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Polémique

Publié le 30 sep 2014Lecture 11 min

La dénervation artérielle rénale est-elle enterrée ?

J. BLACHER, Université Paris Descartes ; Hôpital Hôtel-Dieu, Paris

Au milieu du XXe siècle, l’hypertension artérielle était clairement définie comme un facteur de risque cardiovasculaire, et ce depuis plusieurs décennies, mais il n’était pas évident qu’il faille faire baisser la pression artérielle des hypertendus(1). Plus d’un demi-siècle plus tard, on observe une progression fantastique de la prévalence de l’hypertension artérielle (HTA) en population, probablement liée à l’épidémie mondiale d’obésité et au vieillissement de la population.

L’HTA est maintenant la première maladie chronique dans le monde. Dix pour cent de tous les hypertendus sont considérés comme des hypertendus résistants, c’est-à-dire des hypertendus dont les chiffres ne sont pas contrôlés par trois médicaments à bonnes doses dont un diurétique thiazidique(2). Les stratégies thérapeutiques en cas d’HTA étaient jusqu’à présent bien codifiées, quoiqu’imparfaitement efficaces(2). L’innovation thérapeutique : la dénervation artérielle rénale Mais en 2009, apparaît une nouvelle stratégie thérapeutique : la dénervation artérielle rénale. Cette stratégie semble particulièrement prometteuse puisqu’on parle d’une réduction de la pres-sion artérielle systolique d’une trentaine de mmHg !(3). Les cliniciens, avides d’innovation thérapeutique, notamment lorsque les possibilités existantes sont limitées, ont alors adopté la dénervation artérielle rénale par radiofréquence qui est aujourd’hui réalisée dans plus de 80 pays. Plusieurs dizaines de milliers de procédures ont été réalisées. Les quelques essais thérapeutiques publiés jusqu’en 2014 laissaient espérer un gain de pression artérielle, peut-être inférieur à ce qui avait été initialement évoqué, mais tout de même suffisamment important pour avoir une valeur ajoutée tout à fait intéressante. Les aspects techniques de la dénervation artérielle rénale sont schématisés dans la figure 1.   Figure 1. La dénervation sympathique rénale avec le système de dénervation Symplicity™ (Medtronic). A : Le cathéter Symplicity™ est compatible 6 F. B : Le cathéter comprend un levier articulé et une électrode de radiofréquence opaque. C : Quatre à 6 traitements de 2 min sont pratiqués sur chaque artère. (D’après Schlaich et al.) L’étude SYMPLICITY HTN-3 : la douche froide ! Avant d’accepter l’utilisation large de cette procédure aux États-Unis, la Food and Drug Administration a imposé au principal fabricant du dispositif médical, le laboratoire Medtronic, de réaliser un essai comparatif dans des conditions méthodologiques « parfaites ». Les résultats de cet essai thérapeutique, SYMPLICITY HTN-3, viennent d’être publiés(4) et ces résultats ne répondent pas, mais alors pas du tout, aux espoirs fondés sur cette technique. L’étude SYMPLICITY HTN-3 est un essai comparatif randomisé (ratio 2:1) en aveugle chez des patients présentant une HTA résistante. Cinq cent treize patients ont été randomisés, mais l’originalité du design de cet essai thérapeutique résidait dans le fait que les patients randomisés dans le groupe placebo recevaient, dans le cadre d’une artériographie rénale par voie artérielle, une procédure simulée de dénervation artérielle rénale par radiofréquence, seule façon d’avoir une certitude de l’insu. Il était demandé aux investigateurs de ne pas modifier le traitement antihypertenseur jusqu’à la fin de l’essai (6 mois), en dehors bien entendu des nécessités cliniques impérieuses. Le critère principal de jugement était la baisse de la pression artérielle systolique à 6 mois comparée entre le groupe dénervation et le groupe dénervation simulée. Le critère secondaire de jugement correspondait à la baisse de la pression artérielle systolique en mesure ambulatoire de la pression artérielle sur 24 h et non plus en mesure clinique. Il y avait aussi un critère non pas d’efficacité mais de sécurité avec les éventuelles complications de la procédure qui étaient monitorées dans les deux groupes. Le design complexe de l’étude SIMPLICITY HTN-3 est résumé dans la figure 2.   Figure 2. Schéma de l’étude randomisée SYMPLICITY HTN-3. Après avoir été considérés comme éligibles à la dénervation rénale, les patients ont une angiographie rénale pour analyser leur anatomie. Ceux considérés comme « appropriés » seront randomisés dans le groupe dénervation rénale immédiate ou dans le groupe contrôle. Les traitements antihypertenseurs des patients seront maintenus dans les deux groupes. Les chiffres tensionnels ne seront pas connus ni des patients ni des investigateurs jusqu’à la levée de l’aveugle après 6 mois d’évaluation. Le critère primaire d’évaluation était le changement des chiffres de pression artérielle systolique (PAS) mesurée au cabinet à 6 mois. Après 6 mois, les patients du groupe contrôle avaient la possibilité d’être traités par dénervation rénale s’ils étaient toujours éligibles pour la procédure. MAPA : mesure ambulatoire de la PA ; HTA : hypertension. Alors que les résultats concernant la sécurité de la procédure sont extrêmement encourageants puisqu’il n’y a eu, comme effets indésirables majeurs dans le groupe dénervé, que 1,4 % d’événements (contre 0,6 % dans le groupe placebo), les résultats d’efficacité étaient tout à fait décevants puisqu’il n’y a pas eu de différence de modification de baisse de la pression artérielle entre le groupe dénervation et le groupe placebo, à la fois en mesure clinique et en mesure ambulatoire sur 24 h (environ 2 mmHg de différence, différence non significative). Dans leur discussion, les auteurs mettent en avant les limitations des études précédentes avec notamment des petits effectifs, peu de mesures de pression artérielle réalisées en dehors du cabinet médical (automesure ou MAPA), l’absence de groupe contrôle dans certains essais et surtout l’absence d’aveugle et de procédure simulée dans aucun essai précédent. Ils insistent donc dans leurs conclusions sur la nécessité de la réalisation d’essais thérapeutiques en aveugle avec des procédures simulées dans le cadre d’évaluation de nouveaux dispositifs médicaux avant leur adoption clinique, et ils mettent en avant les biais d’analyse des résultats des études antérieures, notamment les effets de régression vers la moyenne mais aussi la meilleure observance et les meil-leurs soins donnés aux patients se prêtant à la recherche bio-médicale (effet Hawthorne), ou encore la subjectivité de mesure de pression artérielle clinique liée à une conviction d’efficacité a priori (conviction à la fois des investigateurs mais aussi des patients). Dénervation et HTA résistante : une alternative ? Parallèlement, un essai thérapeutique comparatif récemment publié dans Hypertension suggère qu’un traitement médicamenteux ajusté à une évaluation hémodynamique individualisée par cardiographie d’impédance serait plus efficace qu’une dénervation artérielle rénale chez des patients présentant une HTA résistante, avec, dans le groupe des patients dont le traitement médical a été ajusté, une baisse de 28 mmHg de la pression artérielle systolique contre 8 mmHg dans le groupe dénervation artérielle rénale(5). Il faut tout de même noter que, même si cette différence de pression artérielle était statistiquement significative, elle ne concernait qu’un nombre très limité de patients (10 patients dans chaque groupe). Les mêmes auteurs n’y vont pas avec le « dos de la cuillère » dans leur résumé puisqu’ils considèrent que la puissance du marketing commercial a surpassé les considérations éthiques et les principes de médecine basés sur des faits prouvés dans le contexte de la dénervation artérielle rénale, notamment en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe. Ils estiment que l’utilisation en routine de la dénervation artérielle rénale devrait être stoppée, au moins temporairement(5) ! Dénervation artérielle rénale : que disent les experts en 2014 Dans leur prise de position, les experts canadiens ont, en 2014, pris acte des résultats négatifs de l’étude SYMPLICITY HTN-3 puisqu'ils concluent que : « jusqu’à ce que plus de données soient disponibles, la dénervation sympathique rénale devrait être considérée comme une option de traitement de dernier recours chez les patients ayant une hypertension résistante et qui ont épuisé toutes les autres options de prise en charge médicale disponible »(6). Bien entendu, il n’y a pas de consensus sur cette vision très pessimiste puisqu’il y a encore des tenants de cette procédure et notamment l’un des pères fondateurs de l’utilisation de la dénervation artérielle rénale dans l’HTA résistante, Murray Esler, qui vient de publier un article dans l’European Heart Journal(7). Dans cet article, il fait des prédictions et donne sa vision de l’avenir de cette technique. Il pense qu’il y aura des développements technologiques qui amélioreront l’efficacité des procédures, que l’avenir de la technique est de dénerver systématiquement les deux artères rénales et que les essais thérapeutiques à venir montreront une réduction des événements cardiovasculaires équivalente voire même supérieure aux effets attendus sur la baisse de la pression artérielle. Il estime que la tolérance et la sécurité sur le long terme seront excellentes mais qu’il faudra toujours traiter l’hypertension artérielle modérée par des médicaments antihypertenseurs, avec ou sans dénervation artérielle rénale. Enfin, il conclut en posant la question de savoir pourquoi cela a été aussi long de faire passer cette technique révolutionnaire dans les soins quotidiens aux patients(7) !   