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Mise au point

Publié le 15 déc 2017Lecture 13 min

Point de vue sur les recommandations ISHNE-HRS 2017 - L'ECG ambulatoire, le monitoring cardiaque et la télémétrie ECG

Pierre MAISON-BLANCHE, CMC Ambroise-Paré Neuilly-sur-Seine

Il est certainement inutile de présenter aux lecteurs de RythmologieS la Société savante Heart Rhythm Society (HRS, www.hrsonline.org), mais ils sont sans doute moins familiers avec la société internationale de Holter (ISHNE, www.ishne.org). Cette société (de son nom complet International Society for Holter and Noninvasive Electrocardiology) a été créée en 1988 pour promouvoir la recherche dans tous les domaines de l’électrocardiologie non invasive, et pas seulement le Holter proprement dit. Son président actuel est Niraj Varma (Cleveland, États-Unis) et le président sortant est Jonathan S. Steinberg (New York, États-Unis), les deux leaders de ces recommandations 2017. Les Annals of Noninvasive Electrocardiology sont le journal officiel de la société, un des deux journaux à comité de relecture dédiés à l’électrocardiologie avec le Journal of Electrocardiology. Son éditeur en chef est Wojciech Zareba (Rochester, États-Unis).

Ces recommandations étaient très attendues, puisque la référence scientifique toujours valide est le document « ACC/AHA Guidelines for Ambulatory Electrocardiography: Executive Summary and Recommendations, developed in Collaboration With the North American Society for Pacing and Electrophysiology », publié en 1999 dans la revue Circulation, le NASPE étant l’ancêtre de HRS(1). Entretemps, nous avons eu plusieurs recommandations ciblées sur certaines pathologies(2), par exemple récemment en 2017 pour la prise en charge des syncopes et l’ablation de la fibrillation auriculaire, les troubles du rythme ventriculaires, etc., mais c’est la première fois depuis 18 ans qu’une mise au point est faite, centrée sur l’enregistrement ECG ambulatoire. C’est d’ailleurs ce long délai entre les deux documents qui explique qu’un objectif essentiel de ces recommandations 2017 est une mise au point technique, tant les progrès ont été importants durant cette période, et alors que les cardiologues européens, et en particulier les cardiologues français, n’en ont pas toujours connaissance. Technologie Les avancées techniques sont parfaitement résumées par la figure 1, en fait déjà publiée en 2011 par Mittal et coll. dans J Am Coll Cardiol(3). On distingue donc maintenant 5 catégories d’enregistreurs ECG ambulatoire, si on accepte que la télémétrie ambulatoire en fait partie. Après une description détaillée de chaque méthode, les recommandations abordent le problème essentiel du choix de chaque catégorie d’appareil ECG, en fonction de l’indication clinique. Figure 1. Types de moniteurs ECG disponibles d’après Mittal et coll.(3). A : Holter de 24/48 h, enregistreurs d’événements manuels ou automatiques ; B : patch Holter et télémétrie ambulatoire. Les autres chapitres techniques du document concernent la configuration des dérivations ECG (notamment pour les Holter 12 dérivations, la configuration dite « de  Mason-Likar »), le traitement du signal ECG qui est maintenant toujours digital, l’analyse et l’interprétation des résultats (la variabilité sinusale, l’analyse de l’onde T sont maintenant de pratique courante), et pour finir les pièges à éviter. Il est ainsi rappelé que les erreurs d’interprétation peuvent se faire par excès et entraîner des examens complémentaires ou des traitements injustifiés, ou par omission, et passer à côté de troubles du rythme cliniquement significatifs(4). Pour des raisons de longueur, nous nous limiterons à la description des différentes méthodes ECG théoriquement disponibles, avec leurs avantages et inconvénients respectifs, et nous terminerons sur les politiques de remboursement, corollaires incontournables pour la disponibilité réelle de ces nouvelles technologies. Enregistreurs Holter proprement dits Les appareils Holter sont maintenant légers et de petite taille, mais ils nécessitent toujours que les patients portent des électrodes cutanées reliées à l’enregistreur par des câbles. Typiquement, on enregistre 2 dérivations bipolaires thoraciques, mais le nombre de dérivations peut aller jusqu’à 12. La durée d’enregistrement est le plus souvent de 24 à 48 heures, mais l’autonomie des appareils les plus récents peut permettre d’enregistrer de façon continue jusqu’à 30 jours. La participation du patient est essentielle, car il doit tenir un journal quotidien de ses activités, de ses traitements en cours et bien sûr de ses symptômes éventuels. Les enregistreurs ont un bouton marqueur d’événement que le patient doit utiliser afin d’obtenir une corrélation exacte dans le temps entre l’ECG et les symptômes. L’analyse