations profondes conduisent à la mise en continuité de la lumière de l’œsophage avec la cavité atriale, aboutissant donc à la formation d’une FAO. Les ESUL (Esophageal Ulceration) sont donc considérées comme les lésions annonçant une FAO(10). En fonction du type de cathéter utilisé, de l’énergie délivrée sur la paroi postérieure de l’OG, la fréquence des ESUL dépistées par endoscopie varie considérablement, de 2 à 57 %. En limitant l’énergie (puissance maximale de 25 W en postérieur), l’incidence de ces lésions est estimée à 2,9 % seulement(11).
Coupes scannographiques transversale (A) et sagittale (B). Notez les liens étroits entre l’œsophage (étoiles) et la paroi postérieure de l’oreillette gauche.
Manifestations cliniques
Classiquement, la FAO se manifeste à partir du 3e jour suivant la procédure (entre le 3e et le 41e jour pour les cas publiés) par un tableau clinique associant :
• douleur thoracique ;
• syndrome septique avec fièvre ;
• signes neurologiques :
– déficits neurologiques survenant parfois en postprandial avec à l’imagerie des embolies gazeuses multiples et diffuses,
– crises convulsives ;
• hémorragie digestive pouvant être cataclysmique.
Prise en charge diagnostique et thérapeutique
La FAO constitue une urgence vitale. Évoquer le diagnostic doit donc conduire à le confirmer en urgence. Dans ce contexte, on réalise :
• une ETT à la recherche d’un épanchement péricardique ;
• une radiographie thoracique pouvant déceler un pneumopéricarde ;
• une imagerie cérébrale en cas de signe neurologique ;
• une tomodensitométrie du thorax après ingestion de produit de contraste hydrosoluble qui va confirmer le diagnostic.
Par contre, il est formellement contre-indiqué de réaliser :
• une gastroscopie en présence d’une hémorragie digestive, car l’insufflation d’air sous pression risque de provoquer une embolie gazeuse massive et fatale ;
• une ETO en contexte septique.
Dès confirmation du diagnostic, le traitement est urgent. La prise en charge chirurgicale consiste à réparer la paroi atriale en suturant un patch de péricarde sur le mur postérieur, puis la paroi œsophagienne. La voie d’abord peut être une thoracotomie ou une sternotomie(12). La mise en place d’une CEC n’est pas systématique. Un drain médiastinal et un drain péricardique peuvent être mis en place pour des lavages. Une sonde de gastrostomie permet une alimentation entérale en postopératoire le temps de la cicatrisation tissulaire.
Des essais de stenting provisoire de l’œsophage, en attendant la réparation chirugicale, ont été essayés avec des résultats mitigés. Malheureusement, le diagnostic reste souvent trop tardif et l’issue est régulièrement fatale avant l’intervention chirurgicale.
Circonstances favorisantes et traitement préventif
Du fait du caractère exceptionnel de cette complication, il est difficile d’évaluer de manière prospective des mesures préventives potentielles. L’ensemble du traitement préventif repose donc sur des essais cliniques ayant étudié l’incidence des ESUL lors d’œsophagoscopies systématiques en postinterventionnel, en postulant qu’il s’agit de signes précurseurs de FAO.
Les circonstances favorisant la survenue d’ESUL sont :
• l’énergie délivrée sur le mur postérieur de l’OG(11) ;
• la présence d’une sonde nasogastrique sous anesthésie générale(11) ou d’une sonde de monitoring de la température intraluminale de l’œsophage(13) ;
• la réalisation de lignes de radiofréquence (topographie, intersections de lignes) ;
• le type de FA : en cas de FA persistante, en réalise plus fréquemment une segmentation de l’OG par des lignes qu’en cas de FA paroxystique ;
• une maigreur extrême(14) avec diminution du tissu adipeux entre OG et œsophage.
Plusieurs mesures préventives ont été envisagées :
• limiter l’énergie délivrée sur le mur postérieur à 25 W(11) ;
• éviter les applications de RF à proximité de l’œsophage en visualisant sa lumière par ingestion d’un produit de contraste baryté ;
• éviter la mise en place d’une sonde nasogastrique ou de laisser la sonde d’ETO en place en cours de procédure ;
• monitorer la température intra-œsophagienne qui est malheureusement mal corrélée à la température tissulaire : lorsque la température intraluminale s’élève, la température pariétale a déjà atteint le seuil des lésions thermiques(15) ;
• refroidir l’œsophage en cours de procédure au moyen d’un ballon réfrigéré par un circuit d’irrigation interne(16) ;
• monitorer l’aspect de la lésion de radiofréquence par échographie intracardiaque, l’observation de « microbulles » étant prédictive de l’apparition d’ESUL(17).
En cas d’apparition d’ESUL, un traitement par IPP est instauré. Toutefois, la réalisation d’une œsophagoscopie n’étant pas systématique en routine, en dehors de protocoles de recherche clinique, la prescription d’un IPP à titre systématique s’est généralisée.
Par ailleurs, dans le domaine des énergies alternatives à la radiofréquence, nous noterons que si un cas de FAO a été rapporté après isolation des veines pulmonaires au moyen d’un ballon délivrant des ultrasons(18), il n’y a pas dans la littérature de description de cas similaire après cryoblation.
Conclusion
La survenue d’une fistule atrio-œsophagienne après ablation de FA par radiofréquence est exceptionnelle. La prévention par des mesures simples de cette complication gravissime est essentielle. Par ailleurs, en cas de symptôme évocateur, la prise en charge diagnostique et thérapeutique, le plus souvent par voie chirurgicale, est urgente afin d’éviter une évolution le plus souvent rapidement fatale.
Références sur demande à la rédaction : biblio@rythmologies.com
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