Un éditorial récent du British Medical Journal(8) met en perspective les bénéfices observés dans les essais thérapeutiques ayant évalué la dénervation artérielle rénale par radiofréquence avec le design de ces essais. Le bénéfice observé est maximal lorsqu’il n’y a ni randomisation, ni aveugle et lorsque c’est le médecin qui mesure lui-même la pression artérielle (en ouvert) ; puis le bénéfice observé sur la pression artérielle diminue des essais non randomisés aux essais randomisés, des mesures de pression artérielle au cabinet médical aux mesures automatiques pour finalement estimer le bénéfice observé dans une étude au design optimal (randomisée en aveugle), avec mesure de la pression artérielle automatisée, à seulement quelques mmHg. Cet éditorial pose aussi une question tout à fait fondamentale : les premières études ayant utilisé un design non optimal et ayant retrouvé un bénéfice observé très important, la technique s’est largement diffusée, aidée par un marketing actif. Si les résultats de l’étude SYMPLICITY HTN-3 devaient être confirmés, il est clair que les effets délétères générés par les dizaines de milliers de procédures de par le monde sont nettement supérieurs aux effets bénéfiques tensionnels de la procédure. À la question initiale : est-il éthique de réaliser une procédure simulée et donc de faire subir à un groupe de patients une artériographie rénale par voie artérielle sans qu’ils n’en tirent aucun bénéfice, la réponse naturelle serait négative : il n’est pas éthique de faire courir un risque non justifié aux patients du groupe contrôle se prêtant à la recherche clinique. Néanmoins, l’histoire de la dénervation artérielle rénale montre que cet excès d’éthique a finalement été délétère pour le plus grand nombre. Elle met en lumière les contradictions entre l’éthique d’un petit nombre (individuelle) et l’éthique collective.   Est-il éthique de réaliser des procédures interventionnelles simulées ? Était-il éthique de ne pas réaliser de procédures interventionnelles simulées ? Voilà des questions importantes dont devrait être saisi le Comité national d’éthique. Dénervation artérielle rénale : les données toutes récentes Lors du dernier Congrès de l’Eu-ropean Society of Cardiology 2014, de nombreuses communications et controverses ont eu comme thème la dénervation artérielle rénale. Trois éléments principaux viennent s’ajouter au dossier : Tout d’abord, les études expérimentales, notamment animales, ont bien montré que la dénervation artérielle rénale modulait de façon effective l’innervation artérielle rénale. Néanmoins, en pratique clinique, il n’est pas possible de quantifier l’effet de cette dénervation et donc de savoir si le courant de radiofréquence a entraîné effectivement une dénervation artérielle. Plusieurs physiologistes plaident pour une évolution des techniques de dénervation et pour la mise en place de mesures pouvant en quantifier les effets réels. Georges Bakris, investigateur principal de l’étude SIMPLICITY HTN-3, a présenté les résultats à 1 an de cet essai thérapeutique. Pour bien comprendre la portée de ces résultats, il faut analyser attentivement la méthodologie de la deuxième partie de l’essai. Les patients du groupe dénervation factice (sham denervation) avaient la possibilité de bénéficier d’une séance de dénervation artérielle rénale, effective cette fois, 6 mois après la randomisation. Les résultats présentés ont donc comparé le niveau de pression artérielle des individus ayant réellement bénéficié de cette dénervation, 6 mois après la procédure factice, à ceux qui n’en ont pas bénéficié. Il est important de comprendre que cette deuxième partie n’est pas randomisée et que bien entendu, les caractéristiques des deux groupes ne sont pas comparables. Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas de différence entre les baisses de pression artérielle à 1 an entre ces deux groupes formés a posteriori. Même s’ils n’en ont pas la même portée, en raison de considérations méthodologiques, G. Bakris considère que ces résultats se rajoutent à ceux de la première partie de l’étude, à savoir que la dénervation artérielle rénale n’a pas eu d’effet statistiquement significatif sur la baisse de pression artérielle. Forts des points précédents, on pourrait considérer qu’il existe une courbe d’apprentissage dans l’efficience de la dénervation artérielle rénale. Les détracteurs de SIMPLICITY HTN-3 ne se sont pas privés de rappeler que dans cet essai thérapeutique, il y avait de nombreux centres réalisant des dénervations artérielles rénales et que la majorité d’entre eux n’avait que très peu d’expérience ; ils ont donc questionné l’efficacité de la procédure réalisée. Néanmoins, la deuxième partie de l’étude qui montre l’absence d’effet d’une procédure à 6 mois, hors essai thérapeutique initial, n’est pas en faveur de cette théorie puisque les centres, 6 mois plus tard, avaient indiscutablement acquis de l’expérience et pourtant, la dénervation n’a pas été plus efficace. Conclusion Concernant la dénervation artérielle rénale dans l’hypertension artérielle résistante, jusqu’à plus ample informé, il semble raisonnable de limiter les procédures aux patients ayant épuisé toutes les autres options thérapeutiques (indications dites « compassionnelles ») et aux patients inclus dans les essais d’évaluation. En 2009, la dénervation artérielle rénale semblait promise à un bel avenir en matière de prise en charge de l’hypertension artérielle résistante mais, 5 ans plus tard, il est urgent d’attendre !

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