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Polémique

Publié le 15 oct 2018Lecture 7 min

Pourquoi les chocs aggravent-ils la mortalité ?

Rémi CHAUVEL, CHU de Bordeaux

La programmation d’un défibrillateur implantable a pour but de prévenir la mort subite rythmique tout en limitant l’iatrogénie en termes de morbi-mortalité et de qualité de vie.

Deux thérapies sont disponibles pour traiter les arythmies ventriculaires : la stimulation antitachycardique (SAT) et le choc électrique interne (CEI). Les recommandations(1) tendent à privilégier la SAT lorsque celle-ci est utilisable (tachycardies ventriculaires monomorphes et stables). Les arguments en faveur de ce choix sont les suivants : – d’une part, la SAT est indolore ce qui améliore la qualité de vie des patients ; – d’autre part, les CEI sont gourmands en énergie (chaque CEI à énergie maximale ampute la durée de vie du boîtier de quelques semaines) ; – enfin, les CEI (appropriés comme inappropriés) sont associés à une augmentation de mortalité. Partant de là, le raccourci consistant à dire que privilégier la SAT par rapport aux chocs améliore la mortalité est facile à faire… Les études montrant un lien statistique entre CEI et mortalité sont nombreuses, comme MADIT-RIT(2) et des sous-études de MADIT II, de MADIT-CRT ou encore de SCD-HeFT. Par exemple, dans SCD-HeFT, la mortalité était 5 fois plus élevée dans le groupe ayant reçu au moins un choc approprié (figure 1) et 2 fois plus élevée pour les chocs inappropriés(1) (figure 2). Cependant, si ce lien statistique est démontré, celui de la causalité fait débat : Pourquoi les chocs aggravent-ils la mortalité ? La question corollaire de cette dernière étant : Les CEI sont-ils un facteur indépendant de mortalité ? La réponse aurait évidemment un impact majeur sur la programmation des thérapies, d’une part, et sur la réalisation des tests d’induction, d’autre part. Figure 1. Choc efficace sur arythmie ventriculaire rapide. Figure 2. Choc inapproprié sur interférence électrique externe. Afin d’approfondir cette question de causalité, plusieurs notions sont à considérer : • Certains chocs sont appropriés, d’autres non Ces derniers peuvent survenir lors d’une arythmie supraventriculaire (fibrillation auriculaire notamment), lors d’une tachycardie en 1 pour 1 (sinusale ou jonctionnelle), ou en l’absence de toute tachycardie en cas de surdétection (d’une activité électrique cardiaque ou musculaire extracardiaque, d’une interférence électrique externe, ou enfin de potentiels de rupture de sonde). • Parmi les chocs appropriés, certains sont dits « évitables » Le choc survient sur une vraie arythmie ventriculaire, mais qui se serait réduite spontanément sans thérapie. • Dans les zones de tachycardie ventriculaire, une SAT est souvent délivrée avant le CEI. • Au fil des ans, la programmation des défibrillateurs a évolué, passant d’une stratégie « agressive » à une stratégie « permissive » (allongement des durées de détection, zones avec discrimination plus rapides, SAT même pour des arythmies rapides, chocs exclusivement à énergie maximale). Ceci rend plus difficile la comparaison des études entre-elles. Voici différentes hypothèses de causalité CEI – mortalité : • Les CEI entraînent des dommages myocardiques et représentent un facteur de risque indépendant de mortalité. • Les CEI sur tachycardie ventriculaire lente entraînent un risque arythmogène et représentent un facteur de risque indépendant de mortalité. • Les CEI ne représentent pas un facteur de risque indépendant de mortalité mais sont associés à un facteur confondant qui est l’arythmie sous-jacente (ventriculaire en cas de choc approprié, supra-ventriculaire en cas de choc inapproprié) qui est, elle, un facteur de mortalité. • Les CEI ne représentent pas un facteur indépendant de mortalité, mais surviennent souvent après la réalisation de SAT, ces derniers en étant un. Sur ce sujet, la littérature est à la fois riche et très pauvre. De nombreuses études observationnelles ou rétrospectives abordent la question du lien statistique, mais très peu sont spécifiquement conçues pour étudier la question de la causalité. Concernant la question des dégâts myocardiques, une étude récente a mis en évidence une augmentation des taux de troponine US après réalisation de CEI lors de l’implantation(3), indépendamment de l’élévation liée au positionnement de la sonde et à celle due à l’induction éventuelle. Cependant ces taux restent très faibles et leur signification clinique est inconnue. Une étude phare sur le sujet : MADIT-RIT(2) Trois groupes ont été constitués : un groupe « standard » (première zone de thérapies à 170 bpm avec SAT puis chocs), un groupe « haute fréquence » (première zone à 200 bpm) et un groupe « thérapies retardées » avec une zone à 170 bpm mais un temps de détection allongé. Les deux derniers groupes présentaient moins de thérapies inappropriées (ainsi