Une lésion, Deux attitudes
Publié le 30 nov 2009Lecture 8 min
Pourquoi je ne traite pas systématiquement par kissing balloon toutes les branches filles d’une lésion de bifurcation
Y. CHALET, GCS de cardiologie interventionnelle, Saint-Nazaire
Près de 20 % des lésions traitées par angioplastie correspondent à des lésions de bifurcation.
La définition d’une lésion de bifurcation reste sujette à débat. Pour moi une lésion touchant une bifurcation comporte une branche fille que je ne souhaite pas perdre lors de la procédure. Ce qui ne concerne donc pas une petite branche septale ou marginale. Une sténose touchant une bifurcation outre son challenge technique reste une lésion qui, quelle que soit la procédure retenue, est exposée à des complications immédiates et à moyen terme supérieures à une lésion touchant un vaisseau unique. Une des préoccupations principales n’est pas tant la branche mère que le devenir de la branche fille. Le vrai défi est de pouvoir traiter de façon simple et optimale une lésion complexe, sans pour autant sacrifier la branche secondaire, mais sans non plus compromettre le résultat au niveau du vaisseau principal.
Depuis les travaux de l’équipe de Massy(1), les progrès ont été nombreux en ce qui concerne les techniques disponibles (provisional stenting, culotte, crush, etc.)(2). Des consensus se mettent progressivement en place afin d’aider à rationaliser une procédure qui, in fine, dépend des habitudes de l’opérateur. Il est devenu classique depuis un certain temps de considérer que toute intervention touchant une bifurcation doit être finalisée par l’inflation d’un ballon dans chaque branche en simultanée selon la technique du kissing balloon.
Cette technique avec toute sa pertinence doit-elle être systématique ? Je pense que non et je vais m’en expliquer.
Le cas particulier des sténoses ostiales associées sur la branche fille
D’emblée je mets à part toutes les lésions de bifurcation qui d’évidence nécessitent un traitement complexe avec mise en place de plusieurs stents et ce, quelle que soit la technique utilisée (figure 1). Dès qu’il y a mise en place de deux stents (un dans chaque branche) le kissing est, et doit rester, systématique.
Figure 1. Traitement par deux stents d’une lésion 0.1.1.
D’une façon générale et bien que leur traitement soit devenu quotidien, les lésions de bifurcations réservent des déconvenues. Malgré un travail récent des plus intéressants(3), l’anatomie 3D nous fait cruellement défaut au quotidien, ce qui met en évidence notre incapacité réelle à envisager le traitement optimal d’une lésion de bifurcation. Les outils diagnostiques dédiés sont encore en attente. Les lésions sont de nature bien différente tant en termes de localisation, d’angle entre les deux branches, de diamètre des vaisseaux, ainsi que des modifications anatomiques post-stenting de la branche mère (non pas la bascule de plaque, mais l’éventuel déplacement de la carène). Le résultat angiographique souvent satisfaisant ne peut refléter précisément l’aspect « métallique » intracoronaire suivant une angioplastie complexe de bifurcation. Au quotidien, l’étude par IVUS reste une procédure rare en dehors des lésions du tronc commun non protégé.
Une lésion serrée ostiale d’une branche fille est d’évidence non accessible à un traitement isolé de la branche mère : au mieux la lésion peut ne pas s’aggraver, le vaisseau ne pas s’occlure mais la lésion serrée sera toujours présente. Faut-il alors la traiter alors que le flux après stenting de la branche principale est TIMI 3, le patient asymptomatique et l’ECG inchangé ? Autrement dit, faut-il vouloir le mieux et non le bien ?
Cette question importante qu’il fallait évoquer ne concerne pas notre présentation. La discussion actuelle porte sur les lésions pour lesquelles un provisional stenting est attendu et en final non nécessaire. Selon la classification de Medina (figure 2), cela concerne principalement les lésions 110, 100, 010.
Figure 2. Classification de Medina des lésions de bifurcation.
Éléments à prendre en compte dans le choix de la technique
L’angle de bifurcation entre les branches mère et fille est important
Plus cet angle sera étroit, plus le provisionnal stenting sera secondairement complexe (défaut de couverture de la bifurcation versus protrusion du stent ostial dans la lumière de la branche mère) et plus le déplacement de la carène sera probable.
Le contexte dans lequel s’effectue le traitement d’une lésion de bifurcation est primordial
En cours de traitement d’un syndrome coronaire aigu ST+, la présence de matériel thrombotique et en faveur du traitement isolé de la branche mère, en conservant la perméabilité de la branche fille si possible, mais en gardant à l’esprit que tout franchissement des mailles du stent avec angioplastie complémentaire est à haut risque de déplacement de thrombus voire d’occlusion du vaisseau principal.