de l’ECG se fait après l’enregistrement sur une station de travail dédiée, avec des logiciels spécifiques pour la variabilité sinusale, la dynamique de l’intervalle QT. On relèvera une erreur surprenante dans le chapitre consacré à l’analyse du signal ECG ambulatoire (AECG processing). Il y est dit que les logiciels Holter détectent les ondes P, QRS et T, alors que les ondes P ne sont pas détectées et qu’en 2017, le diagnostic de fibrillation auriculaire est donc toujours basé sur l’irrégularité des intervalles R-R ! Les patchs enregistreurs Ces patchs sont une nouvelle classe d’enregistreurs Holters, le boîtier enregistreur étant clipsé sur l’électrode patch ou même intégré à la fabrication dans l’électrode patch (et alors à usage unique). Ils sont extrêmement confortables pour le patient, car il n’y a plus de câbles encombrants et le patch est discret, généralement posé dans la région pectorale (figure 2). Figure 2. Patchs d’enregistrement continu de l’ECG. Le boîtier Holter est clipsé sur le patch cutané (A) et ensuite appliqué sur le thorax (B). Comme ils sont résistants à l’eau (mais pas réellement imperméables), le patient peut prendre une douche tout en portant le patch. La durée de l’enregistrement ECG continu peut aller jusqu’à 7, voire 14 jours. Citons deux produits à titre d’exemple, Zio-patch® de la société iRhythm Technologies (www.irhythmtech.com) et epatch® de la société Biotelemetry (www.gobio.com). L’analyse de l’ECG se fait après l’enregistrement sur une station de travail dédiée, comme pour le Holter standard. Toutefois, les sociétés qui fabriquent ces patchs ne sont pas les mêmes que celles qui fabriquent les boîtiers de Holter standard, et les logiciels d’analyse sont loin d’avoir toutes les fonctionnalités dont nous disposons pour un Holter de 24-48 heures. D’autre part, il est de bon sens de noter la distance inter-électrode très faible offerte dans ces patchs, ce qui donne selon le morphotype des patients une amplitude de tracé ECG plus ou moins microvoltée, parfaitement inadaptée à la détection des complexes QRS. Cette limite sera reprise plus loin (tableau 3). Les enregistreurs ECG discontinus à mémoire boucle Avec cette catégorie d’appareils, l’ECG n’est pas enregistré de façon continue mais de façon discontinue. L’enregistrement d’un ECG est soit déclenché manuellement par le patient, soit par un algorithme de détection automatique embarqué des troubles du rythme (bradycardie, pause, tachycardie, fibrillation auriculaire, etc. avec des seuils programmables à la pose de l’appareil). Ces appareils ont une mémoire dite « en boucle », c’est-à-dire que le tracé ECG avant le symptôme ou avant l’arythmie est gelé et disponible, jusqu’à plusieurs minutes avant l’événement. Le plus souvent, on enregistre deux dérivations bipolaires, jusqu’à 30 jours, avec des électrodes cutanées, reliées au boîtier enregistreur que le patient doit porter en permanence, et comme pour les Holters, la tolérance cutanée est un facteur limitant. La participation active du patient est nécessaire. Le logiciel de détection est embarqué dans l’appareil enregistreur car il doit faire en temps réel des diagnostics automatiques pour stocker des ECG. Les enregistreurs ECG externes Il s’agit d’une catégorie d’enregistreurs ECG discontinus, mais ils ne sont pas portés en permanence par le patient, seulement au moment d’un symptôme ou à la discrétion du patient (« routine ECG »). Ils sont appliqués sur le thorax par le patient. On les appelle donc des enregistreurs « post-événement ». Une version plus récente de ces appareils est embarquée dans un smartphone et l’ECG est enregistré entre les doigts des deux mains à l’aide d’une électrode métallique, elle-même clipsée sur le smartphone (figure 3). Ces smartphones ont, de plus, la capacité de transmettre quasiment en temps réel l’ECG au centre de surveillance ou au médecin. Citons, par exemple, le système développé par la société AliveCor, Kardia mobile®. Au congrès de l’ESC 2017 à Barcelone, il a été démontré que des ECG de routine réalisés 2 fois par semaine avaient un rendement diagnostique très supérieur à une prise en charge traditionnelle (Assessment of REmote HEArt Rhythm Sampling using the AliveCor heart monitor to scrEen for Atrial Fibrillation (The REHEARSE-AF study). La durée de surveillance potentielle est illimitée. L’analyse du tracé ECG ne se limite pas à la fréquence cardiaque, la reconnais- sance d’une fibrillation auriculaire est possible (www.alivecor.fr). Figure 3. Enregistreur ECG discontinu « post-événement » à l’aide d’une électrode métallique clipsée sur un smartphone, pouvant être transmis en temps réel à un centre de monitorage ou un médecin. La télémétrie ECG ambulatoire Avec cette catégorie d’appareil, l’ECG est à nouveau enregistré en continu sur