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L'ESPRIT DE LUGDUNUM

Publié le 29 juin 2023Lecture 9 min

Voilà, c’est fini

Patrick LERMUSIAUX, service de chirurgie vasculaire et endovasculaire, Hospices civils de Lyon, CHU de Lyon

Les gens aisés l'ont bien compris, il faut que leurs enfants aillent dans les meilleures classes. Pour cela plusieurs techniques, soit choisir l'enseignement privé, voire acheter un studio en face du grand lycée de la ville, procurant une adresse qui permettra de contourner la carte scolaire. À mon époque, la mode était de sauter une classe à l'école primaire, puis de faire du latin ensuite. Et encore j'ai eu de la chance, car la génération d'avant bénéficiait en plus de l'étude du grec. Cela a ensuite évolué avec l'allemand en première langue. Tout ceci était parfaitement intelligent puisque personne ne parle aucune de ces différentes langues, alors que parallèlement les Français conti- nuent de patauger allègrement en langue anglaise.

Aussi, je débutais mes études de médecine à l’âge de 17 ans et bénéficiais du numerus clausus institué 1 an auparavant.   À cette époque...   C’était juste il y a 50 ans. Très rapidement après, arrivait la préparation de l’internat avec ses fameuses conférences. Comme pour le choix du lycée, certains, le plus souvent issus du milieu médical, avaient d’emblée choisi la bonne faculté (je parle de Paris où elles étaient nombreuses) et les bons conférenciers. Ce ne fut pas mon cas, le jeune étudiant que j’étais, honteux et confus, jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. Le concours avait lieu dans chaque ville universitaire et on avait le droit d’en passer trois. Tous les Parisiens savaient qu’il ne servait à rien d’aller le passer dans certaines villes où les chances de succès étaient pour le moins réduites, pour ne pas dire nulles. À cette époque, le choix des stages d’internat se faisait en fonction de l’ancienneté et du classement. Pour faire chirurgie, il était essentiel d’arriver dans la « botte », c’est-à-dire dans les premiers. Il était aussi important de se vieillir, en passant une année de FFI hors CHU. Les hommes bénéficiaient en plus d’une année gratuite de service militaire, mais à cette époque, les femmes qui se destinaient à la chirurgie étaient très peu nombreuses.   Aujourd’hui, les choses ont changé   Le concours n’en est plus un puisque tout le monde est reçu. Il est national, probablement assez juste puisque corrigé par un ordinateur. L’air de rien, cela a amené beaucoup d’oxygène dans les différents CHU, avec de futurs médecins issus de toute la France, permettant un mélange salutaire. Très progressivement, la parité s’installe en chirurgie et il faut rendre hommage aux pionnières qui ont eu le courage de se glisser dans ce milieu souvent hostile (mais pas toujours). Nos jeunes femmes internes les citent sans cesse en exemple, car elles ont démontré que l’on pouvait avoir à la fois une vie familiale et professionnelle. Et finalement ceci a été salutaire pour les hommes, qui ont compris à leur tour qu’ils avaient le droit d’aller chercher leurs enfants à l’école, et qu’ils seraient quand même de bons chirurgiens. Malheureusement, les mieux classés à l’internat montrent leur désintérêt pour la chirurgie en général, et vasculaire en particulier. Il serait utile de réaliser un vaste sondage pour comprendre ce qui se passe et proposer une thérapeutique ! Cette baisse de niveau aura-t-elle des répercussions sur notre spécialité, et si oui, dans quel sens ?   Que de craintes !   Durant toute ma carrière, les chirurgiens vasculaires ont eu de nombreuses craintes. La crainte des chirurgiens cardiaques qui allaient truster la chirurgie des carotides et des anévrismes, nous laissant gentiment la prise en charge moins glorieuse des troubles trophiques. Puis ce fut la crainte des radiologues et cardiologues avec le développement de l’endovasculaire, puis des médecins vasculaires avec la radiofréquence des varices, voire des neuroradiologues avec les stents carotidiens ! D’autres craintes surgissent, de plus en plus de publications laissent à penser que la chirurgie carotidienne des lésions asymptomatiques n’a guère d’intérêt. En revanche, les unités neurovasculaires (UNV) s’escriment à ce que l’on opère le plus rapidement possible les sténoses symptomatiques, et même cette attitude commence à être remise en cause.   