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Polémique

Publié le 30 sep 2009Lecture 9 min

Antiagrégants plaquettaires : nos pratiques doivent-elles changer ?

J. SILVAIN, G. MONTALESCOT, J.-P. COLLET, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris

Nos pratiques vont changer, cela ne fait aucun doute. 
Les nouveaux inhibiteurs du récepteur P2Y12, récemment évalués dans la prise en charge des syndromes coronaires aigus (SCA) vont y contribuer. Leur effet sur la réduction de la thrombose de stent va les rendre incontournables dans l’angioplastie des SCA. Le dilemme entre leur efficacité et leur profil de sécurité va rester au cœur du débat et la stratégie du choix sera capitale. Sera-t-elle fondée uniquement sur le bon sens clinique ? Les nouveaux biomarqueurs accessibles en salle de cathétérisme vont-ils faire partie du jeu ? Les comparaisons indirectes sont un exercice périlleux à ne pas faire sauf si on se garde de tirer des conclusions tranchantes. Nous l’avons donc fait.  

La dose de charge en clopidogrel ?  L’étude CURRENT-OASIS 7 n’a pas permis de démontrer un bénéfice supplémentaire d’une dose de charge de 600 mg de Plavix® (clopidogrel) par rapport à la dose de 300 mg ayant l’AMM. Elle suggère l’intérêt de cette dose chez les patients admis pour SCA et devant bénéficier d’une angioplastie précoce, une stratégie déjà recommandée et largement adoptée par de nombreux cardiologues interventionnels. La dose de charge de 600 mg permet d’éviter 7 infarctus, 6 thromboses de stent au prix de 3 saignements majeurs. Cette même étude retrouve une tendance non significative à une réduction des événements cardiovasculaires avec une plus forte dose d’aspirine. On peut probablement raisonnablement étendre ces résultats aux patients déjà sous Plavix® et qui doivent bénéficier d’une nouvelle angioplastie. Ces nouvelles données ne font que confirmer ce qu’avaient démontré les études pionnières pharmacodynamiques sur l’intérêt des fortes doses de charge de Plavix®, c'est-à-dire supérieures ou égales à 600 mg.  Ces données sont à mettre en perspective avec les résultats très prometteurs obtenus avec les nouveaux inhibiteurs du récepteur P2Y12, le prasugrel ou le ticagrélor, qui permettent d’obtenir une plus forte inhibition de l’agrégation plaquettaire que 600 mg de clopidogrel, suggérant ainsi qu’un blocage plus puissant de cette cible est nécessaire dans le contexte de l’angioplastie à haut risque (figure 1).    Figure 1. Niveau d’inhibition de l’agrégation plaquettaire dans CURRENT, TRITON et PLATO. PLATO : une étude séduisante pour l’angioplasticien Premièrement, elle confirme un effet de classe. En effet, le ticagrélor est un antagoniste réversible du récepteur P2Y12 à l’inverse des thiénopyridines toutes générations confondues. Deuxièmement, PLATO ressemble à CURE dans son schéma et elle va certainement séduire le clinicien pour les raisons suivantes : - la dose de charge de clopidogrel était d’au moins 300 mg (600 mg chez 19 % des patients) et les patients étaient traités de façon plus précoce que dans l’étude TRITON qui a évalué le prasugrel contre le clopidogrel dans l’angioplastie du SCA sans prétraitement ; - au moins un tiers des patients a été traité médicalement ; - enfin, il s’agit d’une vraie population à risque sans le filtre de la coronarographie, où 85 % des patients avaient une élévation de la troponine et un taux de mortalité à 12 mois de 5 %, ce qui est inhabituel et bien plus élevé que dans TRITON ou CURRENT. Troisièmement, cette étude est positive sur le critère primaire de jugement (figure 2).    Figure 2. Taux d’événements cardiovasculaires (décès, IDM, AVC) dans CURRENT, TRITON et PLATO à 30 jours. Des résultats inespérés La première bonne surprise est l’absence d’augmentation du risque hémorragique avec les définitions propres à l’étude. C’est cette augmentation du risque hémorragique qui a été reprochée au prasugrel et qui a retardé sa mise sur le marché.  La deuxième bonne surprise est la réduction de mortalité (figure 3). Il s’agit d’une vraie surprise dans la mesure où l’étude n’était pas taillée pour cela. De mémoire et en dehors de RE-LY dans la fibrillation auriculaire, aucune étude sur les antithrombotiques n’a rapporté un tel tiercé gagnant. Les explications sont multiples et restent à creuser dans la mesure où la cible pharmacologique est la même. Le niveau de risque élevé de la population à l’étude dans PLATO en est une parmi d’autres, tout comme un effet antiagrégant plaquettaire, peut-être un peu moins puissant du ticagrélor par rapport à celui obtenu avec le prasugrel.    Figure 3. Décès dans CURRENT, TRITON et PLATO : mortalité toutes causes (12 à 15 mois). La mariée n’est-elle pas trop belle ?  Le taux de complications hémorragiques majeures non reliées aux pontages, évalué selon des définitions plus classiques (TIMI) et comparables avec les autres études (TRITON), montre que le ticagrélor entraîne une augmentation majeure des hémorragies de façon significative par rapport au clopidogrel et quasiment identique à celle observée avec le prasugrel dans l’étude TRITON (figure 4). On retrouve également un taux de complications hémorragiques intracérébrales fatales plus élevé avec une variation allant de 1 à 10 entre le clopidogrel et le ticagrélor, ce qui nécessitera une surveillance attentive dans la vraie vie. L’interprétation du risque hémorragique reste à creuser et en particulier celle des hémorragies fatales.    