plusieurs dérivations. Des électrodes cutanées sont donc portées de façon permanente. La caractéristique fondamentale est la transmission en temps réel de l’ECG par une liaison sans fil, d’abord à une station de transfert, puis à un centre de surveillance, d’où ce nom de « télémétrie ambulatoire ». Le flux d’ECG continu transmis est analysé en temps réel par des logiciels (les mêmes que ceux utilisés pour l’analyse d’un Holter standard) et des techniciennes formées à la technique du Holter. Des alarmes sont générées et les ECG correspondants transmis au cardiologue. On verra plus loin qu’en réalité, cette catégorie d’appareil n’est disponible qu’aux États-Unis, où elle est remboursée alors qu’elle ne l’est pas en Europe. Choix de la technique Le cardiologue a donc à sa disposition le choix entre différentes catégories d’appareils enregistreurs d’ECG. La décision sera basée sur les caractéristiques techniques du système (tableau 1), mais aussi et surtout en fonction du contexte clinique propre à chaque patient (tableau 2) et des avantages et inconvénients respectifs de chaque catégorie d’enregistreur (tableau 3). Le tableau 1 résume les principales spécifications techniques, enregistrement ECG continu ou discontinu, nombre de voies ECG, type d’électrodes, durée de la surveillance disponible, logiciels d’analyse. À ce jour, seul le Holter standard de 24 à 48 heures permet un enregistrement ECG continu de 12 dérivations indiqué pour la quantification précise d’anomalies telles que la morphologie des extrasystoles ventriculaires, ou encore l’ischémie myocardique. Le tableau 2 fournit le rendement diagnostique selon la pathologie. On voit ainsi que ce rendement est directement lié à la durée de l’enregistrement, et que le Holter standard de 24 à 48 heures n’est indiqué qu’en cas de palpitations quotidiennes. Les experts rappellent par ailleurs que la surveillance ambulatoire en matière de syncope nécessite d’avoir éliminé au préalable des causes graves. Pour finir, le tableau 3 résume les avantages et les limites de chaque catégorie d’appareil. Le cardiologue ne trouvera rien de nouveau dans ces 3 tableaux ; ils sont en parfaite concordance avec les recommandations déjà publiées pour chaque pathologie (syncope, troubles du rythme ventriculaire, fibrillation auriculaire). Par exemple, on savait déjà qu’une surveillance de 30 jours est recommandée pour détecter une fibrillation auriculaire silencieuse en cas d’accident vasculaire cérébral inexpliqué. Mais c’est la première fois depuis le document de 1999 que la technologie Holter est au centre du raisonnement médical. Politiques de remboursement Tout ceci reste en réalité assez théorique, notamment pour les cardiologues français englués dans une politique de remboursement obsolète, comme le souligne très bien ce point de vue d’expert. La télémétrie ambulatoire n’est en effet remboursée à ce jour qu’aux États-Unis, à un tarif de 669 dollars. Ceci n’est pas très grave car on reste assez perplexe sur les indications réelles de la télémétrie ambulatoire, qui semble plus une « solution à la recherche d’un problème » qu’autre chose. En revanche, c’est beaucoup plus grave pour les Holters de longue durée, dont le tarif de remboursement est de plus de 400 dollars aux États-Unis (en incluant l’immobilisation de l’appareil et l’interprétation), alors que rien n’est prévu dans la nomenclature des actes médicaux français. Le document a essayé de résumer les politiques hétérogènes de remboursement en Europe et on voit avec stupeur que les Holters longue durée ne sont toujours quasiment pas remboursés en Europe, et pas seulement en France. Il faut donc pondérer ces recommandations 2017 à l’aune de ce qui est disponible localement dans tel ou tel centre, hôpital ou clinique. Et être prêt à jongler pour essayer de suivre au mieux l’évolution de la science. Considérations légales L’aspect légal des nouvelles technologies d’enregistrement ECG est abordé dans plusieurs chapitres de ce document. Bien souvent, plus pour poser des questions que pour apporter des réponses. Par exemple, l’introduction des applications smartphone comme enregistreur d’ECG, accessibles au grand public sans aucune restriction, pose de multiples problèmes comme le fardeau pour les médecins de revoir des ECG de plus en plus nombreux, enregistrés par les patients, à la fois des ECG au moment de symptômes, mais aussi des ECG de routine (cf. supra l’étude REHEARSE-AF) sans compensation financière établie, ou le stockage de ces données, ou encore la sécurisation de la transmission de ces données par internet. Le niveau de validation des logiciels d’analyse du rythme cardiaque embarquées (pas seulement la fréquence cardiaque, mais aussi la détection automatique de troubles et notamment de fibrillation auriculaire) est encore