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Grand angle

Publié le 05 oct 2021Lecture 13 min

Traitement endovasculaire des anévrismes poplités - Une révolution sans en avoir l’air

Nellie DELLA-SCHIAVA, Iris NAUDIN, Patrick LERMUSIAUX, Antoine MILLON, service de chirugie vasculaire et endovasculaire, Hôpital cardiologique Louis Pradel, Bron

Les chirurgiens ont résisté longtemps avant d’accepter l’idée de traiter un anévrisme aortique par voie endovasculaire et, pourtant, c’est aujourd’hui le traitement le plus pratiqué, même si beaucoup de problèmes restent à résoudre. Et si les anévrismes poplités connaissaient la même (r)évolution ?

Un peu d’histoire L’excision de l’anévrisme et son remplacement par la veine saphène par voie postérieure a été décrit en 1912 (figure 1) ! En revanche, l’exclusion par pontage avec la veine saphène ne vient qu’en 1969. Et c’est en 1993 que le premier traitement endovasculaire par une prothèse PTFE armée de stents de Palmaz™ aux extrémités, est réalisé. L’endoprothèse GORE® VIABAHN® (Gore) a obtenu le remboursement en France en 2012, juste 100 ans après le début de la chirurgie ouverte moderne, alors qu’il n’a fallu que 60 ans entre la première traversée de la Manche en avion (1909) et les premiers pas sur la Lune (1969) ! Figure 1. Article du Lancet de 1912. L’anévrisme poplité en quelques chiffres(1-5) L’anévrisme poplité ne touche pratiquement que l’homme (98 %), surtout après 60 ans. La survie est de 75 % à 5 ans. Si un patient a un anévrisme poplité, il a une chance sur deux d’avoir aussi un anévrisme poplité controlatéral. En cas d’anévrisme bilatéral, il a une chance sur deux d’avoir un anévrisme aortique. À l’inverse, un patient qui a un anévrisme aortique n’a qu’une chance sur 10 d’avoir un anévrisme poplité. Les circonstances de découverte des anévrismes poplités Un tiers des patients est asymptomatique, un tiers est claudicant et un tiers est en ischémie aiguë. Si les pouls distaux sont perçus, il y a 10 % de complications par an. Lorsque les pouls distaux ne sont pas perçus, il y a 30 % de complications par an. L’indication opératoire est retenue lorsque le diamètre > 2 cm. Elle peut être retenue pour un diamètre < 2 cm s’il existe du thrombus intra-anévrismal et une suspicion clinique d’embolie avec confirmation par imagerie d’un mauvais lit d’aval distal. On peut probablement attendre le diamètre de 3 cm, si le patient est asymptomatique avec des pouls distaux, sans thrombus intra-anévrismal et avec une angulation anévrismale limitée, une forte angulation, > 45°, ayant été identifiée comme un facteur de risque de complication( 1). Traitement par chirurgie ouverte ou endovasculaire ? Les résultats du traitement par chirurgie ouverte sont excellents si la grande veine saphène est utilisée, le patient opéré en dehors d’une ischémie aiguë, avec un bon lit d’aval, et plutôt par une voie d’abord postérieure – voie d’abord qui est cependant utilisée pour des anévrismes de courte longueur, avec un pontage plus court. Dans 30 % des cas environ, la veine saphène n’est pas disponible et les résultats sont largement inférieurs en termes de perméabilité. Il n’y a eu qu’une seule étude randomisée monocentrique comparant chirurgie ouverte et endovasculaire(6). Cette étude n’a pas atteint l’effectif théorique calculé. Malgré tout, elle a permis d’obtenir le remboursement de l›endoprothèse GORE® VIABAHN® en France en 2012. Une autre étude randomisée n’a pas été menée à son terme ni publiée(7). Les métaanalyses récentes concluent que les résultats sont possiblement identiques, avec plus de réinterventions dans le groupe endovasculaire(3,5,8). Cependant, le niveau de preuve de tout cela reste bien faible. À l’heure actuelle, il est cohérent de proposer une chirurgie ouverte à un sujet jeune, actif, asymptomatique avec un bon lit d’aval et une belle veine saphène. À l’inverse, un sujet âgé avec une anatomie favorable pourra être traité par une endoprothèse. Lorsque la grande veine saphène n’est pas utilisable, faut-il réaliser un pontage prothétique, ou un endopontage prothétique ? Que se passe-t-il en cas de thrombose sur prothèse ? D’une manière générale, nous considérons qu’un traitement endovasculaire peut être proposé en première intention s’il ne coupe pas les ponts à une chirurgie ultérieure. Nos résultats sont les suivants : 68 anévrismes poplités ont été traités par GORE® VIABAHN® depuis 2012, et ceci intègre notre courbe