Publié le 31 aoû 2012Lecture 7 min
Prise en charge multidisciplinaire de l’ischémie critique des membres inférieurs : apport spécifique des nouvelles techniques endovasculaires
J. BUSQUET, J. KUSMIEREK, P. SINTES, L. HENAO, I. ABI NASR, Y. MARTIN-BOUYER, S. VERDEILLE, B. GUIGNARD, J.-S. LEMAIRE, Clinique chirurgicale du Val d'Or, Groupe Fondation Foch, Saint-Cloud
Une amputation majeure guette à court terme tout patient porteur d’une ischémie critique des membres inférieurs. Ce spectre motive à lui seul une prise en charge thérapeutique rapide et adaptée dans un établissement hospitalier spécialisé, autour d’une équipe multidisciplinaire médicochirurgicale à orientation cardiovasculaire, seul garant d’une issue favorable quant à la reprise de la déambulation après cicatrisation locale, théoriquement obtenue par une amélioration de la perfusion artérielle distale.
Une telle pathologie se définit en effet comme l’apparition de douleurs de repos, d’ulcérations chroniques ou de zones de gangrène au niveau des orteils, du pied ou de la jambe, attribuables objectivement à une artériopathie oblitérante des membres inférieurs dans sa forme la plus avancée, touchant la plupart du temps des patients âgés dans un contexte préférentiellement diabétique (figure 1).
Figure 1. Atteinte ischémique de pied et des orteils.
Cette population de patients exposés tend à croître exponentiellement dans les pays industrialisés du fait de l’allongement de l’espérance de vie et de l’impact majoré des facteurs de risque cardiovasculaire, au premier plan desquels figurent l’hypertension, l’obésité, le tabagisme et le diabète, créant ainsi à l’échelon mondial un véritable enjeu de santé publique pour les années à venir.
Traditionnellement, le seul recours thérapeutique était une approche chirurgicale classique par pontage vasculaire et résection locale des zones nécrosées, programme d’une mise en œuvre lourde et souvent grevés par un risque de mortalité d’origine coronarienne chez ces patients à haut risque cardiovasculaire. De toute façon, les études épidémiologiques internationales sont extrêmement sombres pour cette catégorie de patients puisque leur mortalité est de 20 % dans les 6 mois qui suivent le diagnostic d’ischémie critique des membres inférieurs, pouvant dépasser 50 % dans les 5 années suivantes, essentiellement par infarctus du myocarde (IDM) et accident vasculaire cérébral (AVC), rendant essentielles les explorations cardiovasculaires préopératoires lors de la prise en charge.
C’est ainsi qu’au cours de la dernière décennie, la stratégie de prise en charge a foncièrement évolué grâce à l’apparition et l’amélioration technologique des procédures endovasculaires dérivées des gestes coronariens, qui permettent aujourd’hui d’offrir de nouvelles solutions de revascularisation faiblement invasives, visant à une reperfusion artérielle jambière spécifique dans le ou les territoires concernés par l’ischémie, territoires nommés « angiosomes », nouveau concept anatomophysiologique émergeant de plusieurs publications récentes (figure 2).
Figure 2. Les différents territoires d’irrigation artérielle ou « angiosomes » (© Dr Vlad Alexandrescu).
Conduite pratique
La prise en charge hospitalière pratique des patients peut se faire au sein d’un département spécifique de type Wound care center à orientation vasculaire ou plus communément dans un service de chirurgie vasculaire à orientation endovasculaire où la stratégie thérapeutique sera le fruit de la collaboration médicochirurgicale directe entre médecins et chirurgiens vasculaires, cardiologues, radiologues vasculaires et anesthésistes-réanimateurs, épaulés au cas par cas par un médecin diabétologue ou un chirurgien orthopédique, sans omettre le rôle essentiel de l’équipe de kinésithérapie dans la phase de rééducation et de reprise de la marche.
Un examen clinique minutieux
La quantification des phénomènes douloureux et le recueil de leur date d’apparition, la détection d’une fièvre ainsi que l’observation et l’analyse immédiate de l’état des plaies présentées par le patient au niveau des membres inférieurs, représentent une étape fondamentale qui va déterminer la gravité immédiate du cas, pouvant aller d’une simple plaie unique à une gangrène évolutive en passant par une cellulite ascendante, une nécrose localisée d’orteils ou un mal perforant plantaire apparemment bénin mais parfois déjà associé à un trajet fistuleux profond. Une réhydratation par voie intraveineuse, la mise sous traitement hépariné, l’institution d’une antibiothérapie à large spectre avant une adaptation sur les résultats de l’antibiogramme ainsi qu’une rééquilibration de la glycémie le cas échéant par un protocole d’administration d’insuline, sont généralement de mise avant toute décision de débridement, d’amputation locale d’orteil ou de l’avant pied en cas de nécessité.
Parallèlement, sont menées les explorations de l’atteinte artérielle par écho-Doppler artériel, angioscanner, angio-IRM ou artériographie (figure 3), la sélection des examens étant dictée par la présence d’une éventuelle insuffisance rénale associée. Conjointement, un bilan cardiovasculaire plus général est mené dans un cadre préopératoire afin d’évaluer en particulier le risque coronarien potentiel des patients auxquels l’abstention totale de la prise de tabac est immédiatement imposée, car facteur de spasme artériel lors de sa consommation.
Figure 3. Angiographie digitalisée.
