Mise au point
Publié le 28 fév 2013Lecture 7 min
La prise en charge des SCA chez les patients présentant des antécédents de fibrillation auriculaire - État actuel des connaissances et perspectives
F. PAGANELLI, Hôpital Nord, Marseille
La coexistence d’une fibrillation auriculaire (FA) et d’un syndrome coronaire aigu (SCA) est fréquente, entre 15 et 30 % des patients selon les registres(1). L’apparition au cours de l’hospitalisation d’une FA a été identifiée comme étant un facteur pronostique défavorable mais les antécédents de FA paroxystique ou permanente chez les patients admis pour SCA ne sont pas des facteurs prédictifs de morbi-mortalité dans le futur(2).
L’association aspirine + clopidogrel est recommandée dans le traitement du SCA mais reste inefficace pour la prévention de la complication thromboembolique de la FA. Le traitement anticoagulant par antivitamine (AVK) reste le traitement antithrombotique de base de la FA à risque modérée ou élevée(3).
Lors de la survenue d’un SCA traité par angioplastie avec mise en place d’une endoprothèse, se surajoute le traitement antiagrégant plaquettaire (AAP) — bien souvent une bithérapie associant clopidogrel et aspirine. Cette combinaison d’antiagrégants plaquettaires et d’anticoagulants est délicate à prescrire en raison du risque hémorragique cumulé de ces deux antithrombotiques.
Association AVK-AAP : où en sommes-nous ?
La première étude testant l’hypothèse AVK + aspirine versus aspirine dans le postinfarctus a été un échec(4) mais la cible INR était en dessous des recommandations (INR entre 1,5 et 2,5). Dès 2004, Orford et al. avaient révélé un taux de complication hémorragique important (10 %) sous trithérapie dans une étude rétrospective sur un faible effectif(5). Puis dès 2005, le traitement par AVK + aspirine avait fait l’objet d’une métaanalyse(6). Ainsi, le pooling des études ISAR, STARS, FANTASTIC et MATTIS avait clairement démontré la faiblesse de cette combinaison dans le traitement de la coronaropathie mais il ne s’agissait pas de patients admis pour SCA.
En 2005, Rothberg et al. ont sélectionné une population à plus haut risque (IDM, SCA) et ont démontré dans une métaanalyse réunissant une dizaine d’études sur 15 années que la warfarine associée à l’aspirine diminuait le nombre d’AVC (0,004 vs 0,0008) au prix d’un excès de saignements (0,015 vs 0,006) mais sans impact sur la mortalité cardiovasculaire(7).
Ces informations ont été accueillies avec prudence car la majorité des patients étaient issus de deux études dont aucune ne comportait le traitement moderne du SCA c’est-à-dire l’implantation d’endoprothèses. Néanmoins, en 2007 ces résultats ont été confirmés(8). Traiter 100 patients par la combinaison AVK + aspirine prévenait 17 AVC ischémiques au prix de 3 saignements majeurs. En 2006, certains auteurs(9) recommandaient déjà une triple thérapie courte (warfarine + aspirine + clopidogrel) pendant 1 mois puis un relais par AVK + aspirine.
La confusion régnait donc dans la communauté médicale concernant la prise en charge des SCA chez les patients sous AVK au long cours. Reprenant les données du registre CRUSADE, il est apparu que 35 % des praticiens arrêtaient définitivement les AVK alors qu’une majorité maintenait la trithérapie (aspirine, clopidogrel et AVK) en dépit du risque hémorragique(9). Devant l’absence de recommandations européenne et nord-américaine, le GACI a lancé un registre prospectif multicentrique, STENTICO, qui avait pour but d’évaluer les risques hémorragique et thrombotique de la trithérapie(10). Ce registre a regroupé 359 patients répartis en 2 groupes : 234 patients étaient traités par trithérapie courte (pendant 1 mois) et 125 recevaient une trithérapie longue (environ 12 mois) après revascularisation par angioplastie + stent. Cette étude a confirmé le risque hémorragique de la trithérapie longue : 6,4 % versus 3,8 % en cas de trithérapie courte (< 1 mois), sans différence concernant le risque d’AVC. En 2010, les recommandations internationales(11) ont été successivement publiées par les Sociétés de cardiologie européennes et nord-américaines. Établissant des profils de risque thromboembolique et des profils de risque hémorragique, une stratification a été réalisée en fonction du tableau clinique (angor stable avec angioplastie élective vs SCA avec angioplastie en urgence).
