Polémique
Publié le 31 mai 2015Lecture 11 min
La dénervation rénale : nouvel espoir ?
A. PATHAK, B. HONTON, J. FAJADET, Unité d’HTA, FDR et d’insuffisance cardiaque, Inserm 1048, Clinique Pasteur, Toulouse
L’HTA constitue à ce jour la première maladie chronique au monde. Sa prévalence et son incidence continuent de croître même si les stratégies de prévention portent leurs fruits. L’enjeu du contrôle tensionnel, dans ce contexte de taille (augmentation de la pression artérielle dans les pays où l’obésité est une épidémie galopante), explique le développement et la mise sur le marché d’un grand nombre de médicaments et de technologies. Cependant, ce contrôle reste insuffisant (au mieux 50 % des patients à l’objectif), ce qui justifie le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques telle que la dénervation rénale.
De la physiopathologie aux données cliniques
L’HTA est souvent associée à une hyperactivité sympathique qui est parfois secondaire à l’activation d’une boucle rénocérébrale portée par des fibres sympathiques afférentes et efférentes, dont certaines cheminent dans la paroi des artères rénales. Plusieurs dispositifs médicaux ont été développés pour léser ces fibres par une procédure interventionnelle dans l’espoir d’améliorer le pronostic des patients. Les études princeps ont ainsi pu montrer que la dénervation rénale réduisait la pression artérielle de consultation, la charge tensionnelle diurne et nocturne chez les hypertendus résistants ou compliqués.
Le suivi à moyen ou long terme de ces patients a confirmé un maintien ou une amplification de la baisse tensionnelle sans augmentation de risque particulier si ce n’est celui attendu de complications liées à la procédure (au point de ponction ou dans les artères rénales à type de dissection ou de sténoses), mais qui constituent des effets indésirables rares (de 0,2 à 1,5 % selon les séries publiées). Au-delà de l’HTA, certaines publications portaient sur les bénéfices de la dénervation rénale dans des situations où l’hyperactivité sympathique pouvait être incriminée dans la physiopathologie de ces affections aussi variées que l’insuffisance cardiaque, les arythmies ventriculaires, le syndrome d’apnée du sommeil ou l’insulinorésistance.
Les limites
Certes, l’engouement suscité par la technique de la dénervation rénale était manifeste, mais un grand nombre d’écueils ou de limites méthodologiques étaient présentes dès le départ dans les études. Ainsi la population cible, dite « hypertendue résistante », est une population de patients moins prévalente que la communauté ne l’imaginait.
La prévalence a été estimée entre 30 % dans certains registres à moins de 1 % par certains centres spécialisés. La grande partie des études reposait sur des approches "avant/après "qui constituent des stratégies visant à majorer le bénéfice d’une intervention, surtout lorsqu’elle ne fait pas appel à une procédure de simple ou double insu. La mesure de la pression artérielle systolique (PAS) était le plus souvent une PAS de consultation avec rarement des mesures ambulatoires ; le traitement n’était pas standardisé et ne recourait pas toujours aux médicaments les mieux validés (antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes, par exemple). De plus, certaines causes d’HTA secondaires n’étaient pas toujours correctement exclues comme le syndrome d’apnée du sommeil (SAS) et surtout même si certaines études se comparaient à un bras de référence, aucune étude n’avait tenté de valider la technique vis-à-vis d’une procédure sham (procédure simulée de dénervation rénale).
SYMPLICITY HTN-3 : un essai manqué
Les résultats négatifs de cet essai ont mis la communauté face à une « vérité » douloureuse. La vérité était au bout de cet essai pour la communauté. Dans cette étude menée en double insu, 513 patients hypertendus résistants avaient été tirés au sort et répartis en deux bras selon un ratio 2/1, soit pour bénéficier d’une procédure de dénervation rénale (DR), soit une procédure simulée qui consistait en une artériographie rénale. Le critère principal était la différence de PAS à 6 mois entre les deux bras. Les critères secondaires visaient à apprécier les effets presseurs sur d’autres paramètres et une évaluation de la sécurité d’emploi était également prévue.
Le résultat du critère primaire d’évaluation était négatif : il n’y a pas eu de différence significative de PAS clinique à 6 mois entre les deux groupes, ni de différence en termes de tolérance. La PAS clinique à 6 mois a diminué significativement dans les deux groupes (DR : -14,13 ± 23,93 mmHg vs sham : -11,74 ± 25,94 mmHg), mais la différence intergroupe est non significative (2,39 mmHg pour une marge de supériorité de 5 mmHg). La différence intergroupe de PAS ambulatoire des 24 h était aussi non significative et de même amplitude que la baisse de PAS clinique (-1,96 mmHg). Le score de traitement n’a pas significativement varié au cours des 6 mois de suivi dans les deux groupes. Le taux d’événements indésirables évalué sur un critère composite entre le 30e jour et le 6e mois post-DR est comparable dans les deux groupes (DR : 4 % vs sham 5,8 %, NS).