Une discussion multidisciplinaire
Il s’en suit une discussion multidisciplinaire sur les options thérapeutiques débouchant parfois sur une amputation haute première de jambe ou de cuisse dans certains cas évolués. À l’opposé, un simple traitement médical peut être seulement proposé, à base d’antiagrégants plaquettaires de type aspirine ou clopidogrel et d’antalgiques associés à une prise de statine, essentiellement dans des situations intermédiaires où un geste de revascularisation est incertain quant à son bénéfice, avec persistance d’un certain degré de « réserve circulatoire ».
À ce stade, les troubles trophiques restent souvent d’ampleur limitée et peuvent avoir une évolution locale satisfaisante vers la cicatrisation progressive grâce à des soins locaux quotidiens, dont la stricte réalisation avec application d’un protocole infirmier rigoureux prend alors toute sa valeur.
Procédures endovasculaires
Durant ces 10 dernières années, le recours à la chirurgie ouverte de revascularisation artérielle distale par pontage idéalement veineux (figure 4) a diminué globalement de 42 % tandis que parallèlement, l’utilisation des procédés endovasculaires a augmenté de 230 % sur la même période de temps.
Figure 4. Pontage veineux fémorodistal.
L’angioplastie
Historiquement, parmi les nombreux instruments de désobstruction endovasculaire artérielle distale, émergent en premier lieu l’angioplastie par ballonnet et les stents avec de façon complémentaire les stentgrafts, les athérotomes mécaniques, la cryoangioplastie et les sondes laser Excimer. Parmi ces dernières techniques, l’absence d’étude randomisée contrôlée concernant leur résultat sur la perméabilité primaire et secondaire, ne leur a pas permis de confirmer une véritable efficacité à moyen et à long termes, mais elles peuvent être utilisées ponctuellement par certaines équipes spécialisées.
En 2010, les résultats de l’étude randomisée britannique BASIL, débutée en 1999, comparant en secteur artériel distal, le pontage chirurgical à l’angioplastie par ballonnet chez des patients atteints d’ischémie sévère, concluait à la supériorité de la chirurgie en termes de perméabilité à partir de la deuxième année de suivi. Les auteurs recommandaient cependant le recours à un geste endovasculaire en cas de matériel veineux inutilisable ou bien d’une espérance de vie inférieure à 2 ans (figure 5).
Figure 5. Résultat angiographique pré et postangioplastie par ballonnet.
Parallèlement, la métaanalyse de Romiti (2008) regroupant l’ensemble des études mono ou multicentriques récentes sur l’efficacité du traitement endovasculaire dans l’ischémie critique des membres inférieurs, rapportait une perméabilité de 58 % à 1 an et de 48 % à 3 ans avec 86 % de sauvetage de membre et une survie globale de 87 % à 1 an.
L’approche endovasculaire
Au niveau européen, les équipes interventionnelles du groupe de Leipzig (Schneidert, Schmidt) en Allemagne, de Berne (Baumgartner, Do Dai) en Suisse et de Milan (Ferraresi, Manzi) en Italie, se sont spécialisées à une grande échelle dans l’approche endovasculaire distale de l’ischémie critique des membres inférieurs. Leur excellente méthodologie et leurs résultats ont redonné leurs lettres de noblesse aux techniques de désobstruction artérielles jambières grâce à une sophistication des guides 0,14, cathéters, cathéther guides 4 F, ballonnets bas profil longs et stents distaux autoexpansibles ou expansibles sur ballonnet.
La stratégie d’accès vasculaire est fémorale par voie antérograde mais peut être couplée à un accès percutané artériel pédieux direct angiographiquement guidé (figure 6). Ce type d’accès inédit permet un « rendez-vous » des deux guides afin de vaincre la zone d’obstruction infranchissable par l’accès classique et de poursuivre ainsi par la dilatation par le ballonnet approprié à la taille de l’artère et à la longueur de la lésion. De même, dans certaines situations de sauvetage distal, une recanalisation artérielle directe de l’arche plantaire sera accomplie méticuleusement, pour une ré-irrigation spécifique du pied.
Figure 6. Ponction pédieuse percutanée rétrograde (© laboratoires Cook).
L’utilisation commune des stents distaux qu’ils soient nus ou actifs n’est pas systématiquement de mise car le bas de jambe est une région propice aux écrasements en raison des mouvements internes naturels. Par contre, afin de lutter efficacement contre la resténose postangioplastie distale (environ 50 % à 2 ans), source de fréquentes réobstructions, un grand espoir vient de la mise au point des ballonnets actifs nappés de substances antiprolifératives de type paclitaxel, actuellement disponibles et dont les premiers résultats sont très encourageants, tandis que de grandes études randomisées (in-PACT) concernant leurs résultats face à l’angioplastie simple, sont en cours de réalisation.
Conclusion
La prise en charge de l’ischémie critique des membres inférieurs est complexe car elle s’adresse à une catégorie de patients à haut risque d’amputation dans un contexte polyvasculaire de gravité. Elle doit répondre à des protocoles thérapeutiques rigoureux au sein d’une structure de soins spécialisée à orientation vasculaire s’appuyant sur une forte collaboration multidisciplinaire.
L’innocuité relative des techniques endovasculaires distales et leur efficacité croissante grâce à la miniaturisation des matériels utilisés, les rendent indispensables dans l’arsenal thérapeutique moderne.
Le principe général est celui d’une désobstruction focalisée à visée de reperfusion immédiate du membre en souffrance ischémique pour faire disparaître les phénomènes douloureux et parfaire la cicatrisation locale des plaies afin de redonner au patient ses possibilités de marche.
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