Publié le 25 mar 2020Lecture 4 min
Soleil levant
Patrick LERMUSIAUX, service de chirurgie vasculaire et endovasculaire, Hospice civils de Lyon, CHU de Lyon
« L’hélico va décoller, le patient sera chez vous dans environ 1 heure ».
Il est 4 h du matin et cela fait déjà presque 2 heures que l’on a reçu le premier appel du Samu pour le transfert de ce patient. L’angioscanner, que nous avons pu consulter grâce aux connexions interhospitalières, objective un anévrisme rompu de 8 cm avec un important hématome rétropéritonéal. Malheureusement, il n’y a pas de collet sous-rénal ce qui aurait permis une prise en charge endovasculaire.
Il s’agit d’un patient âgé de 62 ans, sans antécédent particulier. À son arrivée au Centre hospitalier général, il était très douloureux mais avec une hémodynamique encore stable. Lors du transfert en hélicoptère vers notre hôpital, la situation se dégrade sur le plan hémodynamique et, à son arrivée, le patient est immédiatement amené au bloc opératoire. Heureusement, le service possède un charriot « anévrisme rompu » avec tout le matériel disponible.
Action
Anesthésie locale au pli inguinal droit, montée d’un guide Terumo, mise en place de l’introducteur, l’ampli arrive enfin en position, changement de guide pour un Lunderquist® (Cook Medical), montée d’un introducteur long (12 F) et positionnement du ballon Coda® (Cook Medical), gonflé dans l’aorte thoracique.
Il aura fallu moins de 2 minutes pour rétablir la situation sur le plan hémodynamique, permettant de réaliser une anesthésie générale puis xyphopubienne.
Lorsque j’étais interne, on m’avait enseigné qu’il fallait contrôler et clamper l’aorte en 1 minute, la majeure partie des gestes étant réalisée au doigt et à l’aveugle. Ceci est très discutable : en fin d’intervention on se rendait souvent compte que le clamp avait perforé la veine rénale gauche ou surtout blessé le pancréas. Un patient qui est relativement stable, a toutes les chances de s’en tirer et il serait dommage qu’il décède d’une pancréatite.
L’aorte est donc contrôlée sans précipitation, d’abord dessous puis au-dessus des artères rénales après avoir largement mobilisé la veine rénale gauche. Le ballon Coda® est retiré et, dans un premier temps, on réalise un clampage en masse sous-rénal, l’ouverture du sac anévrismal, la mise en place de sondes de Foley dans les artères iliaques (permettant d’irriguer les artères iliaques d’aval avec du sérum hépariné), la ligature des artères lombaires puis le déplacement du clamp en supra-rénal ; l’aorte est sectionnée au ras des artères rénales et la prothèse implantée en s’appuyant sur les ostia des artères rénales, avec un feutre de téflon pour renforcer la paroi aortique fragile.
Le soleil se lève
C’est une immense chance que d’avoir des blocs opératoires munis de fenêtres qui donnent sur l’extérieur, particulièrement en ce beau mois d’avril : ce jour-là, on assistait au majestueux lever du soleil. Ce moment coïncidait avec l’arrivée de la relève. Le personnel était joyeux, on entendait des rires dans le couloir, les yeux étaient maquillés, on percevait des parfums printaniers. Le clamp était positionné sur la prothèse, l’aorte était sectionnée au niveau de sa bifurcation permettant une suture facile sur le culot aortique. On a appris avec l’endovasculaire à laisser un corps prothétique long pour une éventuelle fenêtrée ultérieure et à ne pas trop se soucier des iliaques qui pourront être traitées par endoprothèses.
Nos collègues anesthésistes font leur maximum et jonglent avec le remplissage, le Cell Saver®, la transfusion et la noradrénaline. Mais la situation est très instable. De notre côté l’intervention se termine avec la fermeture du sac anévrismal. Brutalement, le bruit anxiogène des alarmes se déclenche, le patient est en arrêt. On masse pendant une dizaine de minutes, le coeur repart en TV, premier choc électrique, reprise d’une activité cardiaque mais l’espoir est de courte durée car de nouveau, arrêt cardiaque et arrêt des soins après 30 minutes de massage cardiaque. Mon taux d’adrénaline s’effondre brutalement et une immense vague de fatigue et de désespoir s’abat sur moi. « Bonjour Madame, vous êtes bien l’épouse de Monsieur…, je suis le docteur Lermusiaux, nous venons d’opérer votre mari, j’ai une terrible nouvelle à vous annoncer », je n’ai pas le temps de poursuivre ma phrase, à l’autre bout du fil j’entends les pleurs de celle qui l’a vu partir aux urgences alors que tout allait bien. Il allait sans doute prendre bientôt sa retraite avec tellement de projets pour une cette seconde vie. Elle finit par reprendre son souffle et me dit merci. C’est idiot mais je me sens honteux de recevoir ce merci, moi qui n’ai pas réussi à sauver la vie de cet homme, que je n’aurai jamais connu. Même si je ne fume pas, je rejoins plusieurs membres de l’équipe qui sont sortis dehors pour saisir une cigarette, un peu comme le sein maternel qui vient calmer les angoisses du fragile nourrisson.
Ma consultation débute dans 1 heure.
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