Figure 4. Taux de complications hémorragiques majeures (hors pontage) dans CURRENT, TRITON et PLATO (classification TIMI).  L’efficacité antithrombotique du ticagrélor semble moins puissante que celle du prasugrel. La dissociation des courbes évaluant le critère primaire de jugement, qui est identique dans les deux études pivots TRITON et PLATO, est moins rapide et évidente avec le ticagrélor qu’avec le prasugrel (figure 2). La réduction du risque de thromboses de stents est aussi moindre alors que le taux de thrombose de stent est voisin dans les deux groupes comparateurs (figure 5).    Figure 5. Thrombose de stent certaine. La réversibilité : une arme à double tranchant ?  Il s’agit en tout état de cause d’un avantage indiscutable de cette classe thérapeutique. On estime qu’en moins de 48 heures, l’effet biologique a presque disparu chez la majorité des patients. Ceci est bien illustré par le fait que le taux de complications hémorragiques lié à la chirurgie de pontage est strictement identique dans les deux groupes de patients étudiés. Ceci constitue un avantage en cas de chirurgie de pontage urgente, ce qui concerne environ 0,5 % des patients. En effet, la majorité des patients qui doivent être revascularisés par pontage le sont de façon différée (4,5 % des patients). Ceci devient un argument fort pour l’initiation de cette molécule dans la phase préhospitalière ou en amont de l’angiographie coronaire. La réversibilité pourrait aussi majorer le risque lié à une mauvaise observance.  Perspectives et enjeux  PLATO confirme que cette nouvelle génération des inhibiteurs du récepteur P2Y12 sonne le glas des inhibiteurs de la GPIIb/IIIa dont il est devenu difficile d’évaluer la place en dehors de la situation du sauvetage et de l’angioplastie primaire.    PLATO confirme que cette nouvelle génération des inhibiteurs du récepteur P2Y12 sonne le glas des inhibiteurs de la GPIIb/IIIa.    On attend évidemment avec impatience les résultats du ticagrélor chez les patients dilatés afin de se faire une réelle idée de la puissance de son effet par rapport au prasugrel.  Le taux d’arrêt dans la vraie vie lié à la dyspnée ou à la bradycardie constituera peut-être un obstacle à son utilisation. En effet, le défaut d’observance potentielle est un réel enjeu, cela d’autant qu’une double prise est nécessaire.  Le taux de complications hémorragiques fatales intracérébrales pose la question de sa sécurité dans certains sous-groupes de patients, tout comme cela a été le cas avec le prasugrel.  Le ticagrélor arrive à l’évidence comme le challenger du prasugrel avec une image de meilleure tolérance qui reste à confirmer dans la vraie vie. L’analyse approfondie des données de PLATO et les recommandations des agences d’enregistrement permettront de trancher. Le prasugrel est le traitement de référence pour les angioplasties à haut risque, c'est-à-dire l’angioplastie primaire et l’angioplastie du patient diabétique mais également des patients ayant fait une complication thrombotique grave (thrombose de stent en particulier). L’étude TRILOGY en cours dans les SCA traités médicalement relancera certainement le débat dans la mesure où elle évalue une plus faible dose de prasugrel chez des patients plus à risque.    Le défi pour ces molécules très efficaces reste leur tolérance cumulée. En effet, si la grande majorité des événements ischémiques est précoce, les événements hémorragiques augmentent progressivement tout au long de l’exposition au traitement. Et le patient sort de la salle d’angioplastie avec une ordonnance de bithérapie pour 1 an en général dans les suites d’un SCA ou de la pose d’un stent actif.    Le défi pour ces molécules très efficaces reste leur tolérance cumulée. Le traitement sur mesure en salle de cathétérisme : un mythe ou une réalité ?    On dispose d’outils permettant d’évaluer la réponse pharmacodynamique au traitement antiplaquettaire en salle de cathétérisme. On dispose également d’outils permettant un génotypage rapide en moins d’une heure pour repérer les porteurs du variant 2C19*2 à risque de thrombose de stent (multiplié par 3) lorsqu’ils sont exposés au clopidogrel après stenting.  Les génériques du clopidogrel arrivent ! Ces tests ou biomarqueurs coûtent moins de 100 euros pour les deux. On est à l’heure où un choix raisonné devient possible. Il reste à démontrer si cela est intéressant pour le patient. C’est l’objet de certaines études en cours (GRAVITAS, ARCTIC) (figure 6). La messe n’est donc pas dite ! On peut sélectionner les mauvais répondeurs au clopidogrel (par le test fonctionnel et le test génétique et cela représente au bas mot 1 patient sur 3) mais on peut aussi sélectionner les patients hyperrépondeurs au prasugrel ou au ticagrélor et potentiellement plus à risque de complications hémorragiques majeures. Nous avons résumé dans le tableau une conduite pragmatique au vu de ces données récentes et en attendant les résultats de PLATO-PCI et d’ACCOST (préhospitalier dans le NSTEMI).   Figure 6. Schéma de l’étude ARCTIC utilisant le VerifyNow® en salle de cathétérisme pour ajuster les doses d’aspirine et de clopidogrel au moment de l’angioplastie et à 1 mois.  *Anti-GPIIb/IIIa seulement si au moins 2 critères.   

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