mal contrôlé. La base de données MIT-BIH et les bases de données disponibles sur le site www.physionet.org sont les plus utilisées, mais elles sont loin de représenter tout l’éventail des troubles du rythme observés en clinique : par exemple, des fibrillations auriculaires régulièrement irrégulières, ou des troubles du rythme ventriculaires à QRS microvolté et large. En revanche, le groupe d’experts émet une proposition à destination des centres spécialisés de réception et d’analyse de ces masses de données ECG transmises par les appareils les plus récents. Il est dit que ces centres doivent mettre en place un service « 24/7/365 » c’est-à-dire 24 heures sur 24, tous les jours y compris dimanche et jours fériés. Les fournisseurs de tels services (il n’y en a pas encore en France, ces considérations concernent donc  uniquement les États-Unis, à ce jour tout au moins) sont encouragés à mettre en place des procédures de notification aux médecins référents, pour assurer à la fois la sécurité des patients en cas d’arythmie cardiaque sévère et la tranquillité des médecins sur leur téléphone portable. Le tableau 4 est un exemple d’arbre décisionnel (de bon sens) dont on comprend qu’il n’est pas adopté par le groupe d’experts, mais donné à titre d’exemple. Nous ne sommes pas concernés puisque nous de disposons pas de la télémétrie ambulatoire, mais cette réflexion est applicable à tous les actes Holter de télé-expertise, enregistreur d’événements avec ECG transmis par le patient, Holter transmis par des confrères… quel est l’implication légale d’un délai de réponse ? Dans cette rubrique, on insistera pour finir sur une des conséquences paradoxales des progrès techniques. Alors qu’en 2017, il n’y a toujours pas de référence sur ce qu’est un Holter de 24 heures « normal » (fréquence cardiaque, survenue d’extrasystoles, etc.), on a maintenant des masses de données ECG sur 14, voire 30 jours d’enregistrement continu. On y détecte sur de telles périodes de plus en plus d’arythmies auriculaires et/ou ventriculaires, plus ou moins soutenues, dont on ne connaît même pas la pertinence clinique. Les décisions que doit prendre le cardiologue sont ardues. Je me permets d’ailleurs de réparer une autre omission fâcheuse de ce point de vue d’experts. La seule bonne référence sur les valeurs normales dans un Holter ECG n’est pas citée(5), celle de Hingorani publiée en 2016 chez 1 273 sujets sains âgés de 18 à 65 ans. Recommandations Au final, les recommandations de ce document utilisent la classification usuelle selon les standards de l’AHA et de l’ACC(6). Pour la classe I, il existe des preuves ou un accord général qu’un Holter est utile ; pour la classe II, il existe des preuves conflictuelles ou une divergence d’opinion au sujet de l’utilité du Holter ; pour la classe IIa, les  opinions d’experts sont en faveur de l’utilité du Holter ; pour la classe IIb, l’utilité est moins bien établie. Quant au niveau de preuve, selon ces standards, il va de A (haut niveau de qualité, multiples essais randomisés, métaanalyses), à B avec au moins une étude randomisée (B-R) ou B sans étude randomisée (B-NR) ou C avec des données scientifiques limitées. Le tableau 5 résume les points de vue des expert ISHNE et HRS en 3 sections : le choix de la technique, les diverses pathologies particulières dans notre pratique quotidienne de rythmologue et l’évaluation du pronostic rythmique. Il confirme ce que nous avons appris ces dernières années et ne comporte pas de nouveauté particulière. Il aurait été bon de rappeler comment acquérir les compétences techniques et médicales nécessaires à l’interprétation Holter, confirmant ou améliorant ainsi les recommandations de 2001(7) qui donnaient le chiffre de 150 examens Holter à effectuer sous contrôle dans le centre de formation. ESV : extrasystoles ventriculaires FA : fibrillation auriculaire NSVT : salve de tachycardie ventriculaire (TV) non soutenue AVC : accident vasculaire cérébral EPS : exploration électrophysiologique programmée DVDA : dysplasie ventriculaire droite arythmogène Conclusion Pour conclure, ce document est le bienvenu, 18 ans après la publication de 1999, mais ceux qui suivent régulièrement la publication des recommandations sur les troubles du rythme n’apprendront rien de nouveau. Hormis quelques points faibles que nous avons relevés, les tableaux récapitulatifs sont clairs et centrés sur la méthodologie Holter et non pas sur la pathologie cardiaque. Nous devons maintenant parler de méthodes Holter, au pluriel, même si on peut oublier pour le moment la télémétrie ambulatoire. Espérons que ce document aidera à faire comprendre que la nomenclature française des actes médicaux est obsolète et nuit à la qualité de la prise en charge de nos patients.

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