Publié le 30 sep 2014Lecture 12 min
La stimulation sans sonde, présent et avenir
P. RITTER*, P. BORDACHAR, CHU de Bordeaux, Hôpital Haut-Lévêque, Pessac
C’est une vraie révolution ! Révolution ? Le mot est fort puisque voici la définition que l’on trouve dans le Larousse : « changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d’un État, qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir ».
Alors, prenons chaque corps de cette définition, et voyons si cette dernière est applicable à la stimulation sans sonde, et nous saurons s’il s’agit bien d’une révolution ou non.
Changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d’un État…
Pour un changement, c’en est un ! Nous vivons avec le concept du boîtier mis en place en position pré- ou sous-pectorale, avec une ou plusieurs sondes glissées dans les veines céphalique et/ou sous-clavière pour faire le lien entre cœur et stimulateur. Exceptionnellement, le stimulateur est placé en position épigastrique avec des sondes épicardiques mises en place par voie chirurgicale. Ceci est l’état des lieux depuis les origines, c’est-à-dire depuis 1958.
Et voilà que les stimulateurs sans sonde apparaissent, bousculant ainsi l’ordre établi et la tradition : le changement est brusque et violent. Plus de boîtier au niveau du thorax antérieur sous-claviculaire, plus de sonde. Simplement une capsule amenée dans le ventricule droit par voie fémorale droite. Actuellement, deux compagnies proposent ce concept : St. Jude Medical avec Nanostim™ et Medtronic avec Micra™.
Indications
Dans les deux cas, il ne s’agit « que » d’un stimulateur VVIR de sorte que beaucoup de collègues considèrent qu’il s’agit d’un retour en arrière. Mais ils sont trop pressés car c’est une première étape qui ouvre la porte sur une technologie qui dans quelque temps deviendra universelle quand une gamme complète sera disponible.
L’indication idéale de cette technologie naissante est la fibrillation atriale lente et le bloc atrioventriculaire paroxystique.
Dans l’état actuel de cette technologie naissante, l’indication idéale est la fibrillation atriale lente et le bloc atrioventriculaire paroxystique. Dans le cas du bloc atrioventriculaire complet permanent, l’indication peut être discutée, car s’il est démontré que stimulateurs DDD et VVIR offrent la même espérance de vie, les premiers ajoutent plus de confort. De surcroît, la présence d’une conduction rétrograde (40 % des cas au repos et plus à l’effort) incite à poser plutôt un stimulateur DDD dans la crainte légitime d’induire un syndrome du pacemaker VVIR.
Description
Nanostim™ est une capsule cylindrique de 42 mm de long et 6 mm de diamètre, et Micra™, de 24 mm sur 8 mm (figures 1 et 2). Ils sont munis d’un accéléromètre pour l’asservissement, sont IRM compatibles et leur durée de vie est estimée entre 7,5 et 15 ans en fonction des paramètres programmés et du taux de stimulation. La cathode est fixée sur la capsule et correspond aux électrodes standard des sondes de stimulation. Les systèmes sont programmables avec les programmateurs habituels. Une distance maximale de communication est tolérée (attention aux hyperobèses), entre la capsule placée dans le ventricule droit, et la surface du thorax, là où est placée la tête de télémétrie du programmateur pour communiquer.
Figure 1. Le stimulateur Nanostim™ de St. Jude Medical : 42 mm de long, 6 de diamètre, un accrochage par vissage. La référence de taille est le quarter américain.
Figure 2. Le stimulateur Micra™ de Medtronic : 24 mm de long, 8 de diamètre, accrochage par 4 barbes de nitinol. L’électrode distale est bien visible (du côté des barbes).
Quant à Micra™, il dispose d’un système de mesure automatique de contrôle de capture et de test de marge de sécurité, de mémoires encore limitées à un histogramme de fréquences et à des compteurs, d’une électronique prête à la télétransmission, mais pas encore utilisable en attendant les calculs précis de consommation.
Les systèmes de fixation sont différents : pour Nanostim™, une vis large, pour Micra™, quatre barbes en nitinol qui pénètrent le myocarde pour ensuite se plaquer le long de la capsule. La hantise dans tous les cas : la migration du système implanté qu’il faudrait alors rattraper au lasso… un exercice destiné à tester notre habileté, mais pas franchement souhaité ! D’où une recherche et un développement très poussés dans ce domaine.