d’apprentissage. Il y a eu 20 thromboses soit 30 % ! Celles-ci surviennent en général lors de la première année qui suit l’implantation. Six thromboses étaient asymptomatiques, et un patient était claudicant ; 13 patients ont eu un pontage. Il n’y a eu aucune amputation, aucune aponévrotomie, aucune chirurgie nocturne. Le verre au quart vide ou au trois-quarts plein ? Ainsi, on pourrait dire que 30 % des endoprothèses se thrombosent et abandonner le traitement endovasculaire. Inversement, on pourrait insister sur le fait que 80 % des patients éviteront une hospitalisation et un pontage conventionnel, et que seuls les 20 % restants auront finalement le même traitement que s’ils n’avaient pas eu d’endoprothèse. Aussi, il nous semble possible de proposer un traitement par endoprothèse de manière très large. Beaucoup de malades ne seront en fait jamais opérés, soit parce que l’endoprothèse reste perméable durant toute la durée de leur vie – qui s’avère parfois limitée –, soit parce que la thrombose se fait de manière pauci ou asymptomatique. Si la thrombose de l›endoprothèse survient au bout de quelques années, cette durée de perméabilité viendra s’ajouter à la durée de perméabilité du pontage qui sera ensuite éventuellement réalisé, ce qui rend licite l’implantation, même chez un sujet moins âgé, informé des problématiques. Le sizing Comme pour le traitement endovasculaire des anévrismes aortiques (EVAR), le choix de la taille de l’endoprothèse (sizing) est essentiel, mais sa philosophie est extrêmement différente. En effet, l’existence d’une endofuite n’est pas le problème fondamental, car même dans ce cas il n’y a pas de risque d’embolie distale. Nous utilisons le logiciel EndoSize® de Therenva. La création de la ligne centrale doit parfois être réalisée en manuel car souvent la qualité de l’injection est médiocre. Les patients qui ont un anévrisme ont souvent une circulation sanguine très ralentie, ce qui peut nécessiter plusieurs acquisitions. Chez le patient insuffisant rénal, nous utilisons une combinaison de scanners non injectés et d’échographies pour mesurer les longueurs et diamètres. • Étape n° 1 : il faut apprécier l'angulation de l’anévrisme et le lit d’aval. On considère que celui-ci est favorable s’il existe 2 ou 3 artères de jambe perméables. • Étape n° 2 : il faut déterminer le début et la fin de l’anévrisme. Il faut théoriquement ajouter 40 mm à ce chiffre, pour respecter la couverture de 20 mm du collet proximal et du collet distal (figure 2). Ceci donne la longueur de couverture théorique. Il faut ajouter 20 mm si 2 endoprothèses sont utilisées et 40 mm si 3 endoprothèses sont utilisées, pour tenir compte de l’overlap. Dans ses schémas, Gore recommande une zone d’atterrissage distale idéale, un peu au-dessus de la naissance de la tibiale antérieure. Il ne faut pas tenir compte de cette recommandation, car les taux de perméabilité sont meilleurs si la partie distale de l’endoprothèse ne passe pas l’interligne poplitée(9). Figure 2 : Sizing préopératoire • Étape n° 3 : il faut mesurer le diamètre de l’artère en amont et en aval de l’anévrisme. Le cas idéal est bien sûr celui où le diamètre est le même, ce qui peut parfois être obtenu en allant chercher une zone d’atterrissage de même diamètre plus en amont sur l’artère fémorale superficielle, quitte à allonger la longueur de couverture. Certaines équipes excluent les patients ayant une différence de plus de 3 mm mais d’autres vont jusqu’à 4 ou 5 mm. Ceci nécessite alors d’utiliser deux ou trois endoprothèses de taille croissante. Dans la majorité des cas on débutera en distalité par l’endoprothèse de plus petit diamètre, pour progresser vers l’amont avec les endoprothèses de plus gros diamètre. Cependant, parfois l’artère poplitée basse a un diamètre supérieur à l’artère fémorale superficielle et il faudra implanter d’abord l’endoprothèse proximale. Au niveau de l’artère poplitée, il ne faut pas d’oversizing, pour ne pas abîmer l’artère. Au niveau proximal l’oversizing est minimum, juste pour obtenir l’étanchéité. Si des endoprothèses de gros diamètre sont nécessaires (11 et 13 mm), il faudra se méfier d’un raccourcissement significatif de celles-ci lors du largage, et prévoir une endoprothèse plus longue ou une endoprothèse complémentaire de sécurité. • Étape n° 4 : en peropératoire, l’existence du thrombus intra-anévrismal, va rendre difficile le repérage du début et de la fin de l’anévrisme. Il faudra donc