qu’appropriées) avec un gain en termes de mortalité (pour le groupe « haute fréquence »). Une des hypothèses avancées a donc logiquement été que la réduction du nombre de CEI en était la cause. Cependant, après une lecture approfondie de cette étude, on note deux détails importants : d’une part, tous les défibrillateurs étaient de marque Boston Scientific®, avec une discrimination en zone de TV du groupe « standard » programmée sur « début-stabilité » (sans analyse morphologique). Or, sur ces appareils, toute tachycardie sinusale (avec un début progressif et un rapport 1 pour 1 oreillettes-ventricules) est considérée comme ventriculaire dès lors que la fréquence atriale est supérieure au seuil programmé (nommé « A Fib »), dont la valeur nominale est… 170 bpm ! Ainsi, dans le groupe « standard », toute tachycardie sinusale (ou jonctionnelle) plus rapide que 170 bpm était traitée par SAT puis par chocs. Ceci représentait 73 % des thérapies inappropriées, contre seulement 19 % de FA ou flutter atrial ! Une analyse en sous-groupe séparant le groupe FA du groupe tachycardies sinusales aurait été intéressante. D’autre part, si l’on compare le nombre de SAT et de chocs inappropriés entre les groupes, on constate que les patients du groupe « standard » ont reçu environ 4 fois plus de chocs inappropriés mais également 11 fois plus de SAT inappropriées que dans le groupe « haute fréquence » ! Ainsi, une autre hypothèse serait que l’augmentation de la mortalité serait plutôt liée à l’effet arythmogène des SAT inappropriées. Les auteurs expliquent que ce phénomène arythmogène a été observé dans de nombreux cas, sans plus de précision. Une des conclusions de cette étude pourrait donc être reformulée ainsi : « Programmer, avec ce type d’appareil, une zone de détection à 170 bpm sans discrimination basée sur la morphologie augmente le taux de thérapies inappropriées (SAT et CEI) et la mortalité par rapport à une zone à 200 bpm ». La question de la causalité du lien CEI-mortalité À notre connaissance, une seule étude a été spécifiquement conçue pour répondre à cette question(4). Ce travail, issu du programme ALTITUDE, a l’inconvénient d’être rétrospectif mais il est multicentrique et regroupe plus de 3 000 patients choqués. Contrairement à l’analyse de MADIT-RIT, les patients ont été séparés en fonction de la présence ou non d’une arythmie supraventriculaire lors du choc inapproprié. Ici aussi, un nombre important de patients avait reçu un choc inapproprié non lié à une arythmie supraventriculaire : 17 % des patients avaient reçu un choc électrique pour tachycardie sinusale et 5 % pour surdétection. Ces chiffres (qui sont élevés mais peuvent être à nouveau éventuellement expliqués par la programmation nominale des défibrillateurs utilisés pour l’étude) ont l’avantage de constituer des groupes de patients parfaits pour tester la causalité CEI-mortalité ! Et les résultats sont très intéressants : la mortalité à 3 ans était significativement augmentée chez les patients ayant reçu un choc approprié ou inapproprié sur arythmie supraventriculaire, mais n’était pas augmentée chez les patients ayant reçu un choc sur tachycardie sinusale ou sur surdétection ! Ceci corrobore puissamment l’hypothèse du facteur confondant lié à la nature de l’arythmie traitée par le CEI. Enfin, l’étude ADVANCE III, qui comparait une détection précoce des arythmies à une détection retardée, retrouvait que la détection retardée diminuait les thérapies (et notamment les CEI) inappropriées, mais sans impact sur la mortalité. Conclusion A l’heure actuelle, on peut probablement affirmer : - Que les chocs électriques sont responsables d’une ascension modeste des marqueurs cardiaques (notamment de la troponine US) sans qu’on en connaisse les conséquences cliniques ; - Qu’une réduction des thérapies inappropriées et appropriées évitables (SAT comme CEI), par l’augmentation du seuil de fréquence de la première zone avec thérapies et l’allongement du temps de détection, semble améliorer la mortalité ; - Qu’il est très probable que le type d’arythmie ayant entraîné le CEI représente un facteur confondant majeur lorsqu’on recherche un lien de causalité direct entre choc et mortalité ; - Qu’un lien direct et indépendant entre CEI et mortalité n’est pas démontré. Ainsi, s’il paraît aujourd’hui capital d’allonger les temps de détection et de monter les fréquences des zones avec thérapies en prévention primaire, le choix de privilégier les SAT par rapport aux CEI s’appuie sur un gain prouvé en termes de qualité de vie mais non démontré en termes de mortalité. Enfin, il faut noter que le taux de thérapies inappropriées tend à diminuer, notamment grâce à l’apport de la télécardiologie, et qu’il est nécessaire de réactualiser régulièrement les connaissances sur le sujet par la réalisation d’études prospectives et de suivi de cohorte.

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