Cas clinique
Publié le 30 mar 2022Lecture 7 min
Occlusion aiguë du tronc commun de la coronaire gauche
Jean-Marc PERNÈS et coll.*, Pôle Cardiovasculaire interventionnel et Unité de soins intensifs, Hôpital privé d’Antony, Antony
Mr R. est un homme de 58 ans, traité pour hypertension, hypercholestérolémie, diabète insulinorequérant, en rupture de traitement depuis 10 jours. Il s’agit d’un réfugié sri-lankais, ne parlant pratiquement pas français, exfiltré en France 12 ans plus tôt, au plus fort de la guerre civile, ex-membre de l’organisation des Tigres du Tamoul, et porteur de blessures de guerre aux deux membres inférieurs. Sans nouvelles de sa femme et de ses 4 enfants restés au Sri Lanka depuis sa fuite, il vit dans un foyer social, sans couverture médicale et présente depuis 4 jours des douleurs thoraciques subintrantes, à l’effort et au repos, le soir, avant l’installation d’une douleur permanente qui le conduit, nuitamment, environ 5 heures après le début de celle-ci à contacter le Samu.
▸ INSTINCT DE SURVIE
Le constat d’un sus-décalage de ST dans les dérivations antérieures et aVr signe le diagnostic d’infarctus (IDM) ST+ (STEMI) ; le patient est adressé directement en salle de cathétérisme pour angioplastie primaire, avec à son arrivée des constantes hémodynamiques et cliniques (pression artérielle 135/65 mmHg, fréquence cardiaque 100, râles crépitants aux deux bases pulmonaires, saturation en Oxygène à 89 % sous 5 litres d’O2) permettant d’affilier l’infarctus à la classe 2 de Killip-Kimball.
La coronarographie met en évidence une occlusion distale du tronc commun (TC) de la coronaire gauche, discrètement calcifiée, sans collatéralité visible (classe Rentrop 0) à partir de la coronaire droite normale et dominante (figure 1A et B). L’angioplastie ad hoc est réalisée sous tirofiban, après imprégnation en prasugrel et aspirine, avec la mise en place d’un stent dans le tronc commun couvrant l’interventriculaire antérieure (IVA) proximale et l’ouverture des mailles vers la circonflexe par un ballon (technique POT-side-Re-POT) (figures 2 à 5). Le résultat est considéré comme satisfaisant avec en particulier un flux « quasiment » TIMI 3 dans les deux vaisseaux (figure 6).
L’évolution est marquée par l’installation d’un tableau d’insuffisance cardiaque aiguë avec une fraction d’éjection (FE) stabilisée à 25 % du fait d’une akinésie antérieure, latérale et apicale avec des signes échographiques de bas débit ventriculaire gauche. Plusieurs épisodes d’œdème aigu pulmonaire vont survenir, régressifs sous traitement non invasif (ventilation en pression positive continue), mais sans choc cardiogénique, la pression artérielle oscillant autour de 100 mmHg sans signe de souffrance ischémique d’organe, permettant l’introduction progressive d’un bêtabloquant, d’un inhibiteur des récepteurs de l’angiotensine II, de diurétiques de l’anse, d’un antagoniste sélectif des récepteurs de l’aldostérone (éplérénone). Un système de défibrillateur cardiaque externe, type LifeVestTM (figure 7) est installé de manière prophylactique. Aucun épisode de trouble du rythme ventriculaire ne sera détecté sur le monitoring continu et a fortiori aucun choc électrique ne sera déclenché.
Devant ce tableau d’IDM classe Killip-Kimball 3 persistant, un bilan de transplantation cardiaque est engagé, au cours duquel un tuberculome pulmonaire est diagnostiqué (quadrithérapie anti-BK instaurée pour 6 mois). Le patient sort au 30e jour, sous bithérapie antiagrégante vers une unité de réhabilitation cardiaque. À aucun moment, au cours de la période d’hospitalisation, l’utilisation d’une amine vasopressive (type dobutamine), la mise en place d’un ballon de contre-pulsion intraaortique (CPBIA) ou d’un système mécanique temporaire d’assistance circulatoire (type Impella ou ECMO) ne seront requises.
Dix semaines après l’accident aigu, le patient est hospitalisé en urgence dans une autre structure pour un épisode de choc cardiogénique vrai avec insuffisance rénale et hépatique aiguës, résolutif sous dobutamine, récidivant 1 semaine plus tard, là encore d’évolution favorable sous amines vasopressives sans indication retenue d’une assistance circulatoire ; 15 jours après son inscription sur une liste d’attente de transplantation, soit 5 mois postinfarctus, le patient bénéficie d’une transplantation cardiaque hétérotopique. Extubé à J1 avec arrêt de la noradrénaline à J3, il quitte le service de chirurgie cardiaque (après une réintervention pour hémopéricarde compressif...) à 1 mois de l’intervention. À 16 mois, une candidose digestive sévère, une hémochromatose post-transfusionnelle, une pancytopénie toxique médicamenteuse (valganciclovir chlorhydrate) ont émaillé l’évolution du patient, par ailleurs indemne de tout épisode de rejet, et qui a rejoint son foyer
▸ DISCUSSION
L’occlusion aiguë totale (flux TIMI 0) du tronc commun (TC) de la coronaire gauche est un événement rare, mais non exceptionnel (de 0,025 à 0,5 % dans les grands registres d’angioplastie en phase aiguë d’IDM), le plus souvent catastrophique sur le plan clinique, le TC fournissant plus de 2/3 de la perfusion myocardique, expliquant qu’un certain nombre de patients n’atteignent pas l’hôpital, les sur- vivants présentant dans la très grande majorité des cas, jusqu‘à 90 %, un tableau de choc cardiogénique (classe Killip-Kimball 4). La classification Killip-Kimball, du nom de ses concepteurs publiée en 1967(1), repose sur l’examen clinique à la recherche de signes d’insuffisance ventriculaire gauche aiguë dont la sévérité est reliée au pronostic avec des chiffres de mortalité, atteignant 70 % pour la classe 4, chiffres observés avant le développement des thérapeutiques de revascularisation, notamment endovasculaires, et dont on estime qu’ils sont aujourd’hui réduits de 30 à 50 % dans chaque classe.