Cet essai négatif a paralysé la communauté. Il a d’abord mis l’accent sur la procédure simulée et montré à quel point l’effet placebo d’une procédure pouvait être important puisque l’amplitude de baisse de pression était aussi importante dans les deux bras. Mais la baisse de la PAS clinique dans le groupe contrôle sham (-11,74 mmHg) était plus marquée que celle observée dans le bras placebo des essais médicamenteux de l’HTA résistante (-8 mmHg), ceci ayant pu être favorisé par une amélioration de l’observance liée à la nature invasive du geste d’artériographie lui-même.
D’autres points ont été soulevés : un effet Hawthorne, un phénomène de régression à la moyenne, des interventions associées à la procédure et non répertoriées…
Mais l’analyse plus fine de l’essai pose des questions cruciales sur la validité interne de l’essai. Ainsi, la définition de la résistance dans cet essai est discutable où le traitement n’a, par ailleurs, pas été standardisé. On est surpris par la rapidité entre le bilan avant l’inclusion, la randomisation et la période de wash out. Quand on sait combien, en pratique clinique, le contrôle tensionnel est chronophage, on peut s’interroger sur la manière dont le niveau tensionnel a été géré dans cet essai. Les modifications de traitement en cours d’essai n’ont pas été prises en compte de même que le profil patient (patient dont les MAPA n’ont pas distingué les dippers ou non dippers, les patients avec dysautonomie et hypotension, etc.).
Sur le plan procédural, les 364 interventions ont été réalisées par 111 opérateurs qui réalisaient leurs premières procédures durant l’essai. En fait, plus de 50 % des cardiologues interventionnels ont fait au plus 2 procédures au cours de l’essai posant des questions sur la courbe d’apprentissage et sur la qualité du geste. D’ailleurs, moins de 6 % des procédures ont été réalisées selon les règles de l’art, à savoir au moins 8 points de lésions de manière circonférentielle dans chaque artère. Plus de 70 % des procédures n’ont même pas abouti à 4 points de lésions circonférentielles !
L’analyse post-hoc des données a montré l’impact de la qualité de la procédure puisqu’il existe une relation dose effet. Plus le nombre de points d’ablations est important, plus la baisse tensionnelle est importante. De même ce sont les patients qui ont eu des ablations circonférentielles (soit 2 quadrants de 4 points à chaque fois) qui ont la baisse tensionnelle la plus importante.
L’essai SYMPLICITY HTN-3 est-il négatif à cause de l’effet placebo ? Ou par manque d’effet dans le bras dénervation en raison d’une mauvaise application de la procédure ?
Enfin, le choix de la population fait toujours débat. En effet, ce sont probablement les patients qui n’ont pas de dysfonction rénale ou qui recoivent de la spironolactone qui ont retiré un bénéfice de la dénervation rénale dans l’essai qui a finalement peut être recruté trop vite des patients trop sévères et ainsi masqué la possibilité d’identifier un bénéfice.
L’essai français DENER-HTN : cocorico l’espoir !
Ce travail a été coordonné par le Pr M. Azizi du Centre d’investigation clinique et du Service d’HTA de l’HEGP. La force de cette étude réside dans :
• le critère de jugement principal qui est l’évaluation ambulatoire de la mesure de pression artérielle 6 mois après la dénervation rénale et non la pression de consultation comme dans les autres essais ;
• la randomisation des patients en groupe traitement médical seul et traitement médical + dénervation rénale ;
• la standardisation et la titration du traitement antihypertenseur dans les deux groupes ;
• l’évaluation de l’observance par le dosage des médicaments ;
• et, enfin, la totale indépendance financière vis-à-vis du fabricant.
Les médecins de l’essai ont observé une baisse moyenne de la tension artérielle systolique en mesure ambulatoire diurne à 6 mois dans le groupe « dénervation rénale associée à un traitement médicamenteux optimisé » de 15,8 mmHg et de 9,9 mmHg dans le groupe « contrôle ne recevant que le traitement médicamenteux optimisé seul », soit une réduction supplémentaire d’environ 5,9 mmHg avec la dénervation rénale. Le nombre de médicaments antihypertenseurs a été augmenté progressivement de facon similaire dans les deux groupes pour atteindre une moyenne de 5 médicaments après 6 mois de suivi. L’observance au traitement était similaire dans les deux bras de l’étude. Le contrôle tensionnel en mesure ambulatoire de 24 heures était obtenu chez 39,6 % des patients ayant recu la DR, soit environ le double de celui obtenu chez les patients du groupe contrôle (18,9 %). Enfin, il existe une forte variabilité de la réponse tensionnelle à la DR, avec certains patients qui sont très répondeurs et d’autres non. La baisse tensionnelle supplémentaire observée avec la dénervation rénale peut paraître modeste à première vue, mais elle a un vrai sens en termes de prévention des accidents graves (AVC, infarctus, etc.) imputables à l’HTA.