Mais pour finir, quel est le résultat ?   Nous n’avons jamais été aussi visibles et aussi forts que maintenant car nous sommes les seuls à pouvoir prendre en charge nos complications, et parce que toutes les projections sont en faveur d’une augmentation de la prévalence des artériopathies.   La pratique médicale a beaucoup évolué Je perçois une évolution assez inquiétante dans la mentalité des patients et souvent de leur famille. J’ai connu une période où le chirurgien était vénéré de manière exagérée, mais le retour du balancier est passé par là et les médecins sont maintenant régulièrement victimes d’incivilité et d’agressivité, surtout dans les grandes villes. Les plus jeunes vont devoir se protéger contre ces nouveaux comportements, avec le risque d’être moins empathique. La petite clinique du bon docteur Brézé, n’existe plus. Beaucoup de cliniques sont maintenant à l’échelle du CHU, avec des équipes renommées de chirurgie vasculaire comprenant plusieurs chirurgiens, avec de vrais services de réanimation, dirigées par de grands groupes financiers. Les chirurgiens du secteur public sont payés par le ministère de la Santé et les chirurgiens du privé par la Sécurité sociale et les mutuelles. Paradoxalement, les différences de salaires sont très significatives. Il faut pourtant que le secteur public reste attractif, pour la recherche et les publications qui assurent le rang de notre spécialité dans la compétition mondiale, et parce que c’est là que sont formés les futurs chirurgiens.   Une grande reconversion Les chirurgiens vasculaires ont été amenés à faire la plus grande reconversion professionnelle qui soit, en passant de la chirurgie conventionnelle à la radiologie interventionnelle (excusez-moi, je voulais dire chirurgie endovasculaire). Les chirurgiens, en particulier dans le secteur privé, ont commencé à surprendre des angiologues en train d’adresser directement leurs patients aux radiologues pour réaliser l’angioplastie. Ils ont compris les premiers qu’il fallait réagir. Ils ont dû affronter lors des différentes réunions et congrès, la condescendance et les moqueries de grands professeurs, qui dédaignaient le fait que l’on puisse soigner un patient sans laparotomie xyphopubienne. Aujourd’hui encore, on est étonné de lire des articles qui comparent chirurgie ouverte et chirurgie endovasculaire. Alors ne perdons pas notre temps à réaliser ce type d’étude, mais essayons de résoudre les nombreux problèmes qui se posent et qui se poseront en endovasculaire.   Toujours des progrès à faire Regardez comme nous sommes encore démunis après un résultat incomplet d’une angioplastie des artères de jambe en l’absence de long stent. Il est difficile de traiter une lésion de la bifurcation fémorale en l’absence de stent bifurqué. Les résultats du traitement des lésions longues de l’artère fémorale superficielle restent insuffisants, sans compter le problème des endofuites, des collets courts, des lésions de l’aorte ascendante et de la crosse aortique, de l’ischémie médullaire, de la protection cérébrale lors de l’angioplastie carotidienne. La création des fistules artérioveineuses (FAV) par voie percutanée n’en est qu’à ses débuts. Et cette liste des progrès qui restent à faire n’est pas exhaustive ! Jusque dans les années 1990, les grands progrès sont venus de l’imagerie avec l’apparition du scanner puis de l’IRM. Fini l’époque où l’on disait : « on verra sur place » pour définir une stratégie opératoire. Actuellement, le temps le plus importanT de la chirurgie se déroule dans sa préparation. Au risque de surprendre, je n’ai pas vu de progrès significatifs dans l’anesthésie et la réanimation des patients lourds. Nos collègues étaient brillants et disposaient des mêmes moyens, pour prendre en charge des patients déjà fragiles. En revanche, l’endovasculaire permet maintenant de traiter les anévrismes aortiques sous anesthésie locale et par voie percutanée, régulièrement en ambulatoire. Pour nous aussi, les grandes