utiliser des repères. On va mesurer la distance entre la fin de l’endoprothèse (fin de l’anévrisme +10 à 20 mm) et l’origine de l’artère tibiale antérieure ainsi que de l’interligne articulaire (figure 2). Cette distance sera mesurée en peropératoire permettant le largage précis de l’endoprothèse. Une collatérale naît souvent au début ou à la fin de l’anévrisme et pourra aussi constituer un repère. Si plusieurs endoprothèses sont utilisées, un overlap de 2 cm est recommandé. Elles peuvent être de même diamètre ou de diamètre progressif (si c’est le but recherché). On considère que la zone de plicature de l’artère poplitée, se fait au niveau du bord supérieur de la rotule, et qu’il ne doit pas y avoir d’overlap à ce niveau. En réalité, cette notion est bien théorique et le mieux serait de pouvoir réaliser des angioscanners préopératoires en flexion. Si la zone d’atterrissage se fait au niveau de l’artère poplitée basse, un moyen simple d’éviter un overlap au niveau du bord supérieur de la rotule, est de débuter par une endoprothèse distale de 5 cm de long. L’overlap se fera alors plus bas que le bord supérieur de la rotule. • Étape n° 5 : les endoprothèses GORE® VIABAHN® héparinées sur guide de 0,018’’ sont disponibles en France, mais uniquement remboursées pour le traitement des lésions longues obstructives de l’artère fémorale superficielle. Elles sont disponibles en diamètre de 5 à 8 mm. Bien qu’utilisées dans toutes les études actuelles sur les anévrismes poplités, elles ne sont pas remboursées en France dans cette indication. Il faut donc commander des endoprothèses Viabahn classiques sur guide 0,035’’ et vérifier la taille des introducteurs (qui vont jusqu’au 12 F), en utilisant alors un introducteur Dry-Seal (Gore). • Étape n° 6 : si de volumineuses collatérales naissent de l’anévrisme poplité, il faudra disposer du matériel pour réaliser une embolisation en vue de limiter le risque d’augmentation ultérieure du diamètre de l’anévrisme (équivalent d'endofuite de type II), ce qui est en général sans conséquence, sauf si l’anévrisme est volumineux avec un risque de compression de la veine. Au bloc opératoire L’utilisation d’une salle hybride apporte évidemment beaucoup de confort. Après avoir effectué le recalage de la fusion sur les repères osseux, et après angiographie, la fusion d’images permet d’objectiver les zones d’atterrissage prévues, que l’on aura peu marquées avec un cercle. Chez le patient insuffisant rénal, qui n’aura pas eu d’angioscanner en préopératoire, l’utilisation de l’échographie endovasculaire (IVUS) permet d’objectiver le pôle supérieur et inférieur de l’anévrisme, de mesurer sa longueur (la sonde IVUS est graduée tous les centimètres), de vérifier les diamètres artériels au niveau des zones d’atterrissage (figure 3). La sonde IVUS n’est pas remboursée ce qui pose évidemment problème… Figure 3 :  IVUS. A : Mesure du diamètre de l’artère d’amont ; B : Anévrisme poplité ; C : Graduation centimétrique de la sonde IVUS. • Étape n° 1 : nous réalisons l’anesthésie locale avec l’aiguille du kit de microponction échoguidée, la sonde d’échographie étant positionnée en longitudinal par rapport à l’artère fémorale commune. Ceci permet de bien visualiser l’arcade crurale, pour réaliser une ponction haute avec une position d’aiguille le plus près possible de l’horizontale. L’artère fémorale superficielle est ensuite cathétérisée sous échographie, évitant de s’irradier les mains, et le micro introducteur est mis en place ; 50 unités/kg d’héparine sont injectées sur une voie périphérique. • Étape n° 2 : après avoir fait l’échange pour un guide plus rigide et un introducteur de 6 F, un ProGlide® est mis en place en pré-fermeture (preclosing). Sur le guide rigide un introducteur adapté à la taille de l›endoprothèse est mis en place, qui peut aller jusqu’à un DrySeal de 12 F. Une ponction controlatérale avec manœuvre de crossover est théoriquement possible, mais souvent limitée par des introducteurs de gros diamètre, voire par un antécédent de chirurgie ouverte ou endovasculaire d’un anévrisme aortique. En cas d’obésité, ou de scarpa cicatriciel, une ponction de l’artère fémorale superficielle est possible, avec là aussi, mise en place d’un proglide en preclosing, ce d’autant qu’elle est souvent de gros diamètre dans ce contexte. • Étape n° 3 : idéalement, on réalise une première angiographie, après avoir positionné le genou en flexion maximale, sans guide ou avec un