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ANNIVERSAIRE

Publié le 15 déc 2018Lecture 5 min

Cardiologie interventionnelle : le schisme ?

Paul BARRAGAN, Ollioules

« The best way to predict the future is to create it » Abraham Lincoln

Cet apophtegme, peut-être indûment attribué au XVIe président des États-Unis d’Amérique, semble illustrer à merveille la fulgurante histoire de notre spécialité, la cardiologie interventionnelle. En effet, notre jeune discipline, créée ex nihilo il y a 40 ans par Andreas Gruentzig, s’est désormais imposée comme la référence dans le traitement des pathologies coronaires, valvulaires et congénitales cardiaques. La revue Cath’Lab, dont nous fêtons en 2018 les 10 ans d’existence, nous a permis d’évaluer attentivement les innovations en prenant soin de donner « la parole » aux uns et aux autres ne partageant pas le même point de vue à travers l’ensemble de ses rubriques. Et tout cela en français, qui, comme le disait Léopold Sédar Senghor « est une langue qui nous offre, à la fois, clarté et richesse, précision et nuance ». Contre l’air du temps qui voudrait nous dis- penser comme une tâche désormais inutile, d’écrire dans notre langue et pire encore de penser dans notre langue natale.

La naissance du percutané coronaire : une maïeutique douloureuse De fait, l’angioplastie coronaire « au seul ballon » avait décidément mal commencé. Dissections, occlusions, thromboses, pontages en urgence, infarctus et décès (parfois sur table) faisaient partie du lot quotidien de tous les laboratoires de cathétérisme cardiaque du monde entier. Sans oublier la resténose proclamée pudiquement « cicatricielle ». Jacques Puel fit resurgir le « tuteur endovasculaire » (75 ans après son invention par notre Nobel lyonnais Alexis Carrel) pour pallier ces complications grevant l’avenir même de la revascularisation percutanée. Sans déroger à l’ambivalence du progrès technique comportant ses éternels effets imprévisibles : en l’occurrence ici thrombose subaiguë et resténose tardive. La ticlopidine en 1990 et la rapamycine en 2001 (antibiotique enfoui dans le sol de l’île de Pâques, proposé par Robert Falotico comme solution antiresténose), ont incontestablement sauvé ce « tuteur endovasculaire » en consacrant désormais cet étai comme l’horizon indépassable de toute revascularisation coronaire percutanée. Une fois la pérennité de la technique assurée (au prix d’une maïeutique éprouvante pour notre génération presbytre), l’extension des indications suivit. Le meilleur exemple nous est donné par le développement des franchissements des CTO complexes par la jeune génération (désormais délivrée du poids du sauvetage de l’angioplastie percutanée) : en s’autorisant des acrobaties techniques (voies rétrogrades, dissections- réentrées, etc.), sources de plus de 85 % de succès chez les bons opérateurs. Concernant cette même revascularisation myocardique percutanée, soulignons deux scores recommandés encore prégnants. Tout d’abord l’incontournable « Syntax score » sur lequel J.-P. Monassier avait prophétisé, à son corps défendant, dans le premier numéro de Cath’Lab en 2008 : « L’étude SYNTAX va marquer l’histoire de la revascularisation myocardique ». L’histoire lui a donné raison, ce score obtenu par comparaison entre chirurgie de pontage et stent Taxus® Express® (le stent actif le plus médiocre jamais conçu) est toujours la pierre angulaire des recommandations ESC. Sans oublier l’index Fractional Flow Reserve : congratulons le beau travail fourni par Gilles Rioufol et son équipe concernant l’intérêt de l’outil FFR dans la revascularisation de la maladie coronaire pluritronculaire à travers l’essai randomisé FUTURE. Cette étude est le premier essai indépendant, non financé par l’industrie, à nous dissuader de ne pas absolutiser cet outil dans nos décisions de revascularisation pluritronculaire. Le simple bon sens clinique. La cardiologie interventionnelle structurelle : la division ? Cette dernière a connu naturellement des développements majeurs ces 10 dernières années : TAVI, MitraClip, fermeture de l’auricule gauche pour ne citer que les plus importants. Le TAVI, conceptualisé, créé et diffusé dans le monde entier par Alain Cribier est désormais le premier traitement proposé aux patients de plus de 75 ans présentant une sténose aortique serrée (ESC 2018). La mortalité à 1 an de l’acte est aujourd’hui inférieure à 10 %. Le dernier registre FRANCE-TAVI a montré que cette technique, initialement confinée dans une stricte ambiance de bloc opératoire, enregistrait de meilleurs résultats quand elle était pratiquée dans un simple cath-lab plutôt que dans une salle « hybride » de 100 m2, de surcroît fort coûteuse (4,7 millions d’euros pour le tout récent bloc du CHU de Montpellier). Avec certes une mortalité identique mais avec moins d’hémorragies majeures (p = 0,006), d’infections (p < 0,001), d’implantation de pacemakers (p = 0,006) et de régurgitations para valvulaires (p = 0,003) à 30 jours. Faut-il en incriminer la coresponsabilité décisionnelle de la foule des intervenants ? Ou la multiplication d’actes adventices inutiles (échographie transœsophagienne, voie veineuse centrale, intubation endotrachéale, sonde urinaire, etc.). La démystification de cette technique réalisable en moins d’une heure par voie fémorale par n’importe quel cardiologue interventionnel bien formé, n’est pas sans poser le problème de sa réalisation dans des centres de cardiologie interventionnelle de haut volume ne disposant pas d’une CEC intra parietes. En l’absence logique d’une telle évolution, il existe un risque sérieux de scission à l’intérieur du corps des cardiologues interventionnels entre, d’une part, le petit nombre d’élus disposant d’une CEC et, d’autre part, la foule des autres appartenant désormais au lumpenproletariat des cardiologues interventionnels sans parapluie. D’autant que ce tabou semble obtenir l’assentiment de la majorité de nos hiérarques cardiologues (pas souvent chirurgiens) disposant du parapluie sacré. D’autant que cet état de fait non justifié scientifiquement (cf. l’exemple allemand) fait incontestablement le jeu de l’industrie qui de surcroît n’hésite pas à assurer le financement de l’appareil de production, dans le cas présent, les salles interventionnelles hospitalières publiques ou privées. Ces conflits d’intérêt manifestes ne pouvant évidemment que retarder une vraie concurrence indispensable à la baisse du prix très élevé de ces bioprothèses. Dans le même ordre d’idée, comment justifier également l’obligation du parapluie CEC pour traiter une insuffisance mitrale par MitraClip ou une fermeture percutanée de l’auricule gauche (initialement autorisée sans CEC) dont le recours à la chirurgie cardiaque en cas de complications reste exceptionnel. Pour conclure « Là où le danger croît, croît aussi ce qui sauve » déclamait Hölderlin. Qui mieux armé qu’un cardiologue interventionnel, démuni de parapluie, ne pouvant compter que sur lui-même, pour régler une complication. Nous l’avons démontré en son temps pour le percutané coronaire. Nos divisions actuelles seront dépassées à brève échéance ; à l’image des êtres que nous soignons sachons donc rester patients. Signe des temps, nos internes en spécialité aimant les affaires du cœur, choisissent aujourd’hui la cardiologie interventionnelle comme premier choix et la chirurgie cardiaque par défaut.

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