évolutions sont venues de l’imagerie. La microponction échoguidée, le contrôle échographique du déploiement du système de fermeture et du point de ponction en fin d’intervention ont pratiquement supprimé les complications de la ponction, et permettent des abords de plus en plus inhabituels. L’utilisation du ProGlide™ en preclosing, invention tellement simple, permet la mise en place en percutané, par voie fémorale ou axillaire, de volumineux introducteurs. Compte tenu de la qualité des amplificateurs de brillance actuelle, j’ai parfois douté de l’intérêt d’une salle hybride. L’utilisant maintenant depuis plusieurs années, il est clair qu’il serait tout à fait impossible de revenir en arrière, tant la fusion de l’image est importante, le déplacement rapide du capteur qui permet de suivre tous les guides, les zooms puissants, la possibilité de réaliser rapidement plusieurs incidences, la possibilité de ramener le capteur à n’importe quelle position précédente sans réinjecter d’iode. Il est donc à mon avis capital que tous les chirurgiens se battent pour bénéficier de ce type d’équipement, qui est une source de sécurité majeure. Lorsque j’étais jeune interne, mettre un tablier de radioprotection était considéré comme le marqueur d’un être faible (pour rester correct). Heureusement, les chirurgiens ont maintenant compris que s’ils voulaient éviter la cataracte précoce ou certains cancers, il fallait sortir protégés. Néanmoins, au quotidien, c’est un combat permanent pour que chacun applique les règles de la radioprotection ! Alors vous allez me dire, prédire le passé, c’est assez facile. L’avenir, comme dans toutes les autres spécialités chirurgicales, et même si on peut le regretter, passera par une hyperspécialisation. Ne me dites pas que si vous devez vous faire opérer, vous n’allez pas chercher un chirurgien très pointu dans son domaine ! L’endovasculaire, voit fleurir de très nombreux dispositifs, par exemple l’athérectomie. Ces nouveaux dispositifs ont trois caractéristiques : ils sont toujours très chers, ils n’ont pas été évalués dans des études sérieuses, et l’un de vos collègues, de la région voisine, qui l’utilise en est, paraît-il, très content. C’est dire qu’il faut analyser finement les résultats pour ne pas s’engager dans de coûteuses fausses pistes.   Et dans 30 ans ?   L’ordinateur analysera l’angioscanner préopératoire et proposera l’endoprothèse la plus adaptée, ou sur mesure fabriquée automatiquement à partir du scanner, vous simulerez les résultats de l’intervention, que ce soit la création d’une FAV, ou l’impact sur l’hémodynamique de la fermeture de la porte d’entrée d’une dissection. Lors du suivi, la comparaison des différents scanners sera automatique. Des prothèses intelligentes munies de capteurs enverront un signal d’alerte avant de se thromboser. Au bloc opératoire, l’utilisation des rayons X sera très réduite, remplacés par une cartographie magnétique et les robots participeront à l’intervention, maniant des guides à déformation électronique, dont l’extrémité sera géolocalisée, ce qui vous permettra enfin de faire connaissance avec votre anesthésiste, à la cafétéria.   Que retenir de 50 années consacrées à la médecine ?   « N’ayez pas peur ! » Notre spécialité, même si elle est régulièrement attaquée, se porte toujours bien. Et la retraite ? C’est une bonne question ! Je n’en sais rien car je ne l’ai jamais expérimentée. C’est amusant d’attendre si tard pour débuter un nouvel apprentissage, pour sortir de sa zone de confort comme on dit à l’heure actuelle. Sur le bord de la route un homme taille des cailloux à grands coups de maillets. « Monsieur, que faites-vous ? », « Vous voyez bien, je n’ai trouvé que ce métier stupide et douloureux. Un peu plus loin, un autre homme casse aussi des cailloux, « Que faites-vous, monsieur ? », « Eh bien, je gagne ma vie grâce à ce métier fatigant. Plus loin, un troisième casseur de cailloux regarde avec plaisir les éclats de pierre. « Que faites-vous ? », « Moi, Monsieur, je bâtis une cathédrale ! ». Alors sachez-le, vous aussi, vous ne traitez pas des vaisseaux, vous bâtissez une cathédrale.

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