Les publications d’IDM liés à l’occlusion totale du TC sont rares, surtout sous forme de « cas clinique » ou de très petites cohortes, et toutes soulignent la présence d’une dominance de la coronaire droite, condition quasi sine qua none à la survie immédiate, comme dans notre observation – la dominance est définie comme le vaisseau pri cipal donnant naissance à l’interventriculaire postérieure, perfusant le tiers inférieur du septum interventriculaire (SIV), ce qui est le cas pour la coronaire droite chez 80 à 85 % des sujets. Un registre multicentrique rétrospectif récent publié par des équipes espagnoles(2) fait état d’un chiffre de 0,58 % d’occlusion totale aiguë du TC, soit 46 patients, responsable d’un STEMI dans une cohorte de près de 8 000 patients revascularisés en urgence sur près de 15 ans ; 89 % d’entre eux présentaient un tableau clinique de choc cardiogénique à leur arrivée en salle de cathétérisme, dont la mo tié environ (23), très sévère (PA 62 mmHg en moyenne) ayant conduit à la mise en place d’une contre-pulsion par ballon intra-aortique (CPBIA) pour 20 d’entre eux et à une ECMO pour 3 sujets. Un succès technique d’angioplastie était observé dans 80 % des cas, avec obtention d’un fluxsocial... TIMI 3 chez « seulement » 50 % des patients reperfusés. La mortalité hospitalière (1 mois) s’élevait a 58 % chez ces 46 patients, dont 13 en salle de cathétérisme, 7 le lendemain et 7 les 15 jours suivants, tous par état de choc cardiogénique réfractaire ; 4 patients ont bénéficié d’une greffe cardiaque, deux pendant le premier mois car dépendant de l’ECMO, deux dans l’année qui a suivi. Aucun autre patient n’est décédé pendant le suivi de la première année, 18 patients (39 %) étaient encore en vie, y compris les quatre cas transplantés avec succès, et ces chiffres de mortalité chez les survivants de la phase hospitalière, à court terme certes, étaient considérés comme encourageants par les auteurs. Le seul critère prédictif discriminant en analyse multivariée sur la mortalité hospitalière était la qualité du flux coronaire obtenu en fin de procédure : un flux normal, TIMI 3, uniquement obtenu chez 50 % des patients, était constaté chez 70 % des survivants, contre 30 % chez les patients décédés, avec un taux de MACE (major adverse cardiac effect) de 60 % en cas de TIMI < 3, contre 25 % pour les TIMI 3, les auteurs insistant ainsi sur l’importance, lors du geste, de « s’acharner » à tendre vers cet objectif.
La mise en place d’une CPBIA en cas de choc cardiogénique lié à l’occlusion aiguë du TC est généralement plébiscitée par les différents auteurs ayant rapporté leur expérience dans cette situation, mais les faisceaux de preuves scientifiques manquent, ce d’autant que les dernières recommandations de l’ESC en matière de choc cardiogénique perIDM, reposant essentiellement sur une étude randomisée de 2012(3) qui la contre-indique sans appel, sauf en cas de complication mécanique responsable (rupture de pilier, communication interventriculaire). Il est néanmoins difficile d’extrapoler ces recommandations à ce sous-groupe de patients avec occlusion totale du TC qui étaient exclus (ou plus vraisemblablement inconnus) de cette étude. Une alternative existe sous la forme de la mise en place d’un dispositif mécanique d’assistance du ventricule gauche, soit à type de pompe à écoulement axial intracardiaque ou d’ECMO (extracorporeal membrane oxygenation)(4). Ces systèmes de soutien circulatoire mécanique ont pu être employés chez des patients ne répondant pas à la thérapie standard, y compris les inotropes, les fluides, et la contre-pulsion intra-aortique mais les preuves concernant leurs avantages sont limitées.
Par conséquent, le soutien circulatoire mécanique à court terme doit être considéré comme une thérapie de sauvetage, afin de stabiliser les patients et de préserver la perfusion d’organe, considérée comme un « pont » vers la récupération de la fonction myocardique ou la trans- plantation cardiaque, et dont l’indication doit donc reposer sur des bases individuelles.
* P. DUPOUY, S. TERRAZZONI, G. DURAND-VIEL Pôle Cardiovasculaire interventionnel et Unité de soins intensifs, Hôpital privé d’Antony, Antony
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