Mise en place
L’implantation est réalisée sous anesthésie locale à partir de l’aine droite, par voie veineuse fémorale. Elle exige l’utilisation d’un introducteur long, glissé jusque dans l’oreillette droite, puis d’un cathéter de délivrance qui amène le stimulateur dans le ventricule droit. Avant largage définitif, les tests classiques de stimulation/détection sont effectués. Si ceux-ci ne sont pas satisfaisants, il est possible de ramener le stimulateur dans la gaine de délivrance, le stimulateur étant retenu par un fil de rétention. Ce dernier est coupé et la capsule définitivement larguée quand les tests sont jugés corrects (détection de plus de 5 mV, impédance de plus de 500 ohms et seuil de stimulation de 1 volt ou moins, donc des critères qui sont ceux d’une implantation classique). Dès lors, s’il fallait replacer la capsule, il faudrait l’attraper avec un lasso pour glisser ensuite un autre système, mais ceci n’est jamais arrivé, dans l’expérience avec Micra™ en tout cas.
Les contre-indications à leur utilisation sont de nature mécanique : présence de tortuosités très importantes de la veine iliaque, d’un clip cave ou d’une prothèse tricuspidienne.
Implantation : sous anesthésie locale à partir de l’aine droite, par voie veineuse fémorale. Contre-indications : tortuosités très importantes de la veine iliaque, clip cave ou prothèse tricuspidienne.
Résultats
Pour l’instant, les deux stimulateurs sont proposés dans le cadre d’essais de faisabilité, de sécurité et d’homologation, et nous sommes donc très loin de pouvoir fournir des chiffres précis concernant les paramètres d’implantation et le taux de complications. Et d’ailleurs nous n’y sommes pas autorisés avant publication dans le cas de Micra™. De surcroît, seules quelques centaines de patients ont bénéficié de la technique et l’on ne pourra tirer des conclusions que bien plus tard.
L’équipe hollandaise de Nanostim™ a récemment présenté à l’ESC les résultats des 33 premiers patients suivis sur 12 mois (âge moyen 82 ans (65-91) ; 3/4 d’hommes) qui corroborent l’impression générale que génère la technique, mais attention aux excès d’enthousiasme (figures 3 et 4). Le temps moyen d’implantation est de 40 minutes et diminue avec l’expérience, les seuils sont excellents et surtout stables. Pas de migration, pas d’infection. Un cas d’explantation a été rapporté en raison d’une conversion de l’indication de simple stimulation en défibrillation.
Figure 3. Évolution du seuil moyen de stimulation des 33 patients implantés avec Nanostim™ sur 12 mois. A : voisin de 0,75 volt à l’implantation, le seuil moyen descend à 0,35 et reste stable dans le temps. B : l’amplitude moyenne de l’onde R évolue de la même façon, passant en moyenne de 8 à 10 mV pour rester stable.
Figure 4. Évolution du l’impédance moyenne de stimulation à l’implantation des 33 patients avec Nanostim™ sur 12 mois. A : voisine de 750 ohms. B : conséquence de ces excellents paramètres de fonctionnement, une consommation énergétique extrêmement faible expliquant le maintien de l’état de la batterie et laissant présager d’une durée de vie exceptionnellement longue.
Dans l’expérience avec Micra™ (qui n’a débuté qu’en décembre dernier…), les bientôt 200 patients implantés dans le monde ont un seuil de stimulation à l’implantation en moyenne bien inférieur au volt (pour une impulsion de 0,24 ms, la chronaxie est très faible), avec une détection voisine de 10 mV et une impédance voisine de 700 ohms. Comparativement à la méthode traditionnelle, ces premiers résultats sont donc extrêmement encourageants ! En termes de complications, toujours pour Micra™, on relève un cas d’épanchement péricardique sans tamponnade, mais dans un contexte de difficultés à trouver de bons seuils à l’implantation avec 18 repositionnements du système : une forme d’acharnement qu’il ne faut guère conseiller !
Pas de migration de matériel et pas d’infection.
Ce qui est certain, c’est le confort du patient implanté avec ce type de stimulateur, qui ne présente aucune douleur, n’a aucun soin infirmier à faire effectuer et qui est heureux de participer à cette… révolution.
Revenons donc à notre définition. Il s’agit bien d’un changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d’un État, une rupture technologique !
Qu’en est-il de la suite de la définition ?
… Un groupe se révolte contre les autorités en place…
Un ras-le-bol !