Par ailleurs, le suivi à 1 an se poursuit pour donner à terme, des indications sur le maintien à distance de la baisse tensionnelle. L’incidence des complications liées au geste était minime (1 hématome mineur au point de ponction et 2 douleurs lombaires). La fonction rénale a évolué de facon attendue et similaire dans les deux groupes (réduction du débit de filtration glomérulaire estimé par MDRD de l’ordre de 5 à 10 %)(1,2). Cet essai partant de l’analyse constructive de SYMPLICITY HTN-3 a permis de relancer la recherche autour de la dénervation rénale avec une remise en question tant physiopathologique que méthodologique.
Réflexions et perspectives : qu’avons-nous appris et quels choix faire ?
Concernant la procédure : elle nécessite un apprentissage pour optimiser les résultats car la standardisation des procédures reste difficile.
Concernant le type de matériel : plusieurs systèmes existent délivrant des énergies différentes (radiofréquence, ultrasons) ou l’injection de substances (éthanol).
Des approches précliniques ambitieuses
Dans le futur, les approches précliniques doivent être plus ambitieuses pour apprécier au mieux la balance B/R des systèmes.
La recherche dans le domaine nous a récemment appris que la densité des fibres était plus importante au niveau des segments proximaux et moyens de l’artère rénale, mais que les fibres les plus proches de la lumière artérielle étaient les fibres distales. Certaines données précliniques et cliniques suggèrent qu’une dénervation rénale asymétrique ciblant la partie distale des artères rénales pourrait être plus efficace. Cette donnée devra être prise en compte pour les essais futurs, de même que la nécessité de réaliser des points d’ablation circonférentiels et en nombre suffisant puisqu’une véritable relation dose/efficacité semble exister.
Enfin, reste l’interrogation de traiter les artères de petit diamètre (< 4 mm) qu’elles soient polaires ou segmentaires. Le problème n’est pas tant celui de l’accès que celui de développer des systèmes fiables sur le plan vasculaire, pour lesquels le niveau d’énergie sera modulable et des systèmes capables au moyen de marqueurs qui doivent toujours être développés d’identifier si la procédure a été réalisée de manière correcte. Certaines études précoces suggèrent que les concentrations de catécholamines ou la stimulation électrique de l’artère rénale pourraient constituer ces biomarqueurs d’efficacité mais ceci demande à être confirmé dans des études comportant un nombre de patients plus important.
Une sélection fine des patients
Le second enjeu de taille est celui de la population de patients à inclure dans les futurs essais. Il ressort des analyses récentes que les anomalies de la paroi vasculaire pourraient être associées à une moindre efficacité de la thérapie. Ainsi les sujets âgés, souffrant d’hypertension artérielle systolique isolée ou ceux avec une insuffisance rénale chronique, connue pour altérer la paroi vasculaire, devraient être exclus des essais futurs. La population cible pourrait être celle de sujets ayant une hypertension modérée dont la paroi vasculaire rendrait la procédure plus efficiente et chez lesquels le tonus sympathique est en général plus élevé que chez les sujets âgés.
Des essais cliniques adaptés
Enfin, le type d’essais cliniques devra être adapté. La période de wash out est une période à risque sauf dans des centres experts et devrait être proscrite car associée à une recrudescence d’événements morbides. Ces essais devraient utiliser au maximum la MAPA qui garantit une fiabilité dans les résultats, car moins sujette aux biais et effets placebo, mais aussi une pertinence clinique plus importante en éliminant certains phénotypes de patients hypertendus qui pourraient polluer un essai clinique. L’importance de l’adhésion et sa mesure constituent un élément crucial pour démontrer l’efficacité de la dénervation. La question de la procédure sham, demande à être débattue. Certes, elle réduit l’effet placebo et Hawthorne mais n’élimine pas les autres sources de biais comme l’adhésion au traitement. Cette approche n’est pas dénuée de risque, risque peu acceptable dans une population de sujets hypertendus modérés sauf si la procédure simulée se limite à une anesthésie générale avec ponction fémorale mais sans artériographie. Au-delà de ces considérations méthodologiques, il faudra coupler les investigations du futur à une approche médico-économique et stimuler la communauté scientifique afin qu’elle apporte une vision et des compétences complémentaires pour améliorer notre connaissance dans le domaine.
Figure. Symplicity SpyralTM. Sa conception hélicoïdale auto-expansible est compatible avec une vaste gamme de formes et de tailles d’artères, pouvant aller de 3 à 8 mm de diamètre.
Conclusion
L’histoire du développement de la dénervation rénale semble bel et bien repartie depuis le début d’année comme en témoigne le grand nombre d’essais cliniques enregistrés et débutés.
Les données expérimentales et cliniques ont amélioré notre compréhension de cette nouvelle thérapie et ceci refaçonne les plans de développement autour de cette technique qui reste promise à un bel avenir en matière de prise en charge de l’HTA si les futurs essais confirment les données de l’essai DENER-HTN.
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