Il a été recommandé de poursuivre le traitement anticoagulant avant la procédure (mais l'arrêt ou le switch du traitement anticoagulant n'a pas été un critère d'exclusion), de privilégier la voie radiale, d’utiliser la bivalirudine si possible, d’éviter les stents actifs chez les patients âgés de plus de 75 ans présentant une anémie ou une altération de la fonction rénale ou un antécédent d’AVC ou de saignement. Point important, à la fin de la première année, les AVK restent le seul traitement antithrombotique à prescrire, les AAP sont donc proscrits. Les auteurs soulignent qu’ils disposaient de peu de données pour établir ces recommandations. Les études étaient le plus souvent des cohortes monocentriques avec des analyses rétrospectives.
2012 l’année des preuves…
WOEST (What is the Optimal antiplatElet and anticoagulant therapy in patient with oral anticoagulation and coronary StenTing) a donc été la première étude randomisée comparant la trithérapie AVK + clopidogrel + aspirine versus AVK + clopidogrel chez 573 patients ayant bénéficié d’une procédure interventionnelle coronaire avec mise en place d’une endoprothèse(12).
Après randomisation, les patients étaient traités en sus de la warfarine, soit par bithérapie (ajout de clopidogrel 75 mg/j), soit par trithérapie (ajout de clopidogrel 75 mg/j + aspirine 80-100 mg/j).
Au cours du suivi d’un an, la bithérapie (warfarine + clopidogrel) s’est accompagnée de moins de saignements (19,4 % vs 44,4 % ; p < 0,0001). De plus, c’est le nombre de saignements graves qui est significativement diminué (saignements multiples, transfusions).
Concernant le critère secondaire (décès, IDM, AVC, revascularisation de l’artère cible, thrombose de stent), la bithérapie s’est montré supérieure en termes d’efficacité (11,1 % vs 17,6 % ; p = 0,025) et de diminution de la mortalité totale (2,5 % vs 6,3 % ; p = 0,027).
Ainsi, nous commençons à disposer de données fiables pour instaurer des protocoles limitant le risque hémorragique en maintenant la protection antithrombotique.
2013, les perspectives
Notre équipe s’est depuis longtemps intéressée à cette problématique. En 2010, nous avions publié une étude pilote concernant l’association clopidogrel + coumadine(13) et, en effet, l’aspirine s’était avérée moins efficace et plus hémorragique que le clopidogrel.
Les résultats permettaient d’espérer un bénéfice significatif sur la morbi-mortalité (figures 1 et 2).
Figure 1. Morbi-motalité à 1 mois, 12 mois et au-delà de 5 ans.
Figure 2. Saignements en pourcentages.
En analysant la méthodologie de WOEST, il semble possible de diminuer de manière significative la fréquence et la gravité des hémorragies, en particulier les hémorragies sur les points de ponction. Comme on peut le voir sur la figure 3, la fréquence des hémorragies au point de ponction se situe aux alentours de 20 %.
Figure 3. Saignements selon l’étude WOEST.
L’utilisation de la voie radiale a démontré un bénéfice significatif pour limiter les complications hémorragiques(14).
Les 9 404 patients avec SCA de SYNERGY
Dans l’étude WOEST, l’utilisation de protecteur gastrique n’a pas été précisée expliquant peut-être le taux d’hémorragie digestive significatif dans le groupe bithérapie (8 %).
Protocole de l’étude
Depuis 2008, tous les patients traités au long cours par coumadine, admis dans notre service pour revascularisation par angioplastie + stent ont été inclus dans cette cohorte ouverte. Tous ont bénéficié d’un monitoring plaquettaire (VASP) durant l’hospitalisation et d’un monitoring à l’aide de l’INR pendant 5 ans.
Pour des motifs de confidentialité, il n'est pas possible de communiquer les résultats de l’étude mais il semblerait que l’utilisation préférentielle de la voie radiale et la prescription systématique de protecteur gastrique permettent une réduction très significative des hémorragies au point de ponction et des hémorragies digestives hautes (figures 4 et 5).
Figure 4. Exemple de ponction de l’artère radiale.
Figure 5. Différence de saignement en pourcentage (total à gauche entre radiale et fémorale) et en fonction du diamètre de la ponction à droite.
Néanmoins, les scénarii peuvent changer. L’arrivée des nouveaux anticoagulants oraux (NACO) dans le traitement de la FA et la place des nouveaux antiagrégants plaquettaires vont permettre des associations particulières… ou une simplification des prescriptions, s’il existe une action antiagrégante plaquettaire des NACO(15)…
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