En effet, n’en avez-vous pas assez de toutes ces complications liées à la loge du stimulateur, des douleurs locales, des hématomes, des infections et extrusions ? N’en avez-vous pas assez des complications liées aux sondes, les pneumothorax voire plus, les déplacements, ruptures d’isolant ou de conducteur, thromboses de veine ou infections (figure 5) ? Ne tremblez-vous pas au moment de ces extractions oh combien périlleuses ?
Voilà pourquoi on peut parler de révolte contre l’autorité en place, celle du boîtier de stimulation relié au cœur par sa ou ses sondes. La technique du stimulateur sans sonde bouscule cette longue histoire.
Figure 5. Complications sur des stimulateurs « classiques ». 1 : Hématome postimplantation avec nécrose cutanée, conduisant immanquablement à l’infection (7) ; 2 : extrusion du boîtier par érosion progressive des téguments ; 3 : rupture de la sonde à son passage sous la clavicule ; 4 : érosion de l’isolant de la sonde, cet aspect correspondant à un frottement de celle-ci sur le bord du boîtier dans sa loge ; 5 : divers aspects d’usure ou de rupture d’isolant et de conducteur ; 6 : sténose de la veine sous-clavière évoluant vers l’occlusion complète et compromettant l’avenir chez les sujets jeunes. 7 : Twiddler syndrome.
Des complications prévisibles, mais encore inconnues
Bien sûr, et comme toujours dans ce métier, quand une difficulté est résolue, une autre est créée ! La stimulation sans sonde élimine les complications liées à la présence du boîtier et des sondes. Mais comment savoir dorénavant qu’un patient est porteur d’un stimulateur s’il n’est pas en mesure de le dire et qu’aucune carte de porteur n’est présente dans le portefeuille ? La réponse ne pourra être apportée que par un cliché de thorax qui révélera alors la présence d’une balle dans le cœur (figure 6) !
Figure 6. Aspect radiographique d’un stimulateur Nanostim™ placé à l’apex du ventricule droit.
L’abord fémoral est veineux, limitant les risques de saignement local
Le diamètre de l’introducteur nécessaire à l’implantation de Micra™ est de 28 F, ce qui correspond à un peu plus de 9 mm. Beaucoup de patients sont anticoagulés, tous les introducteurs et cathéters sont héparinés, mais les complications hémorragiques sont étonnamment réduites et mineures, et peuvent être prévenues par une ponction soigneuse et une compression respectant les règles.
Qu’adviendra-t-il en cas de survenue d’une infection de la capsule ?
Oui, la surface totale du Micra™ est près de deux fois moins importante que celle de la portion endovasculaire d’une sonde ventriculaire, de son point d’entrée dans la sous-clavière jusqu’au cœur. Oui, les infections de sonde démarrent le plus souvent à partir des loges de boîtier. Oui, le stimulateur est métallique et se laisse endothélialiser. En conséquence, la prévalence d’infection devrait être minime. Mais le jour où le système sera infecté, que faudra-t-il faire ? Une explantation pourrait nécessiter une chirurgie avec CEC !
Que faudra-t-il faire si le système migre ?
La réponse actuelle est l’utilisation d’un lasso qui permet d’attraper la boule située à l’arrière du système, là où passe initialement le fil de rétention. Si les auteurs de cet article ont été entraînés à cet exercice, mais dans des conditions idéales, que se passera-t-il quand la capsule sera dans l’artère pulmonaire ou ses branches ou bien se sera retournée en exposant son « nez » plutôt que son « derrière » et sa boule de capture ? Un chirurgien risque d’être sollicité…
Quand la batterie sera épuisée, que faudra-t-il faire ?
Explanter ? Non, car la capsule a toutes les chances d’être endothélialisée. Placer un autre système à côté ? Oui, c’est la réponse actuelle. Micra™ pèse 2 g et a un volume de 0,8 cm3, la cavité ventriculaire droite peut donc supporter un autre stimulateur. Certes, mais que proposerons-nous dans 10 ans ? Le stimulateur sans sonde sera certainement plus petit, plus léger, et puis le posera-t-on encore dans le ventricule droit ? Ne sera-t-il pas placé à la surface du ventricule dans l’espace péricardique par voie épigastrique transcutanée ?
Cette nouvelle technique est en mesure de réduire considérablement le taux global des complications de la stimulation classique, mais elle nous réserve certainement des surprises que nous ne connaissons pas encore.