guide souple, de manière à objectiver les zones éventuelles de plicature artérielle. • Étape n° 4 : une sonde droite graduée est positionnée dans l’artère poplitée basse pour réaliser une angiographie du lit d’aval distal, et permet la mise en place du guide adapté, rigide 0,018’’ ou 0,035’’ selon le type d›endoprothèse VIABAHN utilisé. Une ligne est tracée selon le nombre de centimètres calculé en amont de la naissance de la tibiale antérieure, et qui symbolisera l’extrémité distale de l'endoprothèse. • Étape n° 5 : l’endoprothèse distale est larguée puis inflatée avec un ballon de 2 à 4 cm de long et du même diamètre. La 2e endoprothèse est positionnée en respectant un overlap de 2 cm, puis une éventuelle 3e endoprothèse. Connexion et zones d’atterrissage sont inflatées avec un ballon de même diamètre. Il arrive parfois que le diamètre de l’artère fémorale superficielle soit inférieur à celui de l’artère poplitée et, dans ce cas, l’endoprothèse proximale est libérée en premier. • Étape n° 6 : la sonde droite est descendue sur le guide, permettant une nouvelle angiographie de l’aval pour dépister un éventuel épisode embolique, et pour mettre en place un guide souple. Une angiographie est réalisée par l’introducteur, permettant de confirmer la bonne perméabilité de l’endoprothèse et l’absence d’endofuite proximale. • Étape n° 7 : le genou est positionné de nouveau en position de flexion maximale (figure 4), une angiographie est réalisée pouvant objectiver un très bon résultat avec une courbure harmonieuse, parfois l’existence d’une boucle artérielle d’amont ou d’aval, et parfois un aspect de plicature à la partie moyenne de l’endoprothèse, mais le plus souvent au niveau de sa terminaison. Dans ce dernier cas, nous pensons qu’il est souhaitable de mettre en place un stent en nitinol, permettant de renforcer endoprothèse ou d’appliquer harmonieusement sa terminaison sur l’artère poplitée. Dans un cas, nous ne l’avons pas fait et l’endoprothèse s’est thrombosée le soir même. Figure 4 : Angiographie de contrôle en flexion. A : Boucle non sténosante de la GORE® VIABAHN® ; B : Excès de longueur absorbé par l’artère poplitée basse. • Étape n° 8 : l’introducteur est retiré et l’artère refermée par le ProGlide® préalablement mis en place. Une échographie permet de vérifier l’absence de faux anévrisme. De la colle cutanée est positionnée sur le point de ponction, et le patient pourra regagner son domicile le soir même. Si un saignement persiste, une compression échoguidée complémentaire sera réalisée, associée à un pansement compressif. En postopératoire On insiste beaucoup sur la nécessité d’une double antiagrégation plaquettaire par aspirine et clopidogrel pendant au moins 6 mois. Nous n’hésitons pas à la prolonger 1 an chez les patients à faible risque hémorragique. Cependant, une étude rétrospective récente n’a pas retrouvé l’intérêt de cette double antiagrégation prolongée(9). Nous nous sommes rendu compte que la plupart des thromboses d'endoprothèses survenait lors de la première année et très souvent après une flexion prolongée du genou. Aussi, et bien que cela ne repose sur aucune preuve scientifique, nous expliquons au patient, depuis environ 2 ans, dès la consultation préopératoire, où l’on envisage chirurgie ouverte ou endovasculaire, la nécessité qu’il y aura, en particulier en cas de chirurgie endovasculaire, d’éviter de s’agenouiller. En revanche, nous n’avons pas noté de thrombose suite à la pratique de la marche ou du vélo. Nous avons traité les thromboses symptomatiques par fibrinolyse intra-artérielle avec succès, mais avec une rethrombose à court terme et nous pensons actuellement que les thromboses symptomatiques relèvent d’un pontage. Conclusion Le débat entre chirurgie endovasculaire et chirurgie ouverte, nous semble avoir un intérêt modeste. La chirurgie, comme tous les domaines, évolue, et il est difficile de penser que l’on réalisera dans 30 ans, le traitement qui était déjà réalisé il y a 100 ans ! Aussi, le traitement endovasculaire va probablement s’imposer. Les progrès réalisés, dans le sizing – dont la philosophie est très différente des EVAR –, dans la technique opératoire, dans l’éducation du patient, permettent déjà d’obtenir une amélioration régulière des résultats. Il n’en reste pas moins que beaucoup de travail reste à faire pour améliorer la biomécanique et la thrombogénicité des endoprothèses.

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