La notion de territoire fonctionnel est à mon sens plus pertinente que le diamètre du vaisseau
Le territoire fonctionnel est certes lié à l’étendue de l’artère et de sa vascularisation distale mais aussi et surtout de son implication dans la vascularisation myocardique : collatéralité vers un vaisseau occlus, vascularisation d’un pilier mitral par exemple. Cette fonctionnalité initialement non évidente est rapidement mise en évidence en cas d’ischémie soit par occlusion de la branche fille, soit par majoration d’une sténose ostiale.
Les caractéristiques du stent utilisé sont également importantes
Le design et la capacité du stent à couvrir sans occlure une ou des branches collatérales sont connus par tout opérateur, chacun ayant un stent dédié pour chaque type de lésion. Certains stents préservent mal les branches collatérales. Un stent à mailles « ouvertes » favorise la perméabilité de la branche fille sans nécessiter un complément systématique de dilatation (figures 3 et 4). Il existe de façon évidente un facteur « chance » non négligeable en ce qui concerne la perméabilité de l’ostium de la branche fille après le stenting isolé du vaisseau principal.
Contrairement à la pratique habituelle, je ne piège que rarement un guide lors du traitement d’une bifurcation. Il apparaît le plus souvent simple de franchir secondairement les mailles d’un stent si cela s’avère nécessaire. L’occlusion de la branche fille survient également en cas de guide piégé.
Figure 3. Stent long recouvrant sans les léser et sans complément de dilatation 3 branches diagonales.
Figure 4. Traitement d’une lésion 1.0.0 par stenting de la branche mère recouvrant la branche fille sans kissing final.
Par contre, le franchissement distal des mailles du stent par rapport à la carène paraît clairement la meilleure technique afin de couvrir au mieux l’ostium de la branche fille en cas de kissing balloon final (figure 5). Cela reste accessible sans guide piégé. Cependant, le franchissement systématique dans la maille distale est délicat et ce, quelle que soit la technique utilisée. C’est pourquoi, en cas de résultat globalement satisfaisant, le stenting unique de la branche mère reste préférable. Il est par contre délétère de vouloir dilater de façon isolée l’ostium de la branche fille à travers les mailles du stent sans réaliser de kissing, car cela compromet le plus souvent le résultat au niveau de la branche mère (figure 6). Il est évident pour tout opérateur que l’occlusion de la branche fille ou la majoration d’une sténose ostiale qui devient symptomatique ou s’accompagne de modification ECG nécessite un complément de traitement au minimum par kissing initial suivi éventuellement d’un provisonal stenting.
Figure 5. Justification du franchissement distal des mailles du stent de la branche mère en cas de kissing balloon final(1).
Figure 6. Déformation possible du stent de la branche principale en cas d’inflation isolée du ballon dans la branche fille (d’après Y. Louvard Classification MADS).
Nordic-Baltic Bifurcation Study III
Les résultats récents de l’étude Nordic-Baltic Bifurcation Study III au TCT 2009(4), valident pleinement la stratégie du stenting isolé de la branche mère. Les caractéristiques de la population étudiée ainsi que les résultats sont résumés dans les tableaux 1 et 2.
La majorité des patients ont été traités par ATC en dehors d’un SCA, ce qui limite la problématique du kissing dans les lésions thrombotiques précédemment évoquée. Le stent utilisé est un DES (sirolimus). Les lésions de bifurcation respectaient le plus souvent la branche fille (sténose de l’ordre de 40 %), ce qui regroupe les lésions dans la classification de Medina (110, 100, 010). Tant en termes de MACE (Major Adverse Cardiac Event) que de resténose, le traitement isolé de la branche mère est tout aussi efficace et sûr que le kissing systématique. Cette stratégie limite la durée de procédure, l’exposition aux radiations et la quantité de produit de contraste injecté. En quelque sorte, la technique idéale en ciblant des lésions de bifurcation globalement les moins complexes. En sachant cependant que près de 8 % des lésions touchaient le tronc commun, autrement dit des branches filles que l’on ne peut qualifier le plus souvent de négligeables.
Conclusion
En dehors des lésions qui, de toute évidence, nécessitent un traitement complexe avec au minimum un stent dans chaque branche d’une bifurcation et pour lesquelles un kissing final est constant, je traite les autres lésions en stentant la branche mère, sans guide piégé et sans réaliser de kissing balloon systématique de la branche fille. Mes résultats immédiats et à distance, lorsque j’utilise un DES, sont en accord avec ceux de l’étude Nordic-Baltic (figure 7).
Figure 7. Lésions de bifurcation traitées par stenting unique de l’IVA, résultat immédiat et à 6 mois.
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