La révolte contre l’État est donc bien justifiée, mais la suite de notre définition se vérifiera-t-elle ?
… Un groupe… prend le pouvoir
Le stimulateur sans sonde va-t-il supplanter le stimulateur avec sonde ?
La réponse n’engage que les auteurs. En termes de stimulation VVIR, la réponse est déjà oui. Des fonctions et une durée de vie équivalentes, une implantation simple avec un respect strict des recommandations et qui exige un apprentissage sérieux (c’est une nouvelle technique), un fonctionnement exemplaire jusque-là, une probable réduction du taux de complications : pourquoi refuser l’évidence ?
Stimulateur sans sonde à la place du stimulateur avec sonde ?
La prudence exige toutefois de réaliser les protocoles en cours et de tirer les conclusions honnêtes qui s’imposeront. Si les présomptions de qualité se vérifient, alors, la part des stimulateurs VVIR (de l’ordre de 15 % actuellement dans notre service) augmentera de nouveau probablement, car pourquoi implanter un système double chambre avec algorithme de préservation de la conduction AV en cas de BAV paroxystique rare, par exemple ? Un stimulateur sentinelle suffit et un stimulateur sans sonde est une réponse élégante. Sa présence n’empêche pas ensuite de mettre en place des systèmes plus complexes.
La recherche est très active actuellement : il faut passer au stimulateur double chambre
C’est techniquement assez facile à réaliser, avec deux capsules : une pour l’oreillette avec une fixation sûrement différente et une pour le ventricule. Mais il faut qu’elles communiquent ! Et communiquer coûte cher. Or, la technologie des batteries actuelles ne permet pas d’offrir des durées de vie acceptables, alors il va falloir trouver du courant autrement ou plutôt le fabriquer.
C’est l’objet d’une recherche chez Sorin qui, il y a bien longtemps, avait testé la possibilité de fabriquer du courant à partir des mouvements cardiaques, à la façon des montres à masselotte qu’on trouvait dans le commerce depuis plusieurs années. On peut aussi imaginer fabriquer de l’électron à partir d’autres sources, comme le glucose (une autre recherche Sorin), la température, l’oxygène… Nul doute que les ingénieurs trouveront une solution pour parvenir au système double chambre, même si l’on doit passer par une étape intermédiaire mixte : bout de sonde plus capsules.
L’étape du biventriculaire est plus lointaine et passe de toute façon par la défibrillation
Parlons-en. La défibrillation sans sonde endocavitaire existe déjà et commence à être bien utilisée en France (Boston Scientific). Cependant, si l’appareil peut choquer et stimuler à très haute énergie après le choc, il ne peut pas stimuler à basse énergie, ni a fortiori faire de la stimulation antitachycardique.
Plusieurs constructeurs travaillent sur la combinaison d’un défibrillateur sans sonde endocavitaire et d’un stimulateur sans sonde.
Là encore, une communication est nécessaire, mais cette fois, seulement lorsqu’un trouble du rythme sera détecté, donc sans véritablement compromettre la longévité de chaque appareil. Mais qui sera le chef d’orchestre : le stimulateur qui fait la stimulation antitachycardique et décide de son déclenchement jusqu’à ce qu’il donne l’ordre au défibrillateur de choquer, ou le défibrillateur qui détecte le trouble du rythme à traiter, donne l’ordre, ou les deux qui comparent leurs informations pour établir le bon diagnostic ? Il y a là matière à imaginer diverses solutions qui seront fort intéressantes à suivre !
Conclusion
Alors, le terme de révolution est-il applicable à la technique de stimulation sans sonde ? Pour les auteurs, certainement ! Et l’aventure ne fait que commencer !
Nous n’en avons pas vu tous les aspects, positifs et négatifs. Cependant, jusque-là, les résultats constatés correspondent aux attentes, et l’on ne voit pas bien comment la technique serait arrêtée par une difficulté majeure.
La suite va être très rapide car la concurrence entre constructeurs va être féroce sur cette nouvelle ligne de produits qui relance le métier. C’est un peu comme l’engouement que génère l’exploration du système solaire après un sommeil seulement apparent qui a suivi l’exploration lunaire.
*Le premier auteur est l’investigateur principal pour le système Micra™ de Medtronic. Dans cet article, plus de précisions seront apportées sur ce stimulateur, ce qui ne signifie nullement que le système Micra™ est meilleur, mais que l’auteur n’a pas accès aux informations des stimulateurs des autres marques.
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